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Les parcs culturels en Algérie: Entre gestion et gouvernance
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 28 - 06 - 2021

Le 15 juin 1998, le Parlement algérien avait adopté la loi n°98-04 portant protection du Patrimoine culturel, en remplacement de l'ordonnance n°67-281, relative aux fouilles et à la protection des monuments et sites historiques et naturels.
Cette loi avait introduit un nouveau mécanisme de protection des valeurs culturelles, appelé «parc culturel». Trois articles lui ont été consacrés (Art. 38, 39 et 40). L'article 38 dispose : «Sont classés en parc culturel les espaces caractérisés par la prédominance et l'importance des biens culturels qui s'y trouvent et qui sont indissociables de leur environnement naturel». Cette définition, vague et imprécise, ne renvoie à aucun ancrage juridique ni à un texte d'application qui l'aurait traduite en mécanismes opérationnels. Aucune orientation n'est venue clarifier le sujet, laissant libre champ à toutes les interprétations.
La notion d'«indissociabilité» adoptée par la législation algérienne, semble, toutefois, inspirée du principe dit de l'«interaction», fondateur des «paysages culturels», qui est apparu à l'issue des travaux du 1er «Sommet de la terre», à la Conférence des Nations unies sur l'Environnement et le Développement, tenue à Rio de Janeiro, en 1992. C'est dans le nouveau paradigme paysager et non celui environnemental, que seront puisés les outils conceptuels, méthodologiques et terminologiques, qui président à la définition des paysages culturels. La confusion et le chevauchement des approches paysagère et environnementale ont, le plus souvent, contrarié ou corrompu le processus de mise en œuvre des politiques et stratégies de protection des paysages culturels, considérés, parfois à tort, comme des aires protégées spécifiques, à dimension culturelle, tel le cas de nos parcs culturels.
A propos de l'approche paysagère, le chercheur G. Neuray avait écrit, en 1982 : c'est «ce que je vois» (1), allusion faite à un territoire perçu par les sens. Une perception subjective, qui embrasse tout le spectre de l'observable. Globalisante, elle scrute le paysage en tant qu'entité unique, totale et intégrale, une photographie dans laquelle les éléments naturels et culturels forment un tout indivisible. Le paysage culturel associe le territoire (entité physique) au regard et à la perception qu'ont les individus et les groupes qui l'observent. C'est de cet entendement que ressort le sens du parc culturel.
Si on devait souscrire à l'une des trois catégories de paysages culturels de la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO, pour trouver quelques ancrages à la notion d'indissociabilité c'est, à coup sûr, la troisième catégorie, dite des «paysages culturels associatifs», qui traduit le mieux la notion. Cette catégorie se définit par : «la force d'association de phénomènes religieux, artistique ou culturel de l'élément naturel plutôt que par des traces culturelles tangibles, qui peuvent être insignifiantes, voire même inexistante» (2).
QU'EST-CE QUE LE «PAYSAGE CULTUREL» ?
Le Sommet de Rio, notamment son Agenda 21 ou Action 21, avait fait un constat alarmant sur l'état de la diversité des paysages dans le monde, qui subissait de plein fouet les effets de la mondialisation et des progrès technologiques, en courant le risque de l'homogénéisation. Un nouveau courant de pensée avait pris naissance, prônant un autre regard sur la relation de l'homme à son environnement. Il introduisit une conception de l'environnement plus holistique, des cadres normatifs plus souples et décloisonnés, privilégiant la construction des transversalités, des systèmes en réseau, la multi et l'interdisciplinarité, face à des défis de plus en plus globaux du développement durable, de la gestion des ressources naturelles, la lutte contre la pauvreté, la sécurité alimentaire et le bien-être humain. Cette conception innovante est traduite par le modèle du paysage culturel et l'approche paysagère.
