Malgré les alertes des infectiologues et des professionnels de la santé en général, sur l'usage abusif ou inapproprié des antibiotiques avec le risque de se retrouver devant «une impasse thérapeutique» en raison de la résistance aux antimicrobiens, des pharmaciens continuent à vendre des antibiotiques sans ordonnance. Et ce en l'absence d'une réglementation claire et précise interdisant la délivrance ou la vente d'antibiotiques sans une prescription médicale. La table ronde tenue à l'occasion de «la semaine mondiale pour un bon usage des antimicrobiens» organisée hier, à Alger, par Pfizer Pharm Algérie, a donné lieu à un vif débat sur la question de la «résistance aux antibiotiques» mais surtout sur «l'automédication» et «la prescription et aussi la délivrance abusive des antibiotiques parfois sans ordonnance». Pourtant, le projet de promulguer un décret interdisant la vente en pharmacie des antibiotiques sans prescription médicale est resté en suspens depuis 2011. Les infectiologues reviennent à la charge aujourd'hui pour réclamer encore une fois l'élaboration d'une réglementation claire interdisant la délivrance des antibiotiques sans ordonnance. Et ce pour mettre un frein à l'automédication qui nous expose à un rythme de consommation inquiétant de tous types de substances médicamenteuses y compris les antimicrobiens. Avec le risque bien évidemment de «fragiliser les armes thérapeutiques face aux bactéries résistantes» dit le professeur Nassima Achour, chef de service infectiologie à l'hôpital El Kettar. «On risque de ne plus trouver de molécules capables de soigner ne serait-ce qu'une infection cutanée, face à la résistance aux antibiotiques». Elle affirme que «l'on assiste ces derniers temps à des résistances à des antituberculeux», ce qui est grave selon la spécialiste. Le Pr Achour a précisé que «nous sommes de mauvais utilisateurs des antibiotiques» et le classement de l'Algérie parmi les six pays grands consommateurs de médicaments antibiotiques dans le monde confirme cette donne. 15 années auparavant, dit-elle, c'étaient bien les pays riches et développés qui consommaient le plus d'antibiotiques, aujourd'hui le classement fait ressortir que les mauvais élèves, consommateurs excessifs d'antimicrobiens sont «l'Algérie, la Tunisie, la Turquie, la Grèce, la Roumanie et l'Espagne». Les spécialistes affirment qu'on a même trop abusé en matière de prescription de ce genre de médicaments d'où la nécessité de se rattraper, en évitant de prescrire des antibiotiques sans preuves cliniques et parfois sans preuves microbiologiques. «Une fièvre ne nécessite pas forcément des antibiotiques». Le Pr Achour alerte qu'à ce rythme et selon le pronostic des professionnels au niveau mondial, la résistance antibiotique causerait à partir de 2050 la mort de 10 millions de personnes par an, en précisant qu'en tête de liste «ça sera l'Afrique suivie par l'Asie» d'où la nécessité d'agir vite et efficacement. Et ce en adoptant des mesures politiques et techniques préventives en favorisant la formation et la sensibilisation du corps médical mais aussi le grand public, notamment sur les dangers de l'automédication qui prend de l'ampleur. «L'antibiothérapie doit être adaptée, réfléchie et judicieusement choisie». De son côté, Pr Hanifa Ziane a expliqué que «l'antibiorésistance est un problème qui concerne tout le monde et de façon quotidienne. Nous sommes tous concernés aussi bien le professionnel de la santé que le citoyen», ajoutant que «l'objectif est d'agir très rapidement pour maintenir le plus longtemps possible l'action des antibiotiques». Les invités de la table ronde ont également évoqué la surconsommation d'antibiotiques chez les animaux ou en agriculture, qui elle aussi développe une résistance aux antimicrobiens et menace la santé humaine.