Le 31 octobre, la population mondiale franchira le cap d'un nouveau milliard. Après l'explosion démographique du XXe siècle, l'augmentation sera maintenant moins forte. Les défis demeurent Le 31 octobre, sept milliards d'hommes et de femmes peupleront la Terre, un chiffre à détailler pour en prendre la mesure.« En une journée, il naît 350 000 bébés et 150 000 personnes trouvent la mort », dénombre Gilles Pison, directeur de recherches à l'Institut national d'études démographiques (Ined). Chaque jour, donc, le compteur de la population mondiale augmente de 200 000 habitants. Soit 2,3 personnes de plus par seconde. Car « dans le monde une naissance sur trois ne donne pas lieu à une déclaration à l'état civil », précise Gérard-François Dumont, professeur à la Sorbonne et président de la revue Population et Avenir. Une croissance exponentielle et récente a conduit à ce compte impressionnant, en rupture avec des siècles de stagnation démographique.« Le scénario de deux enfants survivants par femme a prévalu sur terre jusqu'au XVIIIe siècle, rappelle Gilles Pison. La population mondiale augmentait donc de quelques pour cent par siècle. » L'Europe et l'Amérique du nord sont alors les zones les plus peuplées et les plus dynamiques, mais adoptent les premières de nouveaux comportements visant à limiter les naissances, pour des raisons économiques, la France en tête. Au XVIIIe siècle les paysans français décident de « tromper la nature », et de se fixer le nombre d'enfants qu'ils auront, contre l'avis des Eglises et de l'Etat.L'époque voit aussi changer les mentalités et la sensibilité face à la mort.« En Europe, comme en Amérique du nord, les parents se mettent à penser que le devenir normal d'un bébé est d'atteindre l'âge adulte », souligne Gilles Pison. Avec cette idée révolutionnaire, la « transition démographique » vers un modèle comptant moins d'enfants, mais vivants, se met en marche. Elle est portée par l'amélioration de l'hygiène et les progrès de la médecine. LA PRESSION DEMOGRAPHIQUE POUSSSE LES HOMMES AU PROGRÈS « En 1800, en France, l'espérance de vie était de 34 ans, rappelle Gérard-François Dumont. La population augmente quand les possibilités l'emportent sur les risques », ajoute le démographe.La croissance de la population mondiale signifie d'abord que l'humanité va bien, que sa santé s'améliore, et que la mortalité infantile et maternelle recule. Le démographe Jacques Heers a retracé le devenir d'une famille génoise au Moyen Âge : Matteo, fils de Nicolo de Corsini, marié en 1362, a eu 20 enfants en vingt-cinq ans de mariage, mais 5 seulement ont atteint l'âge de 20 ans. Son fils, Giovanni, marié en 1402, puis remarié en 1412 après un veuvage, a eu 13 enfants, dont 10 deviennent adultes. Son fils, Matteo, marié en 1434, aura 17 enfants, dont 11 deviendront adultes.Depuis les origines, l'humanité progresse. Ainsi, des paléontologues pensent que l'accroissement de la taille du cerveau humain a été dirigé par la nécessité d'identifier un plus grand nombre de congénères. Ensuite la nécessité de répondre à la pression démographique a forcé les hommes au progrès. Malthus, lui-même, en dépit de ses opinions alarmistes, théorise, au XIXe siècle, que « si Dieu n'avait pas créé le principe de population selon lequel la croissance de cette dernière, en dépassant celle des subsistances, oblige à défricher de nouvelles terres, et à les cultiver plus intensivement, les hommes seraient demeurés paresseusement, tels des bergers d'Arcadie », explique Hervé le Bras, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess).C'est pourquoi, même à l'heure des sept milliards, « il n'y a aucune raison d'avoir peur des gros chiffres, estime Emmanuel Todd. Ce serait comme de nourrir la nostalgie de l'époque où une centaine de milliers de chasseurs cueilleurs peuplaient la terre », souligne l'historien anthropologue. « On pense toujours aux coûts de la croissance démographique, rarement à ses bénéfices. L'accélération du nombre d'humains a un effet dynamique sur la masse d'intelligence humaine