L'approche paysagère est née dans un contexte de larges débats sur le développement durable. Elle impliqua un changement de paradigmes, en bousculant les usages, jusqu'à «requérir» du Comité du patrimoine mondial de l'UNESCO, l'adoption d'une nouvelle catégorie de bien culturel dans la Liste du patrimoine mondial : les paysages culturels. C'est à sa 16ème session, tenue à Santa Fe, aux Etats-Unis, en 1992, que le Comité du patrimoine mondial avait adopté la nouvelle notion, convenant que les paysages culturels représentent les «Œuvres conjuguées de l'homme et de la nature».
La nouvelle pensée de Rio, qui a consacré l'idée d'«interaction» entre les populations avec leur territoire et ses éléments naturels, a trouvé sa traduction dans le mot «paysage», auquel a été ajouté l'adjectif «culturel». Le paysage étant un territoire qui porte, en lui-même, des valeurs culturelles. Pourquoi alors l'ajout du terme «culturel» ? C'est là le fait nouveau : «culturel» est ajouté pour exprimer l'idée d'interaction humaine avec l'environnement. Le paysage culturel serait, alors, un territoire façonné par l'activité humaine et/ou greffé de valeurs culturelles matérielles et immatérielles. Le site naturel ne peut constituer un paysage culturel par le fait de sa seule beauté, tant que l'humain n'y a pas laissé sa trace. Il demeurera un paysage naturel, procédant de la ressource et du patrimoine naturels.
LE DROIT ET LE MODE DE GESTION COUTUMIERS
Le paysage culturel ne procède pas d'un souci de label ou d'une stratégie de marketing écologique. Il est l'expression d'une prise de conscience écologique mondiale, dans un contexte de reconsidération et de reformulation des paradigmes et des approches, qui a mobilisé et réuni gouvernants, communautés locales et/ou autochtones, ONG et société civile. La reconnaissance des liens entre la diversité biologique et la diversité culturelle et donc du principe d'interaction, avait ouvert une boîte de pandore : le droit et le mode de gestion coutumiers vont, désormais, s'établir en vis-à-vis des dispositifs légaux officiels. Pour la première fois, les communautés locales et/ou autochtones sont reconnues, comme parties prenantes, dépositaires de la conservation du patrimoine et du développement des territoires.
Avec l'approche paysagère qui, par essence, établit des rapports horizontaux plutôt que verticaux, de nouvelles formes de gestion des territoires vont être adoptées, telle la gestion collaborative et participative, fondée sur la concertation des parties prenantes. Cette forme de gestion convoque l'appropriation et l'engagement collectifs et formalise la reconnaissance des communautés locales et/ou autochtones. C'est à ce niveau de la collaboration et de la participation que les difficultés d'intégration juridique et institutionnelle vont apparaître, notamment dans les pays à gouvernance politique centralisée qui, comme l'Algerie, vont éprouver des difficultés à s'inscrire dans le modèle des paysages culturels. Nous comprenons, dès lors, pourquoi cette imprécision dans la définition des Parcs culturels et l'arrimage implicite sur l'approche environnementale : une aire protégée spécifique à dimension culturelle. Le modèle des paysages culturels a mieux réussi dans les pays à forte tradition coutumière.
LE PARC CULTUREL N'EST PAS UNE AIRE PROTEGEE
Devant le corpus remarquable des données scientifiques, techniques et juridiques relatif aux paysages culturels, introduit dans les Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial de 1972, nous ne comprenons pas pourquoi la loi n° 98-04 n'a pas adopté la catégorie paysage culturel, lui préférant celle de parc culturel ? C'est probablement pour introduire de la nuance et marquer une spécificité algérienne, au regard de la problématique coutumière. Toutes les imprécisions et incohérences, relevées dans la loi n° 98-04 et sa mise en œuvre, procèdent de cette problématique.
