D'aucuns se demandent pourquoi nous insistons, aujourd'hui particulièrement, sur la nécessité voire l'urgence d'un instrument normatif relatif aux musées et collections muséales. A cela, il y a trois raisons essentielles : la première est récurrente, celle de combler un hiatus juridique, la seconde consiste à mettre en cohérence et en harmonie le dispositif juridique interne avec les principes et orientations de la recommandation UNESCO de 2015 (1) et du code éthique et déontologique du Conseil International des Musées (ICOM) (2), la troisième, celle que nous allons examiner ici, répond à une attente nationale, celle de la mise en œuvre des outils de la décentralisation, notamment la gestion participative et le partage des compétence et des responsabilités entre l'Etat et les autres acteurs (collectivités territoriales et autres personnes morales de droit public ou privé), dans le champ de la culture et de son versant rigide, le patrimoine culturel. Cest ce dernier terrain d'analyse que nous avons sollicité, pour établir un état des lieux et faire l'inventaire des matériaux (juridiques, institutionnels, financiers, logistiques), qui participent d'un diagnostic objectif du champ muséal national. Parler de partage de compétence et de responsabilité, dans un domaine considéré - à tort - comme l'exclusivité de l'Etat, peut surprendre et bousculer les entendements. Lorsque nous évoquons, par exemple, certaines options prises par l'Etat (Ministère de la Culture), du genre « une commune = une bibliothèque », la chose est tout naturellement entendue, bibliothèque et lecture publique se greffant sur la cartographie éducative. Suggérer la même idée pour « une commune = un musée » paraitrait, par contre, illusoire, alors que, d'évidence, musée et bibliothèque procèdent du même régime spécial de la domanialité publique et constituent des services publics. En vérité, c'est l'idée ancrée dans l'imagerie collective que le musée appartient aux catégories du patrimoine culturel (Ordonnance n°67-281 puis loi n°98-04), qui fait entretenir les amalgames, en plaçant les musées et les collections sous la tutelle exclusive de l'Etat, excluant tout partage de compétences. Pour s'en convaincre, sur les 58 wilayas et les 1541 communes, qui structurent administrativement le territoire algérien (2,382 millions km2), combien de musées territoriaux et privés comptons-nous ? Le bilan est sans appel. Lorsque nous nous referons au statut-type des musées de 2011(3), toujours en vigueur, nous lisons dans son article 24, que la création de musées publics, auprès des collectivités locales, est subordonnée à la délivrance d'un certificat de conformité par le ministre chargé de la culture, après avis de la commission des musées. La création est conditionnée par l'existence d'objets constitutifs de collection(s) et/ou de collections, le respect des normes professionnelles en matière muséale et la conformité des espaces de présentation et de conservation aux normes muséographiques requises. De même que son article 26 prévoit la création de musées privés, qui sont subordonnés également à la délivrance d'un certificat de conformité par le ministre chargé de la culture, après avis de la commission des musées, renouvelable tous les cinq (5) ans. La création est conditionnée par l'existence d'un projet musée, de collections et de support(s) muséographique(s) et/ou médiatique(s), le respect des normes professionnelles en matière muséale et la conformité des espaces de présentation et/ou de conservation aux normes muséographiques requises. Une dizaine d'années après la promulgation du statut-type des musées, l'absence de réaction est significative d'une situation jugée préoccupante, dont les conséquences sont considérables, notamment en termes de plus-values économiques et d'opportunités d'emplois. Essayons d'examiner de plus près cette situation et voyons comment la question du partage des compétences et des responsabilités se pose dans le champ muséal, comparativement au champ patrimonial : -Dans le champ patrimonial (monuments et sites historiques, secteurs sauvegardés, parcs culturels), c'est l'intérêt général « public » qui confère à l'Etat (ministère de la culture) le pouvoir de tutelle sur l'activité directe de reconnaissance (inventaire), de conservation et de protection. L'idée d'un transfert des compétences et des responsabilités de l'Etat vers d'autres acteurs est exclue, ici, sans un réexamen du dispositif constitutionnel. -Dans le champ muséal, la situation est différente, l'intérêt général « public » n'est pas l'exclusivité de l'Etat. Les musées et les collections, à l'instar des bibliothèques et de leurs fonds livresques, peuvent relever de la tutelle des collectivités territoriales ou d'autres personnes morales de droit public ou privé à but non lucratif, mais dans un rapport particulier à l'Etat, en matière d'activités directes de reconnaissance (inventaire), de conservation et de protection des collections publiques. C'est ce rapport à l'Etat qu'il s'agira de définir, dans une loi. Ceci étant explicité, il reste à traduire ces principes normatifs dans la réalité du champ muséal algérien, qui demeure, cependant, fortement imprégné par l'ordonnance n°45-1546 de 1945 (4) qui a défini le musée comme «toute collection, permanente et ouverte au public, d'œuvres présentant un intérêt artistique, historique ou archéologique» (art.1), alors qu'en France même, cette ordonnance a été modifiée et complétée, en 2002 (5), pour permettre les transformations et l'actualisation. Considérant la proximité historique des musées de France et d'Algérie, leur ancrage au même système juridique romano-germanique (mêmes catégories de définition et de classifications, il serait intéressant de s'inspirer des principes et mécanismes de dépassement de l'ordonnance n°45-1546 de 1945 et d'intégration dans un nouveau paradigme de conciliation des principes