L'accélération de la transformation digitale a été énoncée comme objectif majeur par le gouvernement. C'est que l'utilisation des nouvelles technologies contribue à améliorer l'accessibilité et la qualité des services rendus au citoyen. Plusieurs réformes sont venues d'ailleurs confirmer le choix de la digitalisation comme catalyseur d'avancées structurelles tant en matière de simplification et de qualité du service qu'au niveau de la performance des entités administratives. L'administration électronique est, en effet, une porte que chacun peut franchir à sa guise, refermer, oublier, rouvrir, à volonté, la nuit, le jour, à l'heure qui convient le mieux pour s'occuper de démarches administratives. Cette porte de l'administration, elle est dans l'ordinateur personnel de chaque usager. Le «sésame ouvre-toi...» obéit au doigt et au clic. L'administration au bout du doigt... donne un goût de liberté et la sensation qu'on peut gérer son temps au mieux de ses préoccupations. La nouvelle administration, e-administration ou administration électronique, est en marche et semble s'éloigner de l'ancienne et toujours actuelle, celle du papier, la p-administration, caractérisée par des services publics informatisés, mais cloisonnés, souvent isolés les uns des autres, et reliés au public par l'intermédiaire des guichets et de la correspondance, du téléphone souvent anonyme et des rencontres de circonstance.* Aujourd'hui, il est admis que partout dans le monde, les Etats, les gouvernements, les administrations, utilisent les nouvelles technologies de l'information et de la communication pour se rapprocher des usagers, traiter leurs demandes de papiers, leurs dossiers, répondre à leurs besoins d'efficacité, de vitesse, de moindre coût, de sécurité, de protection de leurs données personnelles. Avec le lancement du portail gouvernemental numérique des services publics, l'année 2023 sera, dit-on, celle de la relance du processus de numérisation et de modernisation de l'administration publique. A la grande satisfaction des citoyens qui, d'un simple clic de souris, pourraient franchir les portes de l'administration électronique, sans qu'ils aient à ouvrir leurs sacs, montrer leurs papiers, chercher une hôtesse ou un guichet, se présenter, répondre à des questions ! Mais cette « gouvernance électronique » a un autre coût qui gagnerait à être identifié ! Notre quotidien, disent les experts, est de plus en plus rythmé par des procédures numériques, que ce soit dans la sphère privée professionnelle ou publique : e-administration, recherche d'emploi, de logement, réservation de billets de train ou d'avion, virements bancaires, applications mobiles, etc. Cette tendance à la « e-organisation » ne cesse de se développer, ce qui risque de marginaliser, un peu plus chaque jour, ceux qui ne savent pas utiliser un terminal de télécommunication (smartphone, tablette, ordinateur, etc.), et ceux qui n'y ont pas accès ! En Algérie, dans la foulée des réformes, nous avons peu conscience de ce danger identifié par ailleurs sous l'appellation d'«illectronisme» ! Ce mot un peu barbare est un néologisme venant de la traduction de «informationilliteracy» qui transpose le concept d'illettrisme dans le domaine de l'information électronique. C'est le fait de ne pas maîtriser les outils numériques. Sinon, personne dans l'entourage de Brahim Merad parmi ses proches conseillers ou les informaticiens de son département, n'a réfléchi au moyen d'attirer son attention sur ce risque qui ira s'aggravant jusqu'à devenir, à Dieu ne plaise, un facteur d'«exclusion sociale» !!! Que restera-t-il alors de sa politique d'«humanisation» de l'administration algérienne si, en définitive, elle devrait mener à une «fracture numérique» d'où en seraient exclues de larges couches de notre population ? L'illectronisme cousin de l'illettrisme, toujours selon les experts de la chose, est un fléau qu'il faut combattre activement, à l'heure où l'utilisation des services web devient un passage obligatoire. Appellation effarante, faut-il le préciser, que nous avons découverte en même temps que nous la livrons au lecteur et surtout à ceux qui ont planifié pour le pays « la gouvernance électronique à pas de charge », faut-il le dire ! On ne peut parler de gouvernance électronique sans s'y intéresser. A fortiori, au ministère de l'Intérieur et au ministère de la Numérisation et des Statistiques qui en ont fait leur cheval de bataille ! Ces ministères doivent d'ores et déjà réfléchir aux moyens d'identifier tous ces Algériens des zones d'ombre qui sont dans le dénuement face à l'informatique et aux outils électroniques en général. Beaucoup d'entre nos concitoyens sont même conduits, aujourd'hui, à renoncer à une requête, une démarche administrative ou commerciale par le fait de cet illectronisme. Ces personnes, disons-nous, se privent, alors, d'une aide ou d'un remboursement auxquels elles ont droit ! Certains mêmes ont le sentiment que leurs chances d'accéder à un travail étaient limitées on annulées à cause de l'emploi indispensable d'Internet ou ce qu'on appelle communément l'usage de l'«outil informatique» ! Une difficulté qui risque de prendre de l'ampleur dans la perspective de la «dématérialisation totale de l'administration» voulue par le gouvernement» ! Que faut-il faire alors ? Identifier, comme cela s'est fait ailleurs, les profils des usages de l'Internet : - Les « aguerris » qui n'ont aucune difficulté - Les « volontaires » qui ne maîtrisent pas l'outil mais qui souhaitent y arriver. - Les « décalés » qui ne se servent pas d'Internet tous les jours et se font aider d'un proche. - Les « réfractaires » qui font carrément sans. - Les « occasionnels », souvent jeunes et ne disposant pas d'une connexion permanente. Faute de moyens personnels (smartphone, tablette, PC) ou faute de connexion ou de débit !!! Et il y a aussi et surtout ceux que les spécialistes ont nommés les «abandonistes» (encore un néologisme) qui renoncent aux démarches en ligne, car ils peinent à naviguer sur le net pour causes de complexité des mots de passe, de langage administratif rédhibitoire sur sites web, etc. Comment éviter la facture numérique ? 1. Prendre le mal par la racine, à partir de l'école; en avançant la formation dès le plus jeune âge de la compréhension du monde informatique, on peut augmenter le niveau d'exigence et donc former de meilleurs informaticiens. Pour l'heure, à tous les niveaux scolaires, il y a, clairement, un manque de compétences en matière de maîtrise de l'univers informatique. En plus des moyens et de l'équipement quasi inexistant dans les établissements d'enseignement ! 2. La particularité de l'Algérie est de disposer d'un réseau étendu permettant une connexion à qualité égale de l'ensemble des zones urbaines et rurales, y compris celles jouxtant les frontières nationales. Le ministre des TIC doit travailler pour une baisse des coûts de l'Internet en parallèle à une hausse de son débit à partir de l'entrée en service de deux câbles sous-marins à partir de l'Europe. D'autres efforts sont attendus du même ministre : 1. Obtenir la révision à la baisse des prix des PC et autre tablettes en supprimant quelques taxes. 2. Et surtout amener les opérateurs de téléphonies mobiles qui engrangent d'énormes bénéfices grâce au marché algérien très porteur, à financer un « plan de formation » pour ne plus laisser sur le carreau du numérique les usagers notamment ceux concernés par la e-administration qu'on a qualifiés supra d'«abandonistes » ? Et du budget de l'Etat et des collectivités locales : A travers l'acquisition, par exemple, de bus équipés d'ordinateurs pour faciliter l'initiation à l'informatique aux usagers des zones d'ombre, rurales et éloignées principalement. C'est à ce prix, peut-être, que nous éviterions la fracture numérique et le coût qui en découlerait ! *Georges Chatillon « L'Administration électronique : enjeux pratiques, défis juridiques ».