Dans l'article 38 de la loi 98-04, l'expression «sont classés en parc culturel», est juridiquement inadéquate. On peut, en effet, classer une aire protégée, en vertu des lois sur l'Environnement en vigueur, mais on ne peut classer un parc culturel, en application d'une loi (n° 98-04), dont le régime de protection ne concerne que les «monuments historiques», les «sites archéologiques» et les «ensembles urbains ou ruraux», qui sont classés ou inscrits comme catégories de biens culturels immeubles (Art. 8). Le parc culturel relève d'un autre régime de protection, qui est prévu par les instruments d'aménagement et d'urbanisme, comme nous le verrons plus loin. La faiblesse de l'article 38 est davantage exprimée par une autre disposition, celle de l'article 106, qui soustrait le patrimoine naturel du champ d'application de la loi n° 98-04. Cet article dispose, dans son alinéa 2 : «…Sont exclus de l'inventaire général des biens culturels les sites naturels classés conformément à la loi relative à la protection de l'Environnement susvisée». Le patrimoine naturel, qui relevait, anciennement, de l'ordonnance n° 67-281, est désormais soustrait de la sphère culturelle et mis sur l'orbite de l'environnement. Par ailleurs, la loi de 2011, relative aux aires protégées, reconnaît, dans son article 4, le classement de sept (07) catégories d'aires protégées : le Parc national, le Parc naturel, la Réserve naturelle intégrale, la Réserve naturelle, la Réserve de gestion des habitats et des espèces, le Site naturel et le Corridor biologique. La catégorie ‘parc culturel' n'y figure pas. Dans l'article 16 de la même loi, il est clairement précisé que : «Les parcs culturels sont exclus du champ d'application de la présente loi».
LE PARC CULTUREL N'EST PAS UN SITE ARCHEOLOGIQUE
Une autre disposition de la loi n° 98-04, encore plus équivoque, commandait, nécessairement, un amendement, pour une mise en cohérence et en harmonie juridiques. Cela n'a pas été fait. Il s'agit de l'article 28 qui dispose : «Les sites archéologiques sont définis comme des espaces bâtis ou non bâtis qui n'ont pas de fonction active et qui témoignent des actions de l'homme ou des actions conjuguées de l'homme et de la nature, y compris les sous-sols y afférents et qui ont une valeur historique, archéologique, religieuse, artistique, scientifique, ethnologique ou anthropologique».
L'alinéa 2 de cet article précise qu' «Il s'agit notamment, des sites archéologiques, y compris les réserves archéologiques et LES PARCS CULTURELS». Ici, les parcs culturels sont assimilés à des sites archéologiques - qui n'ont pas une fonction active - ce qui est en contradiction avec le sens suggéré du parc culturel, celui d'un espace vivant. Imaginez un site archéologique de la dimension du parc du Tassili N'Ajjer ou de l'Ahaggar !
Le parc culturel, une question de territoire
L'article 40 de la loi n° 98-04 définit explicitement les missions du parc culturel : «La protection, la sauvegarde et la mise en valeur DES TERRITOIRES compris dans les limites du parc…». A aucun moment, il n'est fait référence au patrimoine culturel et/ou naturel. Si le législateur a tenu à distinguer juridiquement le territoire du patrimoine, c'est à juste raison, pour signifier que le parc culturel est entendu au sens du territoire paysager.
Le mot territoire est utilisé, expressément, au pluriel : «Des Territoires» pour préciser que le processus de création du parc culturel se décline en deux temps: un premier temps de reconnaissance et de délimitation du parc culturel, par l'autorité compétente et un second temps de création «des territoires, à l'intérieur du parc». C'est dans ce deuxième temps que s'établissent les règles et les protocoles de la collaboration et de la participation des parties prenantes (Gouvernants, populations et communautés locales, société civile…), qui déterminent les engagements et les responsabilités partagés. Cette phase n'a jamais été envisagée, par faiblesse des mécanismes et des outils requis de l'approche paysagère. L'Etat demeurant le seul dépositaire de l'action publique.