de la décentralisation (principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales) avec les impératifs régaliens de gestion des collections. Le législateur français, tout en réaffirmant le principe du contrôle de l'Etat sur les musées, avait inventé un mécanisme subtile, présenté sous l'habillage d'un label : le « label musée de France », que l'Etat peut accorder à tous les musées, sans distinction aucune, en les rendant éligibles aux soutiens scientifique, technique et financier de l'Etat, moyennant l'acceptation de l'inaliénabilité de leurs collections permanentes et de leur inscription sur un inventaire réglementaire (art.1), Cela signifie en clair que désormais l'Etat intervient dans le champ muséal, comme un partenaire, mais un partenaire qui ne se dessaisit pas de son rôle de puissance publique, puisque l'accès au label est soumis à conditions. Le contrôle de l'Etat ne s'exerçant pas sur la propriété du musée et des collections, mais sur l'usage qui en est fait, étant donné qu'il y a admission de public. C'est ce paradigme du partage des compétences et des responsabilités qui devrait inspirer nos législateurs, dans l'éventualité d'une loi sur les musées et les collections. Tout en garantissant la sécurité du patrimoine culturel national, cette nouvelle approche ouvre la perspective d'une gouvernance participative, qui confère aux collectivités locales, à la société civile et au citoyen, un rôle actif dans la mise en œuvre de la politique publique culturelle. Le musée devient, par ailleurs, une opportunité économique pour les collectivités locales, qui y voient une issue pour des projets de développement au titre de l'attractivité territoriale et son corollaire le tourisme culturel. Nous passons d'une logique de l'Etat, où la politique publique sectorielle transcendait la spécificité territoriale, à la logique des dynamiques territoriales. Le local perd sa fonction de démembrement du national pour se convertir en territoire producteur du sens national. Des participations sont accordées au secteur privé et au monde associatif, par l'établissement de connexions, sur la base de contrats et de partenariats, dans lesquels l'Etat va jouer le rôle de partenaire majeur, évoluant dans la logique entrepreneuriale des industries culturelles. Ce chantier de réflexion est déjà sollicité par l'article 38 bis de la Constitution, qui énonce dans son premier alinéa que « le droit à la culture est garanti au citoyen ». Une disposition annonciatrice d'une nouvelle approche de la culture, formulée, non plus en termes d'offre culturelle, mais en « droit », impliquant une action positive des pouvoirs publics (Etat et collectivités territoriales) à l'endroit du citoyen algérien. Par ailleurs, l'article 15 de la Constitution « ...L'Etat encourage la démocratie participative au niveau des collectivités locales », précise et confirme ce besoin et cette nécessité de partage et d'élargissement des compétences aux collectivités locales, notamment à la commune, considérée comme « l'assise territoriale de la décentralisation et le lieu d'exercice de la citoyenneté », constituant « le cadre de participation du citoyen à la gestion des affaires publiques ». Cette avancée constitutionnelle est confortée, dans sa mise en œuvre, par une loi portant schéma national d'aménagement du territoire (SNAT), qui réalise l'ancrage des politiques sectorielles au territoire. Une loi qui introduit un nouveau mode de gouvernance, en nous déplaçant, progressivement, de l'orbite de la gestion administrative du territoire, où l'Etat, omniprésent, était appelé à assurer la répartition des équipements et la distribution égalitaire du développement économique, à une gouvernance participative qui permet aux différences locales de s'exprimer, dans la perspective de l'intérêt national. C'est, désormais, dans une logique partenariale, entre les quatre grands acteurs de l'aménagement du territoire (l'Etat, les collectivités territoriales, le secteur privé et les citoyens), que se conçoit la nouvelle approche territoriale. Tous les matériaux nécessaires à la mise en œuvre de cette réforme du paysage muséal sont disponibles, notamment la masse considérable d'un mobilier qui encombre les réserves de musées et les dépôts de sites et dont un inventaire rétrospectif, par la « commission des musées », permettrait d'envisager la constitution de collections muséales, à répartir à l'échelle du territoire, selon la nature et la provenance du mobilier. Une opération qui permettra d'esquisser une cartographie muséale équilibrée, en phase avec les réalités nationale et territoriale. Cette réforme muséale sera, par ailleurs, une réponse aux Recommandations UNECO de 2015 » et au Code de déontologie de l'ICOM, prédisposant l'Etat partie Algérie à une participation efficace aux forums internationaux sur les biens culturels. * Docteur Renvois (1) La Recommandation concernant la protection et la promotion des musées et des collections, de leur diversité et de leur rôle dans la société (2015), dénommée « la Recommandation de 2015 ») a été adoptée par la Conférence générale de l'UNESCO, à sa 38e session en 2015 (résolution 38 C/49) (2) Code de déontologie de l'ICOM qui fixe les normes minimales de pratiques et de performance professionnelle pour les musées et leur personnel. Il définit le musée comme : « Institution permanente sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l'humanité et de son environnement à des fins d'études, d'éducation et de délectation. (3) Décret exécutif n° 11-352 du 5 octobre 2011 fixant le statut-type des musées et des centres d'interprétation à caractère muséal. Ce décret repose « naïvement » sur la loi n°98-04 portant protection du patrimoine culturel. (4) 0rdonnance n° 45-1546 du 13 juillet 1945 portant organisation provisoire des musée des beaux-arts». (5) Loi n°2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France.