A la sortie du domicile familial auquel sa belle-mère adoptive l'avait confiée à ses 11 ans, elle s'est enfuie pour éviter un mariage forcé. Il y a sept ans, elle a eu un enfant avec un homme dont elle ne veut plus parler, mais « qu'elle ne regrette pourtant pas car c'est bien la seule chose qu'elle ait choisie. Son fils Zakaria a vécu trois ans avec elle puis elle l'a placé dans une famille d'accueil. La vie dans la rue était trop dure pour un enfant de son âge. Il n'est pas rare de croiser, sur les trottoirs de la ville, des femmes, parfois avec leurs jeunes enfants, enfouies dans leurs voiles et sous des couvertures. Comme Fatiha, elles ont fui suite à un mariage forcé, un divorce, un inceste, une grossesse ou une relation sexuelle hors mariage. Se voir interdire de continuer ses études ou de travailler, ou esclave domestique… De plus en plus de femmes refusent ces diktats.» L''histoire de Fatiha qui, après son divorce, n'a pas pu revenir dans la maison familiale où belles-sœurs, neveux et nièces s'y étaient installés, mais souvent les femmes qui ont quitté une vie faite d'interdits trouvent une forme de liberté à vivre dans la rue. Fatiha lève les yeux au ciel quand on lui parle de centres d'hébergement. Elle ne supporterait pas qu'on lui impose un rythme de vie. Dans la journée, elle s'assied sur un trottoir à la place publique, où elle dessine, elle tricote parfois. Avec les quelques dinars gagnés, elle se paie un café, un morceau de pain pour apaiser sa faim. Tout le monde ou presque la connait.»Les gens s'y sont habitués. Ces femmes font partie du paysage. Avant, on en avait honte, aujourd'hui le fatalisme a pris le dessus.» Ce soir, comme les autres, Fatiha va chercher ses couvertures dans le café où elle laisse ses petites affaires. Elle dort dans un hall d'immeuble, demain, elle verra peut-être son fils. «Ni sœur, ni épouse, ni fille, elles sont sorties du champ social et de toutes formes de protection. Un sociologue dira que la solidarité qui a prédominé pendant longtemps dans la société algérienne recule. Les familles n'ont bien souvent plus les moyens de réintégrer ces femmes en leur sein. «Elles sont au premier front d'une détresse partagée, ajoute-t-elle, de la même façon que les jeunes hommes prennent la mer ou le maquis, faute de ne pouvoir remplir la fonction économique que la société attend d'eux.» «Pire, souligne les sociologues, aujourd'hui ce sont des familles entières que l'on voit dans les rues …une société en crise qui accouche des familles en crise. »