Ainsi, si le parc culturel n'est pas une aire protégée et s'il ne relève pas du régime de protection du patrimoine culturel, à quoi pourrait-il correspondre ? Cette problématique a fortement contrarié le processus de mise en œuvre de la loi n° 90-04, dans ses dispositions relatives aux parcs culturels.
Le plan general d'amenagement (pga) : Un instrument d'urbanisme
La loi n° 98-04 a prévu dans son article 40, alinéa 2, un plan général d'aménagement du parc culturel (PGA), comme «instrument de protection qui doit être inclus dans les plans d'Aménagement et d'Urbanisme…». Cette disposition nous place d'emblée dans les instruments relevant du code de l'urbanisme et non de la loi sur le patrimoine culturel. Le PGA est donc un document d'urbanisme qu'il ne faut pas confondre avec le plan de gestion, qui est un outil spécifique aux aires protégées. Il procède d'une approche identique à celle des plans de sauvegarde et de mise en valeur des secteurs sauvegardés (PSMVSS), consistant à édicter des règles et prescriptions particulières, pour soumettre tout acte de conservation, d'aménagement, ou de transformation, au respect des valeurs culturelle et naturelle indissociables.
Le PGA est un instrument de planification et d'orientation qui se veut être un dépassement de l'approche «dogmatique» des monuments et sites historiques et naturels, en évitant aux tissus paysagers vivants, la fossilisation et la fixité.
De la translation du territoire au Patrimoine culturel.
Considérant les difficultés juridiques de mise en oeuvre des dispositions de la loi n° 98-04, pour les raisons que nous avons évoquées plus haut, la création de cinq (05) parcs culturels n'a été effective qu'au travers de textes réglementaires (décrets exécutifs), qui ont converti l'ancrage au territoire - tel que fixé par la loi - en un ancrage au patrimoine culturel, par l'adoption d'un format statutaire de l'Etablissement public à caractère administratif (EPA), déviant de la trajectoire des parcs culturels.
Les décrets exécutifs portant statut des Offices des parcs culturels ont conféré aux parcs culturels des missions de protection, de sauvegarde et de mise en valeur «du patrimoine culturel et naturel des territoires compris dans les limites du parc culturel…». Un libellé qui ne correspond plus à la loi n° 98-04, qui traite de «la protection, la sauvegarde et la mise en valeur des TERRITOIRES compris dans les limites du parc culturel…».
Réajustements et mise en cohérence
Les incohérences et anachronismes juridiques et réglementaires observés, ont fini par créer une situation de fait, endossée par l'habitude et consacrée par l'usage. Ce n'est qu'à la faveur d'un concours de circonstances, qu'un regard critique soutenu a été porté sur le sujet : d'une part, depuis l'engagement d'un programme de coopération entre le Gouvernement algérien et le FEM/PNUD, signé en 1999 et ratifié en 2004, portant sur la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité, dans les deux parcs nationaux du Tassili N'Ajjer et de l'Ahaggar, et d'autre part, dans le contexte des discussions sur la loi portant Schéma national d'aménagement du territoire (SNAT).
Projet Gouvernement- FEM/PNUD
Profitant de la création d'un espace de réflexion, d'échange et de partage des expériences, dans un format international, qui a rassemblé des experts, notamment en Sciences naturelles et humaines, il a été convenu, d'envisager le programme de conservation de la biodiversité dans la perspective, non pas du parc national (sens de l'aire protégée), mais dans celle du parc culturel et de sa pierre angulaire l'indissociabilité. De nombreux ateliers avaient été organisés sur le sujet, partant des deux cas précis du Tassili N'Ajjer et de l'Ahaggar.
Il en est ressorti une idée-phare: Au sens du parc culturel, la conservation de la biodiversité est appréhendée sous le prisme culturel, celui des savoirs faire et des détenteurs de savoirs, présidant au maintien de la biodiversité.
