Le ministère de l'éducation vient de décider d'organiser un débat, une large consultation sur le système éducatif qui sera clôturée par la tenue d ‘assises nationales du 11 au13 Avril prochain et dont l'objectif primordial serait de déterminer les carences, les points négatifs enregistrés, de procéder à l'état des lieux en somme afin d'y remédier, d'y apporter les amendements appropriés. Il ne s'agit cependant pas de « remettre en question les principes et les fondements du système en cours », de procéder à une réforme en profondeur de la réforme scolaire appliquée depuis une dizaine d'années. Ilest entendu qu'on ne réforme pas pour réformer, selon l'air du temps. L'heure est aubilan et ils'avère nécessaire d'évaluer objectivementet sans complaisance le contenu de la politique éducative et scolaire, en particulier, les voies préconisées et les moyens mis en œuvre. Cette étude préalable devrait également déterminer dans quelle proportion les objectifs tracéset les résultats escomptés ont été effectivement atteints. Les objectifs, à moyen et long termes, fixés par l'actuelle réforme – à laquelle on a procédé par retouches et amendements successifs depuis une dizaine d'années- ont- ils été atteints ? Notre enseignement est –il performant ? Il est incontestable que l'Algérie consacre des sommes fabuleuses pour assurer et améliorer la scolarisation de ses jeunes : le ministère de l'éducation nationale dispose du plus important crédit (après celui de la défense nationale) au titre du budget 2013. A ce titre et eu égard aux potentialités dont dispose le secteur de l'enseignement, n'aurions-nous pasle droit d'attendre que notre Ecole devienne plus performante et qu'elle dispense un enseignement de qualité ? La déliquescence de notre système éducatif nous interpelle : il s'agit bien là d'un problème de sécurité nationale puisque l'avenir des générations présentes et à venir en dépend. Il est cependant encourageant de constater que le taux de scolarisation – rendue obligatoire jusqu'à l'âge de seize ans- est de 97,3/° en 2010 et de 98,2/° en 2012. Ce résultat est louable assurément, en dépit des disparités régionales( 86,06/° à Illizi et89,89/° à Tamanrasset. Par ailleurs, les résultats enregistrent une amélioration quantitative certaine : le taux de réussite au baccalauréat est de 45,04/° en 2009, de61,23/° en 2010, de63,45/° en 2011, de58,84/° en 2012. Celui du BEM : 66,35/°en2010, 70/°en 2011, 72,10/°en 2012. Toutefois, ces résultats ne constituent qu'un critère (parmi tant d'autres) d'appréciation et d'évaluationde la performance et de la qualité de l'enseignement dispensédans nos écoles, CEM etlycées. Quoiqu'il en soit, ces résultats sont bien en deçà des prévisions officielles qui tablaient sur 90/° de réussite au BEM et 70/° au BAC. Ces progrès s'avèrent bien timides par rapport aux carences et lacunes relevées : 1- Les abandons, les échecs scolaires et les exclusions, dans tous les cycles, prennent des proportions alarmantes (seréférer à mon article sur les déperditions scolaires publié par le Quotidien Réflexion – des 2 et 3/10/2010). Les déperditions scolaires s'élèvent à 536000 élèves par an de1999 à 2006, selon le centre national d'études et d'analyses pour la population. Ce problème reste préoccupant notammentdans le cycle moyen qui enregistre un taux de déperdition de9, 19/°, ce qui correspond à 260000 abandons et exclusions en 2011- 2012. Les services de la gendarmerie nationale de la wilaya d'Alger estiment qu'il existe » une relation étroite entre les déperditions scolaires et la délinquance et la criminalité juvéniles. Ce même bilan annuel précise qu'en2012, on a enregistré et traité 73590 infractions et que 52/°des personnes impliquées n'ont pas de niveau d'instruction, 15/° ont abandonné leurs études primaires, 18/° ont quitté les CEM et 11/°les lycées.En outre, sur 100 élèves inscrits, 95,2/° achèvent leurs études primaires, 66,2/°seulement dans le moyen. Par ailleurs, sur100 élèves inscrits dans le primaire, huit réussiront au baccalauréat, (24 d'après le ministère de l'éducation nationale) et six obtiendront un diplôme universitaire, selon le CNEAP. « Aux grands maux les grands remèdes » pour que l'Ecole ne soit pas rongée par la démobilisation et la culture de l'échec qui ravivent les maux sociaux, les violences et les incertitudes angoissantes. 2- Nos enfants savent- ils lire ? Nos collégiens et lycées sont – ils capables de comprendre des documents simplifiés (en arabe et en français), les textes proposés comme base de travail, de remplir correctement des imprimés normalisés ? Nos jeunes font de moins de moins de calcul mental en usant et abusant de calculatrices, de téléphones portables. 