Par petites touches, sans brusquer les évènements, le dossier de la mémoire prend de la forme. M. Emmanuel Macron a reconnu « au nom de la France », mardi, que l'avocat et dirigeant politique du nationalisme algérien, Ali Boumendjel "a été torturé puis assassiné" par l'armée coloniale pendant la Guerre de libération nationale, le 23 mars 1957, en pleine bataille d'Alger. Ce geste « n'est pas un acte isolé », promet le président français dans un communiqué rendu public dans la soirée du mardi par la présidence française. La reconnaissance par la France de l'assassinat d'Ali Boumendjel, comme proposée par Benjamin Stora dans son rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre de libération nationale, intervient après un autre aveu du même genre, en l'occurrence l'assassinat de Maurice Audin, mathématicien membre du Parti communiste algérien (PCA), disparu le 11 juin 1957, également en pleine bataille d'Alger, et qu'on a fini par reconnaître, en septembre 2018, toujours «au nom de la République française », qu'il a été « torturé à mort » par des militaires français, un drame « rendu possible par un système légalement institué», a-t-on admis. Le président français a reçu quatre petits-enfants d'Ali Boumendjel, à l'Elysée, pour leur dire, au nom de la France, ce que Malika Boumendjel aurait voulu entendre: « Ali Boumendjel ne s'est pas suicidé. Il a été torturé puis assassiné », ajoute la présidence française. Il leur a également fait part de « sa volonté de poursuivre le travail engagé depuis plusieurs années pour recueillir les témoignages et encourager le travail des historiens par l'ouverture des archives afin de donner à toutes les familles des disparus, des deux côtés de la Méditerranée, les moyens de connaître la vérité ». «Ce travail sera prolongé et approfondi au cours des prochains mois, afin que nous puissions avancer vers l'apaisement et la réconciliation», a-t-il promis. Il a estimé, à ce titre, que «regarder l'Histoire en face, reconnaître la vérité des faits, ne permettra pas de refermer des plaies toujours ouvertes, mais aidera à frayer le chemin de l'avenir ». « Aucun crime, aucune atrocité commise par quiconque pendant la guerre d'Algérie ne peut être excusé ni occulté», indique encore la présidence française. Misant sur la jeunesse, le communiqué de la présidence relève que «la génération des petits-enfants d'Ali Boumendjel doit pouvoir construire son destin, loin des deux ornières que sont l'amnésie et le ressentiment. C'est pour eux désormais, pour la jeunesse française et algérienne, qu'il nous faut avancer sur la voie de la vérité, la seule qui puisse conduire à la réconciliation des mémoires», ajoute encore l'Elysée. Rappelons que le mois dernier, la nièce d'Ali Boumendjel, Fadela Boumendjel-Chitour, avait dénoncé un «mensonge de l'Etat (français) qui fut dévastateur ». Notons que le rapport Stora, remis le 20 janvier, a soulevé de vives critiques, aussi bien en France qu'en Algérie, notamment pour ne pas avoir préconisé des «excuses » de Paris pour la colonisation. L'Organisation des moudjahidine (ONM) a accusé Benjamin Stora d'avoir «occulté les crimes coloniaux » de la France en Algérie. Le gouvernement algérien a demandé à plusieurs reprises «la reconnaissance des crimes coloniaux » de la France. « Nous ne privilégierons pas de bonnes relations au détriment de l'histoire et de la mémoire, mais les problèmes se règlent avec intelligence et dans le calme, et non avec des slogans», a affirmé lundi dernier le président algérien Abdelmadjid Tebboune lors d'une entrevue avec des médias locaux. Paris et Alger ont fait de la «réconciliation des mémoires » un dossier prioritaire et Tebboune et Macron se sont engagés à travailler ensemble sur ce dossier. L'année 2022 rappelle le rendez-vous de l'élection présidentielle en France, et une histoire décomplexée entre les deux pays pourrait être fort bénéfique pour le candidat M. Macron, même si ce dernier se défend de vouloir tirer un quelconque profit électoraliste de cette réconciliation des mémoires.