L'idée -pour illustrer- consiste, non pas à protéger la fleur (rôle du naturaliste), mais à sauvegarder le savoir-faire qui a assuré la conservation et le maintien de cette fleur.
Cet entendement nécessitait un travail d'appropriation de l'équation attribut/valeur. Alors que l'attribut renvoie à des caractéristiques et des propriétés matérielles et objectives, la valeur renvoie à des qualités subjectives (sensibles, affectives, émotionnelles), telles les valeurs morales, éthiques, spirituelles, religieuses, idéologiques, politiques et esthétiques. C'est cette dimension du sensible et de l'affectif, qui est fondamentalement culturelle et qu'on appelle valeur, qui donne sens à l'indissociabilité et place le secteur chargé de la culture dans son rôle régalien de protecteur des valeurs culturelles. Quant aux ressources et potentialités naturelles, dans leur expression matérielle et objective, elles constituent les attributs et relèvent des missions de protection de la nature et de l'environnement, dévolues aux secteurs chargés de l'environnement, des forêts et de l'agriculture.
L'équation valeur/attribut étant entendue, il restait à la traduire en outils et mécanismes juridiques et institutionnels, pour assurer le mode de translation de l'attribut à la valeur, c'est-à-dire de l'état matériel (nature) à l'état immatériel (culture). C'est à ce niveau que se situe la pierre d'achoppement, en l'absence d'assises conceptuelles et méthodologiques, qui déterminent explicitement la ligne de partage entre le naturel et le culturel et les paradigmes qui les gouvernent.
- Le Schéma national d'aménagement du territoire (SNAT).
Les insuffisances constatées dans la mise en œuvre de la loi 98-04 en matière de parcs culturels, avaient été subtilement surmontées par l'introduction, dans la loi sur le SNAT, de nouvelles significations spatiales et territoriales des patrimoines culturel et naturel et la pertinence de leur indissociabilité. Ainsi, parmi les huit impératifs de défense et de sécurité du territoire, prévus par le SNAT, la valorisation du patrimoine culturel matériel et immatériel a été érigée en dénominateur commun de l'unité nationale. La préservation et valorisation du capital naturel et culturel du territoire constituent, désormais, l'une des trois grandes exigences de l'organisation territoriale et des trois grandes échéances de l'organisation territoriale, l'échéance écologique. Le système écologique et le système patrimonial sont placés parmi les six (06) systèmes d'articulation du territoire. Enfin, le «système patrimonial» est érigé en enjeu d'identité et de territoire : «L'organisation spatiale du système patrimonial doit faire ressortir la distinction entre l'aménagement de l'espace géographique qui colle à la réalité d'un découpage administratif et la fabrication permanente du territoire par les hommes porteurs d'identités et de cohésions sociales» (SNAT, P.14). C'est dans le paradigme de l'aménagement du territoire, et non dans celui de la protection du patrimoine culturel, que le parc culturel a trouvé sa pleine consécration juridique.
LA CREATION DES PREMIERS PARCS CULTURELS.
En 2008, une dizaine d'années après la promulgation de la loi n° 98-04, trois parcs culturels sont créés : les parcs culturels du Touat-Gourara-Tidikelt, de Tindouf et de l'Atlas saharien. En 2011, les parcs nationaux du Tassili N'Ajjer et de l'Ahaggar sont reconvertis en parcs culturels.
- Les parcs culturels de Tindouf et du Touat-Gourara-Tidikelt
ont été créés, sous le sceau de l'indissociabilité, pour contenir des espaces oasiens caractéristiques, qui encadrent un véritable itinéraire culturel transsaharien, marqué par tout un jalonnement de traces matérielles et de traditions encore vivantes, exprimées par des groupes et des individus détenteurs de savoir et de savoir-faire et transmis oralement notamment à travers l'artisanat, l'architecture, la musique, la danse, les rites, les coutumes et autres manifestations sociales et culturelles.