3- Pour sa part, l'union des associations des parents d'élèves relève, àpartir des résultats communiquésdans 17 wilayas, à l'issue du premier trimestre 2011- 2012, que le bilan est inquiétant : cette même évaluation souligne que 50/°des apprenants ont obtenu la moyenne trimestrielle. Les résultats sont indéniablement catastrophiques en mathématiques et en physique puisque 80/° des élèves ont obtenu une note inférieure à la moyenne. En français et en anglais seuls 30/°ont été crédités d'une note égale ou supérieure à la moyenne.Selon cette même source, les résultats scolaires obtenus au premier trimestre 2012- 2013ont été également lamentables. 4- Le baccalauréat, considéré commele sésame pour entamer des études universitaires, constitue un élément d'appréciation nécessaire mais non suffisant. La valeur et la crédibilité de ce diplôme ne sont – elles pas parfois contestées ? (se référer à mon article « De la valeur denos diplômes » publié par le Quotidien d'Oran, le11-06- 2006, p.7.) C'est une lapalissade d'affirmer que la valeur du diplôme dépend de trois paramètres essentiels, variables d'un centre d'examen à un autre, d'une session à une autre :des conditions d'organisation et de déroulement de l'examen, du contenu des sujetsproposés et du système d'évaluation ou de notation appliqué. Mieux encore, on devrait préserver et valoriser le baccalauréat : il serait inopportun voire insensé de « fixer le seuil de révision des sujets et des cours concernés par le baccalauréat »et delimiter ainsi le champ de révision, comme le réclament certains élèves.Cette mesure, prise à titre exceptionnel ces dernières années en raison des perturbations qui ont secoué le secteur de l'éducation, ne devrait pas devenir une tradition. Nombre d'enseignants considèrent à juste titre qu'une telle revendication est « une aberration pour l'avenir des élèves et qu'au cas où elle serait satisfaite, elle constituerait une mesure antipédagogique » et que le baccalauréat risquerait de « devenir un examen sur mesure, loin des critères internationaux.» On constate, à ce sujet, que de nombreux étudiants fuient les filières scientifiques et technologiques en plein cursus vers d'autres (filières) à cause de leur incapacité à assimiler les cours dispensés en français. Certains didacticiens remarquent que « nos étudiants arrivent (à l'université) avec d'énormes carences sur le plan de la réflexion. » 5- Il est à signaler que les performances de nosmeilleurs élèves de terminale en mathématiques et en sciences physiques ont été déplorables : de 1977 à 1997, la participation de nos représentants aux olympiades des sciences exactes a été catastrophique, hormis en 1988 à l'issue de laquelle ils obtinrent la 36°place sur 49. En 1993 et 1997, nos élèves se classèrent en toute dernière position, successivement 73° et 82°. Notre pays a même été largement devancé par la Tunisie, l'Afrique du sud,la Côte d'Ivoire, le Cameroun et le Zimbabwe aux dernières olympiades panafricaines organisées en Tunisie. Depuis 1977 à ce jour, « nous ne concourons plus dans aucune matière dans les olympiades des mathématiques,de la biologie, de la linguistique et de la philosophie. » (Le Quotidien d'Oran du 01- 06- 2006). C'est dire que notre enseignement devra s'adapter aux normes internationales et aux exigences du monde moderne. 6- Les déficiences et dysfonctionnements de notresystème scolaire – en particulier- et de la politique éducative en général : Toujours selon le CNEAP, 30/° des élèves âgés de11 à 14 ans quittent l'école àcause des programmes scolaires trop chargés et des horaires inadaptés. Nos jeunes apprenants peuvent –ils suivre le rythme effréné et infernal des cours qui leur sont dispensés ? N'a- t-il pas été pourtant prouvé que l'assimilation des connaissances devient impossible au bout de quatre ou de cinq heures d'études au maximum par jour, en fonction de leur âge, des efforts exigés ? Par ailleurs, 65/° de cette catégorie d'élèves abandonnent leurs études à cause de conflits avec leurs enseignants. Pour diverses raisons (contestation de notes chiffrées, marginalisation, violences verbales et physiques...), ces conflits engendrent la défiance, la perte d'estime et de respect mutuel et altèrent l'atmosphère de travail. Sans jouer aux Cassandre, nous constatons que, malgré quelques améliorations timides, notre système scolaire produit encore beaucoup d'échecs et que, de toute évidence, il n'est pas véritablement performant. Amon humble avis, il s'avère indispensable et urgent de remédier à cette situation en mettant en œuvre une stratégie appropriée, en appliquant des mesures réfléchies et pertinentes qui soient le fruit d'une maturation endogène, à portée pédagogique et culturelle mais aussi socio- économique, en amont et en aval, puisque l'Ecole ne fonctionne pas en vase clos et qu'elle subit des interférences de tous ordres. Les amendements et améliorations à apporter – voire toute une réforme à entreprendre- devraient constituer tout un programme d'action à élaborer avec toutes les parties concernées ( enseignants, psychopédagogues, didacticiens, psycho- linguistes, parents d'élèves...)et les compétences nationales pour combattre efficacement