Livres Le seuil du moment. Roman de Leila Hamoutene. Casbah Editions, 171 pages, 750 dinars Plusieurs personnages, plusieurs vies, à travers l'histoire de Warda. Résidant en plein centre-ville (Alger), elle voit, de sa fenêtre, se dérouler les manifestations populaires et pacifiques du Hirak. Ayant vécu, dans un quartier populaire, les drames d'une famille instable et partagée (un père aimant mais «lointain», une mère «odieuse», n'ayant d'yeux que pour les deux frères islamo-terroristes), elle a réussi quand même à réussir ses études grâce à un couple d'enseignants progressistes, et elle a vu, plus tard, son époux et des amis, très chers, assassinés pour leurs idées. Aujourd'hui journaliste, elle assiste, d'abord de loin, puis de très près, à la naissance d'une nouvelle Algérie à laquelle elle n'y croyait presque plus. Tel Orphée descendant dans les profondeurs de l'enfer pour ramener Eurydice à la vie, l'héroïne du roman s'immerge dans les souvenirs. D'abord étonnée, puis curieuse et enfin décidée, elle rejoint les manifestants et redécouvre d'autres amitiés, d'autres engagements. Tout cela sans oublier les douloureux (et/ou doux) moments du passé. Dans sa quête de liberté (plus que de bonheur, celui-ci étant parti avec son défunt époux), elle cherche l'espoir d'un mieux-être, se suffisant souvent du bonheur des autres, plus jeunes, moins «pollués», plus engagés. Encore qu'il lui était très difficile de se débarrasser des traumatismes dus à la décennie noire. Tout le nœud de la problématique d'une société (en tout cas celle des plus âgés) encore gravement perturbée et encore angoissée à l'idée de «retours de manivelle» qui enfoncent plus qu'ils ne libèrent. L'Auteure : Auteure de plusieurs ouvrages, romans, recueils de nouvelles et de poésie. Prix Escale littéraire d'Alger (2015) pour son roman, «Le châle de Zeineb». Elle vit à Alger. Extraits : «L'essentiel est le partage, la symbiose, la volonté de changer les choses, la jovialité bon enfant qu'accompagnent pourtant des slogans péremptoires et sans appel» (p 51), «Une enveloppe sans timbre ni oblitération, une feuille blanche, quelques mots et la mort est à votre porte» (p 63), «Le manque d'amour dont souffre d'une manière générale la société dont l'équilibre doit forcément pâtir de toutes ces insatisfactions et ces souffrances et que tout cela a sûrement joué un rôle dans la tragédie que nous vivons» (p 94). Avis : Un beau roman... inachevé (?), nous laissant sur notre faim. Si ce roman se veut d'abord une fiction, il est ponctué par quelques dates historiques qui nous plongent d'emblée dans la réalité cruelle du passé de l'Algérie avec ses vagues d'attentats et d'assassinats de journalistes et d'intellectuels tous azimuts. On a l'impression que ce roman se veut surtout un hommage à ces disparus pour que nul n'oublie. Citations : «Chez nous, le monde des hommes et celui des femmes sont des univers parallèles qui, tels qu'ils sont définis chez nous, ne devraient pas se rencontrer; à ce titre, le mariage a l'apparence d'une altération de l'ordre des choses» (p 73), «Le Hirak a opéré un téléportage de la lutte pour l'indépendance à celle pour la démocratie, pour une vie meilleure, comme nous les avions souhaitées et défendues pendant la décennie noire» (p 105), «Les intégristes assassinaient les intellectuels, alors les idées se mouraient» (p 119), «Ce Hirak, c'est mieux qu'une leçon d'histoire» (p 134), «Savoir que tu redonnes l'espoir à des gens qui se sentent moins seuls grâce à toi, c'est enivrant» (p 147), «Avoir peur, trembler pour les siens, lutter contre cette insidieuse fatalité qui s'installait dans les esprits annihilant toute résistance, voir régner la corruption et être impuissant devant sa propagation, ce n'était pas cela vivre» (p 151). La Pieuvre. Roman de Salima Mimoune. Editions Les Presses du Chélif, Chlef, 2021. 149 pages Un roman inspiré d'une histoire réelle, nous dit-on. On peut les croire tant il est vrai que, durant la période décrite, l'histoire s'est retrouvée répétée mille et une fois dans la plupart de nos villes et villages, juste avant puis après 1988 et durant les années 2000. Aujourd'hui encore, il y a de mauvais»restes». La vie en société s'est donc retrouvée, peu à peu, insidieusement, puis brutalement, «contrôlée» par des individus, seuls ou en groupes, qui s'étaient arrogés le droit de décider de la façon de penser et de vivre des jeunes d'abord (au niveau des écoles et des établissements scolaires) puis des moins jeunes (dans la rue, dans les mosquées). La brutalité verbale et les menaces furent suivies par l'agression physique puis par l'assassinat. Dans le village de notre héroïne, la bête immonde, une véritable pieuvre intolérante et assassine, a commencé à étaler ses tentacules un peu partout, mais tout d'abord à l'école avec la complicité de certains enseignants (importés), aidés en cela par les «voyous» du coin en recherche de «rédemption» ou seulement de «coups» à faire. Premières cibles, les femmes ! Frustration quand tu nous tiens ! Ils traquent Yousra et Yanis, deux jeunes lycéens qui découvraient les prémisses de l'amour... allant jusqu'à tenter de les assassiner. Ils échapperont de justesse à l'attentat mais leur jeune enseignant «coupable» de les comprendre et de les aider à progresser grâce à la science et à l'art est égorgé. Le cauchemar de la décennie rouge allait commencer. «Les mercenaires vont multiplier les alliances et tenter d'imposer leurs lois. Le pays ne fonctionnera plus alors que sous le règne des rapaces et des charlatans. Leurs attaques continueront à être dirigées en premier lieu contre les femmes et les porteurs d'espoir». Une seule issue? Partir? Ou continuer la résistance comme le fait déjà le moudjahid Hedda ? L'Auteure : Née à Taher (Jijel), diplômée en Sciences économiques. Déjà deux romans, «Les Ombres et L'Echappée belle», «Le Bal des mensonges». Extraits : «Le petit fait divers prend l'allure d'un scandale et fait l'objet de palabres (...). C'est qu'on y brode fort ! La rumeur y est reine ! La condamnation souveraine. Il faut l'appliquer même en l'absence de faute» (p 23), «Nous vivons des moments de grande crise, une période à même d'ébranler la société. De quoi rêvent ces contrevents de voiles d'avenir ? D'un futur unisexe, unijambiste, où l'espace est exclusivement occupé par l'homme ? De quoi la société accouchera-t-elle dans les années à venir ? Jusqu'où iront ces imposteurs ? Est-ce que le pays s'en relèvera ?» (p 122). Avis : Un récit de vie (s) plus qu'un roman. Ecrit avec sincérité, un style incandescent, sans détour, poétique aussi et révolte contenue contre le grand, le terrifiant drame que le pays allait connaître. Citations : «Malheureusement, les temps changent (...). Une camelote planquée sous de fausses raisons religieuses tente aujourd'hui d'exclure l'intelligence et toutes les forces qui œuvrent pour l'émancipation et le progrès; l'ignorante crasse veut s'ériger en modèle de vertu, imposer son bazar dans les affaires de la cité, aux femmes, aux hommes et aux enfants aussi» (p 33), «On ne répond pas par la répression à un peuple qui réclame ses droits sans s'exposer à sa colère ni on ne blesse une adolescente sans risquer d'amplifier sa révolte» (p 89).