- Le parc culturel de l'Atlas saharien
a été créé, sur le même principe de l'indissociabilité, autour de valeurs archéologiques et historiques (gravures rupestres, ksour, sites et monuments) et leur relation au paysage et aux ressources naturelles. Au-delà de l'intérêt porté à la patrimonialité de cet espace, le parc culturel constitue une mesure de préservation d'un espace mental, dans sa configuration générale : systèmes de parcours et d'organisation des transhumances sur le piedmont sud de l'Atlas saharien, qui réalisent, depuis des millénaires, un équilibre social et écologique, en maintenant et reproduisant la cohésion d'une agrégation de communautés.
DU CAS SPECIFIQUE DU TASSILI N'AJJER.
L'exemple du Tassili N'Ajjer est illustratif de la problématique des parcs culturels. Il rassemble toute une gamme de matériaux cognitifs utiles à un bon diagnostic. Il a cette originalité de superposer trois régimes de protection, l'un national, celui du parc culturel, depuis 2011 et les deux autres internationaux, celui de site mixte de la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO, depuis1982 et de Réserve Man and Biosphère (MAB) de l'UNESCO, depuis1986. Il n'est pas dans notre sujet, ici, de revenir sur les incohérences et anachronismes liés au chevauchement de ces trois régimes de protection. Notre objectif est de situer le lien et la relation intelligibles entre les deux régimes de protection de l'UNESCO et celui du parc culturel, pour restituer la cohérence et envisager la perspective d'une meilleure caractérisation et définition du parc culturel.
- Le Tassili N'Ajjer : Un Site mixte du patrimoine mondial (1982).
Le Tassili N'Ajjer a été inscrit sur la liste du patrimoine mondial, dans la catégorie des sites mixtes naturel/culturel suivant les 4 critères i, iii, vii et viii, des Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial (3)
En matière d'intégrité, «le Tassili N'Ajjer couvre l'ensemble des sites d'art rupestre et des paysages clés représentant sa beauté naturelle et tous les sites de la diversité biologique et écologique qui constituent les attributs de la valeur universelle exceptionnelle. Les limites et la taille (72.000 km2) du bien sont suffisantes pour maintenir le processus géologique et garantir l'intégrité de l'héritage culturel du site. En matière d'authenticité, la richesse du patrimoine culture ; art rupestre et vestiges archéologiques et la diversité naturelle ; écosystème, faune, flore et zones humides, reflètent pleinement la valeur universelle exceptionnelle. Ils sont vulnérables aux détériorations causées par les phénomènes climatiques et aux dommages occasionnés par les visiteurs».
Par sa qualité de site mixte, le Tassili N'Ajjer est soumis à deux modes de gestion : l'un culturel en relation avec l'ICOMS, organe consultatif de l'UNECO, chargé du patrimoine culturel et l'autre naturel, en relation avec l'IUICN, organe consultatif de l'UNECO, chargé du patrimoine naturel. Les secteurs de la culture et de l'environnement sont les points focaux nationaux en vis-à-vis de l'UNESCO et de ses organes.
- Tassili N'Ajjer : une Réserve de biosphère (RB). La Réserve de Biosphère (RB) est une composante essentielle du programme Man And Biosphère (MAB), de l'UNESCO, dont les principales fonctions sont la conservation de la biodiversité, le développement économique et social durable et l'appui logistique à la recherche, la surveillance, l'éducation et la formation en environnement, notamment auprès des différents acteurs concernés (décideurs, gestionnaires, populations). Les activités du programme MAB sont coordonnées au niveau national par un Comité national MAB composé de personnalités scientifiques, de représentants d'organismes publics concernés par la recherche sur l'environnement ainsi que la gestion des ressources naturelles et des écosystèmes.
