LONDRES - Qui voudrait être responsable de la politique monétaire en 2022 ? À en juger par l'âpreté des débats économiques et politiques en cours dans le monde, c'est comme si la chasse aux gouverneurs de banques centrales était ouverte : ils se font tirer dessus de tous les côtés. Le président de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell, et ses collègues sont accusés de ne pas avoir décelé les premiers signes d'une menace inflationniste l'année dernière. Jusqu'à l'automne dernier, ils affirmaient que la hausse des prix était «transitoire». L'inflation annuelle américaine approchant aujourd'hui les deux chiffres, il semble que cela ait été un mauvais jugement. Cependant, maintenant que la Fed a reconnu son erreur et s'est mise à augmenter les taux d'intérêt, nombreux sont ceux qui l'accusent d'étouffer la reprise post-pandémique, de faire s'effondrer les marchés boursiers et obligataires et de précipiter une récession. La Banque centrale européenne n'a pas encore commencé à relever ses taux, mais elle devrait le faire en juillet. La BCE est accusée à la fois d'indécision et de semer les graines d'une nouvelle crise de la zone euro en suggérant une inversion potentielle de l'assouplissement quantitatif. L'écart entre les rendements des obligations d'Etat italiennes et allemandes s'est considérablement élargi, menaçant la stabilité budgétaire de l'Europe du Sud. Une arme anti-fragmentation a été promise, mais reste pour l'instant à l'état de projet. La Banque d'Angleterre fait face à un acte d'accusation ressemblant à celui dressé contre la Fed, avec quelques facteurs aggravants. Certains ont accusé le gouverneur de la BOE, Andrew Bailey, de se laver les mains du problème de l'inflation en rejetant la responsabilité de la flambée des prix sur des facteurs exogènes la guerre en Ukraine et les pénuries d'énergie. La Banque est également accusée de «pensée de groupe». Trois des quatre membres externes de son comité de politique monétaire ont voté deux fois en faveur d'une hausse des taux, mais ont été contrecarrés par les cinq membres internes de la BOE. La Banque du Japon est dans une position différente. Elle est accusée de ne rien faire et de présider à une forte baisse de la valeur externe du yen. Il est tentant de conclure que les banquiers centraux sont actuellement condamnés s'ils agissent comme s'ils ne font rien. Peut-être que s'ils restent calmes et constants, ils survivront à la tempête. Paul Volcker, le président de la Fed de l'époque, était l'ennemi public numéro un aux Etats-Unis au début des années 1980, lorsqu'il a mis fin à l'inflation post-choc pétrolier au moyen de taux d'intérêt à deux chiffres. Pourtant, dans les dernières années de sa vie, il a été vénéré et est devenu un trésor national, appelé au chevet des présidents successifs en cas d'urgence financière. Mais les banquiers centraux seraient bien avisés de ne pas supposer que leur réputation se rétablira automatiquement et que le statu quo ante sera restauré. Nous vivons à une époque plus contestataire que celle des années 1980. Les institutions publiques sont plus régulièrement remises en question et tenues de rendre des comptes par des législateurs beaucoup moins révérencieux. Lorsqu'un autre ancien président de la Fed, Alan Greenspan, avait déclaré au Congrès qu'il avait «appris à marmonner avec une grande incohérence», cela avait été pris comme un aparté plein d'esprit. Une telle remarque ne passerait pas aussi bien aujourd'hui. Être fier d'être obscur n'est plus à la mode. Après une longue période où critiquer ouvertement une banque centrale indépendante était mal vu, les hommes politiques le font aujourd'hui souvent avec alacrité. La Fed et la BCE essuient de solides critiques au Congrès et au Parlement européen, respectivement. L'un des plus proches alliés politiques du Premier ministre britannique Boris Johnson a demandé la tête de M. Bailey à la BOE. De plus, d'anciens banquiers centraux ont rejoint le chœur des critiques. L'ancien président de la Fed, Ben Bernanke, enfreignant la règle non écrite de ne pas faire de reproches à ses successeurs, a déclaré que la Fed actuelle avait fait «une erreur» en réagissant lentement à l'inflation. Et les prédécesseurs immédiats de M. Bailey, Mervyn King et Mark Carney, ont également remis en question la politique de la BOE. Le tissu de la fraternité des banques centrales est en train de s'effilocher. Cette désapprobation va-t-elle se renforcer ? Pourra-t-elle se fondre en une critique cohérente, conduisant peut-être à une remise en question de l'indépendance des banques centrales et du ciblage de l'inflation ? Bien que les banques centrales n'aient guère été impressionnantes dans la période qui a précédé la crise financière mondiale de 2008, elles ont été, paradoxalement, les plus grandes gagnantes dans la période qui a suivi. Malgré les échecs des responsables de la politique monétaire, les gouvernements du monde entier leur ont conféré de nouveaux pouvoirs et responsabilités, notamment dans le domaine de la réglementation. Elles en sont sorties plus fortes que jamais. Mais il y a maintenant des signes inquiétants d'un retour de bâton, notamment dans deux nouveaux livres qui remettent en question l'orthodoxie politique de ces dernières décennies. Deux hirondelles ne font pas un été, mais elles permettent de se demander si le temps n'est pas sur le point de changer. Dans The Price of Time, Edward Chancellor lance une attaque frontale contre les politiques adoptées par les banques centrales au cours des quinze dernières années. Selon lui, en se concentrant uniquement sur l'inflation des prix à la consommation et en négligeant les prix des actifs, les banques centrales ont nui à l'investissement et à la croissance, ont créé une instabilité financière causée par les taux d'intérêt très bas et ont accru les inégalités avec l'assouplissement quantitatif. Selon Chancellor, le paradigme doit être sérieusement remanié. Les autorités monétaires ont besoin d'objectifs différents et d'une responsabilité accrue. Jon Danielsson, professeur de finance à la London School of Economics, est plus préoccupé par la concentration excessive du pouvoir. Dans The Illusion of Control, il affirme que confier aux banques centrales la responsabilité de la stabilité financière est une erreur car ces dernières sont confrontées à «un domaine d'action complexe et mal défini pour lequel il n'existe pas de consensus clair, que ce soit à propos du problème ou de l'objectif». L'entreprise est par conséquent vouée à l'échec. Des agences séparées, avec une responsabilité politique plus directe, sont nécessaires pour mener à bien cette tâche. Ces critiques sont peut-être exagérées. Mais elles soulèvent des questions importantes auxquelles les banques centrales doivent répondre. Ce n'est pas en marmonnant avec beaucoup d'incohérence que l'on mettra fin à ces défis. Les responsables de la politique monétaire devront rassembler leurs défenses de manière plus efficace et ne devraient pas supposer que l'indépendance des banques centrales marque la fin de l'histoire monétaire. Traduit de l'anglais par Timothée Demont *Président du NatWest Group