L'Algérie vit depuis plusieurs mois une grave crise de liquidités dans les bureaux de poste. Les fonctionnaires et les retraités payés via leur compte CCP souffrent chaque fois pour retirer leur argent. Depuis plusieurs mois, le ministère des TIC, dont dépend la Poste, et la Banque d'Algérie se renvoient la responsabilité de cette situation. Les solutions promises n'ont toujours pas vu le jour ou manquent d'efficacité. Le manque de billets de banques dans les postes est dû à l'incapacité de la Banque d'Algérie à alimenter le marché en billets. Il a révélé l'état du marché monétique national et l'ampleur de l'inflation cumulée depuis le rééchelonnement de la dette extérieure au milieu des années 1990. « Les quantités de billets produites par la Banque d'Algérie ne suffisent plus à satisfaire la demande, en raison de la faible vitesse de circulation de la monnaie et surtout du fait que l'essentiel des transactions commerciales se fait en cash », explique un spécialiste en monétique. D'importantes quantités de billets sortent du circuit officiel et ne reviennent pas assez rapidement pour alimenter le marché monétaire. Résultat : des bureaux de poste sans argent et des désagréments aux détenteurs de CCP. Pour tenter de mettre fin à la crise, la Banque d'Algérie a fabriqué sans interruption de nouveaux billets, sans parvenir toutefois à satisfaire le marché. Sans régler le problème de liquidités, l'utilisation massive de la planche à billets a créé une inquiétude concernant l'inflation et la valeur du dinar. Mais selon un banquier, « la fabrication de nouveaux billets de banque ne mène pas directement à l'inflation. Les quantités fabriquées servent à combler les billets thésaurisés par les citoyens pour des raisons différentes. Une fois les quantités thésaurisées revenues dans le circuit, la Banque d'Algérie procède à leur destruction pour éviter l'inflation ». La masse monétaire en circulation est très faible Dans une économie où seulement 10 % des transactions commerciales transitent par le circuit officiel, la Banque d'Algérie est obligée d'assurer la disponibilité des billets pour éviter la pénurie de monnaie sur le marché et ainsi prévenir de graves émeutes dans le pays. Entre le 30 novembre 2009 et le 30 novembre 2010, la masse de pièces et billets en circulation a augmenté de 15 %, selon les dernières données de la Banque d'Algérie. Au 30 novembre dernier, 2132 milliards de dinars étaient en circulation, soit 59 000 DA par Algérien. Insuffisant pour répondre à la demande. A titre de comparaison, dans la zone Euro, cette somme est de 30 000 euros par citoyen. Sachant que l'essentiel des transactions y est effectué via les cartes bancaires et les chèques. Outre le phénomène de la thésaurisation de l'argent propre aux économies dominées par le cash, la situation sur le marché monétique est aggravée par la hausse continuelle des prix des produits. « Les gens préfèrent thésauriser l'argent chez eux que de le mettre dans les banques sous forme d'épargne. Ce qui illustre le manque de confiance des citoyens dans les institutions de l'Etat », ajoute le même banquier. La Banque d'Algérie peut elle donc résoudre la crise de l'indisponibilité des billets dans les bureaux de poste en fabriquant de nouveaux billets de la même valeur faciale ? « Non, il faut créer de nouveaux billets aux valeurs faciales élevées », estime le spécialiste en monétique qui argumente : « aujourd'hui, il faudrait 50 billets de 1000 dinars pour acheter un meuble dans un magasin de la capitale et une dizaine de billets de la même coupure pour diner à trois dans un restaurant valable d'Alger ». Le billet de 2000 DA pour tenter de résoudre la crise L'utilisation de la carte bancaire et du chèque pour le paiement des transactions commerciales est quasiment nulle en Algérie. Les Algériens sont donc obligés de se déplacer avec des liasses de billets dans les poches pour faire face à leurs dépenses quotidiennes. « « Dans plusieurs magasins, les prix des produits sont quasiment identiques à ceux pratiqués en France. La petite monnaie a pratiquement disparu du marché », ajoute le même spécialiste. Face à la dépréciation continuelle du dinar et à la crise de liquidités, la Banque d'Algérie a décidé de fabriquer un nouveau billet de 2000 dinars qui sera mis en circulation le 28 avril. Ce nouveau billet va t il atténuer la crise de liquidités comme le soutient le gouvernement ? « Oui, le nouveau billet va résoudre en partie de la crise, mais pas pour longtemps. Ce nouveau billet d'une valeur faciale de 2000 dinars va permettre de fabriquer, dans les mêmes délais, le double de la quantité de billets de 1000 DA nécessaires », explique le spécialiste en monétique. Dans les années 1970, le salaire d'un cadre était constitué de 5 billets de 500 dinars. Aujourd'hui, le même salaire est l'équivalent d'une liasse de 40 billets de 1000 dinars. Faut il avoir peur des billets de 2000 dinars ou de 10 000 dinars ? « A la fin des années 1970, le dinar était plus cher que le franc français et nous avions des billets de 500 dinars. Aujourd'hui, en Europe, il y a des billets de 100, 200 et 500 euros. La présence dans un pays de billets d'une valeur faciale élevée n'est pas synonyme d'inflation. Tout dépend des besoins du marché. Aux Etats Unis, il y avait même des billets de 1000 dollars qui ont disparu aujourd'hui », ajoute le spécialiste. En Algérie, la création de nouveaux billets d'une valeur faciale supérieure à 1000 dinars était envisagée depuis plusieurs années. Mais la Banque d'Algérie a différé à chaque fois leur production. « Le billet de 2000 dinars va résoudre momentanément la crise de liquidités, mais il faudrait des billets de 5000 dinars et 10 000 dinars pour satisfaire le marché », affirme le banquier. Le gouvernement doit toutefois accélérer la généralisation de l'usage du chèque et des moyens de paiement électronique dans les transactions commerciales pour résoudre définitivement la crise des liquidités et lutter contre l'informel. « La justice ne joue pas son rôle pour imposer le chèque. Les utilisateurs du chèque doivent être protégés par la loi et les émetteurs de chèques en bois doivent être sévèrement punis », explique le banquier. Depuis l'indépendance, le gouvernement n'a jamais pris les mesures nécessaires pour imposer le paiement par chèque. Des chèques sont restés impayés depuis des dizaines d'années, ce n'est pas normal, ce qui a engendré une grande méfiance vis à vis de ce moyen de paiement pourtant indispensable à la bonne marche de l'économie et à la lutte contre l'informel et l'argent sale.