En Algérie, le premier comité MAB a été installé en 1981 sous l'égide de la Commission Nationale Algérienne pour l'UNESCO. En 1986, le Parc National du Tassili N'Ajjer a reçu le label UNESCO en tant que première RB algérienne du programme MAB. Les autres RB ont été classées, respectivement, à partir de, en 1990 (RB d'El-Kala…). Conformément au cadre statutaire des RB, et dans le respect de la législation nationale, six (6) parcs nationaux (Tassili N'Ajjer, El Kala, Djurdjura, Chréa, Gouraya et Taza) ont été classés en RB, entre 1986 et 2004. Les RB restent placées sous la juridiction souveraine des Etats où elles sont situées. Les Etats prenant les mesures qu'ils jugent nécessaires, selon leur propre législation, pour appliquer le cadre statutaire du réseau mondial MAB. En Algerie, la RB a été définie comme une aire protégée par la loi n°11-02, du 17 février 2011 relative aux aires protégées, dans le cadre du développement durable.
Considérant que le parc culturel n'est pas une aire protégée (art. 16 de la loi n° 11-02 de 2011 sur les aires protégées), qu'il n'est pas une catégorie de bien culturel, mais une entité territoriale (art.3, 38 et. 40 de la loi n°98-04) et que, par ailleurs, le patrimoine naturel est soustrait de la sphère culturelle (art. 106, alinéa 2 de la loi sur le patrimoine culturel), il serait difficile de démêler l'entrelacement des fils des différents régimes de protection, pour accéder à une lecteur lisible et intelligible.
LE PARC CULTUREL : ELEMENTS D'UNE DEFINITION.
De l'espace de réflexion et d'échanges, créé autour du projet Gouvernement - FEM/PNUD, il en est sorti tout un corpus de données, qui participe de l'approfondissement de la notion d' «indissociabilité», fournissant aux juristes, notamment, des éléments scientifiques et techniques, pour une éventuelle définition des parcs culturels. Ci-dessous quelques éléments.
Le parc culturel serait le résultat d'un processus d'humanisation. Observé et appréhendé en tant qu'objet culturel, il est une œuvre collective en continuelle recomposition, un produit historique des interrelations entre les populations, leurs activités, leurs représentations mentales et l'environnement qu'elles partagent. Il est un organisme territorial, au sens de l'organisme vivant, qui a son métabolisme, son rythme et sa fonction. C'est partant de cette identification qu'il s'agira de déterminer les règles d'organisation de l'espace et de préciser les structures qui gouvernent ces espaces, depuis la grotte préhistorique jusqu'aux actuels tissus urbains.
Pour parler de parc culturel, il faudrait avoir une compréhension d'ensemble du système spatial et de ses constituants. Les biologistes, les botanistes, les archéologues, les architectes, les économistes, ne peuvent accéder isolément à cette vision d'ensemble et ne peuvent arriver à un diagnostic et une évaluation du système spatial. Le parc culturel invite à un retour à la reconstruction de l'historicité du lieu, à un retour au processus historique d'humanisation de l'espace. Dans le parc culturel, il n'y a pas juxtaposition de caractères naturels et culturels, mais processus dynamique d'intégration de ces caractéristiques dans une signification culturelle».
Dans son essentiel, le parc culturel est appréhendé sous le double prisme de l'écobiologie et de l'ethnosociologie, pour déterminer, aux échelles requises, des ensembles relativement autonomes sur le plan fonctionnel, présidant à l'énoncé des règles de gestion et de suivi des ressources naturelles et culturelles dans la perspective d'un développement durable.
ENTRE GESTION ET GOUVERNANCE.