pour trouver des solutions et faire avancer la planète », affirme-t-il. « LA DEMOGRAPHIE EST PORTEUSE DE CATASTROPHISME » L'explosion démographique s'est déplacée au XXe siècle vers les pays du sud. Aujourd'hui, la Chine et l'Inde sont devenues milliardaires en population, le Nigeria, le Pakistan, l'Indonésie, le Bangladesh et le Brésil dépassent les 200 millions d'habitants. Et les inquiétudes sur le grand nombre d'humains ressurgissent avec force. « La démographie est porteuse de catastrophisme, explique Hervé le Bras. Soit le nombre d'hommes augmente, et on redoute l'explosion. Soit il stagne, ou recule, et la peur de l'extinction ressurgit, comme en ce moment à Moscou où les autorités sont paniquées par la décroissance de la population. » Emmanuel Todd estime que « la très basse fécondité – inférieure au seuil de renouvellement des générations –, de l'Allemagne et du Japon, les deux pays les plus pointus de la planète, est préoccupante. » Les grandes peurs liées à la démographie créent toujours des ruptures entre riches et pauvres. Au XIXe siècle en Europe, elles opposent les familles bourgeoises qui limitent leur descendance, et les « prolétaires qui se reproduisent rapidement, comme leur nom l'indique (proles signifie progéniture en latin) », souligne Hervé le Bras.Aujourd'hui, ces peurs exacerbent les clivages Nord/Sud. « Faites moins d'enfants ! », intiment en substance depuis un demi-siècle les pays développés, les agences onusiennes et la Banque mondiale, aux pays en développement, prêts à conseiller à leurs dirigeants des mesures de coercition pour faire chuter les naissances. « LE MEILLEUR CONTRACEPTIF, C'EST LE DEVELOPPEMENT ! » « Le meilleur contraceptif, c'est le développement ! », a protesté en retour un représentant algérien, lors d'une conférence mondiale sur la population à Bucarest (1974). Aujourd'hui, les pays en développement ripostent par un autre argument : « Consommez moins ! », lancent-ils aux nations du Nord. « Certaines agences de l'ONU et diverses ONG ont commis l'erreur considérable de miser en priorité sur le planning familial pour accélérer la transition démographique. Un système qui n'a pas fonctionné, explique Gérard-François Dumont. Les pays qui ont reçu le plus d'argent au titre du planning familial n'ont pas obtenu de progrès significatifs. Ce sont ceux qui ont investi dans l'hygiène et la santé, qui ont connu les plus fortes diminutions des mortalités infantile et maternelle, qui ont vu ces mortalités durablement baisser et donc ensuite leur natalité fléchir de façon significative. » Car la transition démographique est bien en marche, partout dans le monde. « Le taux d'accroissement de la population mondiale a atteint un sommet de 2 % l'an, vers 1960, aujourd'hui il est à 1 %, deux fois plus faible, et il ne cesse de diminuer », relève Gilles Pison. Il y a cinquante ans, les femmes du monde avaient 5 enfants en moyenne, aujourd'hui, ce chiffre est tombé à 2,5 », ajoute le démographe. VERS UNE STABILISATION L'Afrique semble faire exception : alors qu'un homme sur sept vit aujourd'hui sur le continent noir, ce sera probablement un sur trois dans un siècle. Mais en réalité, la transition démographique y est également en marche. Au Maghreb, l'indice de fécondité est à un niveau comparable à la France (2 enfants par femme) avec des taux de 2,1 (Tunisie), 2,3 (Algérie) ou 2,2 (Maroc). Dans la plupart des pays africains, la natalité diminue. Au Kenya, par exemple, on est passé de 8 à 4 enfants par femme en quarante ans.« Même dans les pays sahéliens, on constate une baisse de la natalité, rapide et réelle dans les villes, où la famille “restreinte” (3 enfants) est présentée comme une image du progrès », explique Hervé Le Bras. Le monde s'achemine vers une stabilisation de sa population. De quelle ampleur, à quel rythme ? Les démographes restent prudents, car l'avenir des hommes n'est jamais écrit. Aussi, la fourchette de projections pour le début du siècle prochain est large, voyant la terre peuplée en 2100, de 6 à 15 milliards d'hommes et de femmes.