Né d'une relation interdite, comment voulez-vous qu'il échappe à une vie d'injustice ? Dès sa naissance, on lui fait porter le signe de l'indignité sur la première lettre de son nom, ne dit-on pas un bonnet d'âne pour le cancre de la classe ? On l'affuble de toutes les associations avec ce qui engendre moquerie ou colère. N'a-t-on pas ri du dos-d'âne devant la porte de l'ancienne université oranaise lorsque fusaient les gros mots des automobilistes qui s'y cognaient à la nuit tombée. Et toutes ces expressions, têtu comme un âne (comme par hasard deux bonnets d'âne), endurant aux charges des corvées, aussi bête qu'un âne et ainsi de suite. Ce pauvre âne, innocent et qui porte en silence son supplice infligé par sa naissance honteuse. Il n'en n'est pourtant pas coupable. Et même s'il n'a pas la grande beauté de son géniteur, il est aussi prestigieux par son âme (encore un bonnet). Lui n'a pourtant pas droit aux honneurs faits à son père. Ceux qui le font parader avec les Hussards de Napoléon, porter majestueusement Clovis ou César sur leur dos, faire briller les gardes républicains ou glorifier ses muscles sur les champs de courses. Mais à qui sait lire au-delà de la stupidité connaît la merveilleuse et bouleversante histoire littéraire sur les ânes. Celles de Victor Hugo, Alphonse Daudet ou La Fontaine, entre beaucoup d'autres. Elles ont bercé notre enfance et tout ce qui touche à cette enfance nous forge la sympathie et l'humilité envers les damnés de la terre, les pestiférés et les esclaves. On prétend que le feu, la roue et le cheval ont participé à l'avancée des progrès humains. Mais qui a traversé les montagnes, pris en charge les lourds fardeaux ou tenu son rang avec modestie et silence pour bâtir les édifices, creuser les canaux ou soulever la terre ? Qui est véritablement cet âne si méprisé et moqué ? La seule façon de le savoir est de poser la question au miroir de l'imbécile. Il le rencontre dès le lever du jour. La seule fois où la calomnie envers l'âne est justifiée.