Le parc culturel appelle une nouvelle forme de gestion, fondée, notamment, sur la participation des populations et communautés locales et la gouvernance traditionnelle, qui constituent les facteurs essentiels de la préservation des patrimoines culturel et naturel. Le sujet de la gouvernance intervient, par ailleurs, dans un contexte constitutionnel d'ouverture, qui privilégie la culture du partenariat, de la collaboration et de la participation. L'article 15 de la Constitution en vigueur, dispose : «… L'Etat encourage la démocratie participative au niveau des collectivités locales» ; privilégiant le partage et l'élargissement des compétences aux collectivités locales, notamment à la commune, considérée comme «l'assise territoriale de la décentralisation et le lieu d'exercice de la citoyenneté», constituant «le cadre de participation du citoyen à la gestion des affaires publiques». Les avancées constitutionnelles sont confortées par la loi portant schéma national d'aménagement du territoire (SNAT), qui réalise l'ancrage des politiques sectorielles au territoire. Elle introduit un nouveau mode de gouvernance, qui nous déplace de l'orbite de la gestion administrative du territoire par l'Etat, à une gouvernance participative qui permet aux différences locales de s'exprimer, dans la perspective de l'intérêt national. C'est, désormais, dans une logique partenariale, entre les quatre grands acteurs de l'aménagement du territoire (l'Etat, les collectivités territoriales, le secteur privé et les citoyens), que se conçoit la nouvelle approche territoriale.
Conclusion.
Dans la perspective d'une revisite de la notion de parc culturel , la conduite à tenir consisterait, d'abord, à observer les expériences de pays ayant créé des paysages culturels, notamment ceux à forte tradition coutumière (Nouvelle Zelande, Australie, Canada…), pour évaluer les avantages et les inconvénients, tirer les enseignements utiles et envisager les mécanismes les mieux adaptés à la réalité algérienne, ensuite solliciter les parties prenantes et acteurs clés pour construire une nouvelle approche de la gouvernance, qui privilégie les structures horizontales et la gestion en réseau, plurisectorielle et multi-organisationnelle, dans la perspective du partenariat et de la décision partagée.
Dans cette vision du parc culturel, il faut distinguer l'acte de gestion de celui de la gouvernance. Le premier agit directement sur les entités physiques de la nature et de la culture (aires protégées, monuments et sites naturels et culturels, sites archéologiques…), en convoquant les concepts, méthodologiques et protocoles requis, alors que le second intervient sur les systèmes de relations entre les parties prenantes, pour garantir le maintien des valeurs culturelles et de l'intégrité du paysage, dans une vision multi-scalaire et multi-acteurs.
La forme statutaire d'établissement public à caractère administratif (EPA), qui a assuré, jusque-là, la conduite des missions publiques, au titre de l'Administration centrale (les Offices des parcs culturels), est aujourd'hui, insuffisante pour contenir l'approche paysagère, laquelle est partagée entre des parties prenantes publiques et privées diverses, appelant la construction d'un modèle de gouvernance fondé sur le partenariat et la responsabilité partagée. Une gouvernance qui met en relation la responsabilité et l'engagement des acteurs- clés, dans des protocoles de négociation et des chartes de collaboration. Dans le modèle gouvernance le responsable du parc culturel ne s'appellera plus gestionnaire mais manager ou facilitateur.
Ref.
(1) Neuray G. (1982). Des paysages, pourquoi ? Pour qui ? Comment ? Presses Agronomiques Gembloux.
(2) Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial : Critères (paragraphe 77).
(3) critère «i» : représenter un chef-d'œuvre du génie créateur humain ; critère «iii» : offrir un exemple éminent d'un type de construction ou d'ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une période ou des périodes significative (s) de l'histoire humaine ; critère «vii» : représenter des phénomènes naturels remarquables ou des aires d'une beauté naturelle et d'une importance esthétique exceptionnelle ; critère «viii» : être des exemples éminemment représentatifs des grands stades de l'histoire de la terre, y compris le témoignage de la vie, de processus géologiques en cours dans le développement des formes terrestres ou d'éléments géomorphologiques ou physiographiques ayant une grande signification
Notes:
(1) Neuray G. (1982). Des paysages, pourquoi ? Pour qui ? Comment ? Presses Agronomiques Gembloux.
(2) Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial : Critères (paragraphe 77).


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