La chambre criminelle du tribunal de première instance de Tunis a condamné lundi soir par contumace l'ex-président tunisien Zine El Abidine Ben Ali et son épouse Leïla Trabelsi à 35 ans d'emprisonnement chacun pour des délits de détournement de fonds publics et de malversations. La Cour a condamné également l'ancien chef de l'Etat à une amende de 50 millions de dinars (environ 25 millions d'euros) et son épouse à 41 millions de dinars (environ 20 millions d'euros), et ce dans l'affaire relative au palais de Sidi Dhrif. La défense de Ben Ali évoque une « plaisanterie» .L'affaire relative au palais de Carthage a été reportée au 30 juin à la demande de la défense.C'est dans une atmosphère qui rompt avec le verrouillage du passé que s'est ouvert lundi le procès très attendu de l'ex-couple présidentiel.Outre les journalistes et photographes des médias tunisiens et étrangers, pour la première fois les chaînes de télévision ont été autorisées à installer leurs caméras dans la salle d'audience bondée. Plus de soixante avocats, dont cinq commis d'office, conduits par le bâtonnier Abderrazak Kilani, y ont également pris place.L'ancien homme fort de Tunis et son épouse Leïla Trabelsi, qui ont fui le 14 janvier dernier en Arabie Saoudite, chassés par un soulèvement populaire, étaient jugés par contumace, Riyad n'ayant pas donné suite à la demande d'extradition adressée par les autorités tunisiennes. Détournement de fonds publics de malversations Deux affaires étaient à l'ordre du jour de ce procès, le premier d'une série de 93 actions judiciaires intentées contre le couple présidentiel et leur entourage. Dans la première, Ben Ali et sa conjointe sont accusés de détournement de fonds publics et de malversations. L'acte d'accusation lu par le juge relate les péripéties de la découverte dans le palais de Sidi Dhrif récemment construit à Sidi Bousaïd, une banlieue nord de Tunis, d'importantes sommes d'argent en devises étrangères et tunisiennes et de bijoux dont certains ont «une valeur historique».Il fait état de malversations selon lesquelles le président déchu a vu ses honoraires mensuels grimper « sur ses propres instructions » de 2.000 dinars (environ 1.000 euros) en 1987, date de son accession au pouvoir, à 21.000 dinars (plus de 10.000 euros) en 1998.Le montant total de ses honoraires au cours de cette période a été évalué à près de 4,7 millions de dinars (2,3 millions d'euros).En plus d'indemnités dont il bénéficiait « sans aucun contrôle » fiscal, il avait à sa disposition une « caisse noire » de près de 16,5 millions de dinars (plus de huit millions d'euros) alimentée sur le budget de l'Etat. L'acte d'accusation fait en outre état de faits de corruption et d' « instructions données en violation des réglementations en vigueur » pour l'octroi de privilèges aux proches du clan Ben Ali/Trabelsi. Le représentant du ministère public avait requis « les peines les plus sévères » pour les délits « prouvés » vu « l'ampleur des sommes détournées » par l'ancien président et son épouse. Le représentant du contentieux de l'Etat avait, quant à lui, réclamé un « dédommagement moral » d'un montant d'un milliard de dinars (près de 500 millions d'euros). L'avocat de la défense, Me Abdessattar Massoudi, commis d'office, qui a demandé le report de l'audience, a dit avoir accepté cette mission « par acquis de conscience, pour l'honneur de la profession et pour asseoir les bases d'un procès équitable ».Il n'a pas pu cependant plaider sur le fond, l'article 141 du code de procédure pénale ne l'autorisant pas à le faire, selon une lecture controversée du président du tribunal. Abordant la deuxième affaire dans laquelle l'ex-président est accusé, seul, de possession de drogue et d'armes et de détention illégale d'objets archéologiques, la cour a suspendu la séance à la suite d'une demande d'ajournement présentée par la défense.« Nous avons été commis d'office et il nous faut un délai suffisant pour prendre connaissance du dossier et préparer la défense », a déclaré l'un des cinq avocats réquisitionnés, Me Hosni Béji, à l'Associated Press. Plaisanterie « On ne riposte pas à une plaisanterie. On ne fait qu'en rire», a réagi après le verdict l'avocat libanais du président déchu, Akram Azoury, depuis Beyrouth.«C'est plutôt une bonne nouvelle parce qu'aucun tribunal en Europe ne peut reconnaître ce jugement car il viole les principes d'équité du procès et du jugement», a-t-il avancé. «Je vais recommander au président Ben Ali d'aller en Europe (...), cela lui octroiera l'immunité contre toute demande d'extradition», a-t-il enfin estimé.