l'échec scolaire en dispensant un enseignement de meilleure qualité, un savoir et un savoir- faire performants, avec l'audace d'une innovation féconde et clairvoyante en tenant compte des réalités du terrain. Les suggestions et propositions qui seraient formulées à l'issue de cette large et nécessaire concertation aborderaient des problèmes divers et variés quise posent avec acuité : a- Les contenus des programmes d'enseignement autour desquels s'articule la réforme et qui sont, implicitement pour le moins, porteurs d'un projet de société, devraient être redéfinis en fonction descritères pédagogiques et des rythmes scolaires dont la cohérence et la pertinence sont internationalement reconnues. b- Les volumes horaires et l'élaboration des emplois du temps mériteraient de faire l'objet d'un examen minutieux qui tiendrait compte de l'âge des apprenants, de leurs activités, de l'effort intellectuel et physique fourni pour éviter les risques de saturation qui engendre la lassitude, le surmenage et finalement le dégoût des élèves dont les résultats en pâtiraient.La programmation judicieuse des activités culturelles et sportives s'avère indispensable. c- L'utilisation de méthodes et de techniques psychopédagogiques qui soient innovantes, attractives et véritablement efficaces. A monsens, la nouvelle pédagogie àmettre en œuvre ne devrait pas réduire les savoirs formels qui constituent la clé de voûte de tout enseignement digne de ce nom et sans lesquels cet enseignement serait en déphasage avec les exigences de la vie moderne et la rude concurrence qui n'admet ni médiocrité ni « médiocratie ». L'approche par compétence semble fortement contestée par beaucoup d'enseignants qui reconnaissent leur incapacité à l'appliquer. Les notions d'approche par compétence et d'approche par intégration des acquis qui visent(et c'est là une noble intention)à libérer l'esprit créatif,la réflexion clairvoyante et l'autonomie des apprenants pourraient être réadaptées en fonction des réalités du terrain, et mieux cernées pour être utilisées d'une manière intelligente et lucide. d- Ne serait-il pas également nécessaire d'encourager la recherche pédagogique pour améliorer la performance de notre enseignement ?A ce titre, il serait judicieux d'installer des équipes de recherche pédagogique constituées d'enseignants chevronnés et motivés de chaque discipline au niveau des chefs- lieu de wilaya pour favoriser les échanges d'expériences pédagogiques éprouvées avec leurs collègues des autres établissements et pour contribuer à l'enrichissement et à la réactualisation des programmes et des techniques pédagogiques.Ces cellules de recherche aideraient aussi à concevoir et à réadapter les outils et moyens didactiques et à enrichir les livres scolaires et CD... Il est entendu que la composition et le programme de travail de ces équipes de pédagogues devront être définis par des textes réglementaires.Cette tâche, assurément motivante et féconde, encouragerait l'esprit d'initiative, d'innovation et la saine émulation enbrisant la routine ankylosante. e- Il est opportun, me semble-t-il, de reconsidérer les modes et modalités de recrutement des enseignants et les spécificités de leur formation, une formation continue et/ou continuée qui permettrait d'apprendre ou de réapprendre l'une des professions les plus nobles, les plus exigeantes. f- La lutte contre le phénomène des déperditions scolaires mériterait d'avoir la priorité des préoccupations :seule une stratégie appropriée et la mise en œuvre de mesures réfléchies permettraient de réduire son ampleur. g- Ne serait- il pas urgent d'identifier les causes- de tous ordres- et les répercussions psychosociales du climat d'insécurité et de violence sous toutes ses formes auxquels nos écoles, CEM et lycées sont souvent confrontés ?A titre indicatif, et selon la direction sociale auministère de l'éducation nationale,plus de 52000 cas de violence ont été enregistrés en 2010. h- Il s'avère indispensable d'aider les écoliers et les collégiens – notamment dans les zones rurales et déshéritées – à jouir effectivement du droit à l'éducation en les faisant profiter des moyens de transport et des cantines scolaires ou de la demi- pension dont l'inexistence ou le fonctionnement aléatoire démobilise les meilleures volontés et favorise l'absentéisme et les abandons. Le fonctionnement des cantines scolaires (85,25/° des écoliers en bénéficient, 140jours par an) devrait faire l'objet d'un meilleur suivi et d'un contrôle sans complaisance et être régi par des textes réglementaires réactualisés, ceux de 1965 s'avérant inadaptés. Pourtant, 1600 milliards ont été alloués cette année par l'Etat. Par ailleurs, les U.D.S devraient être réactivées et renforcées pour aider nos enfants à surmonter leurs difficultés (problèmes psychopédagogiques, de santé, sociaux...) qui sont à l'origine de leurs échecs scolaires. A titre d'exemple, sur plus de sept millions d'élèves examinés en 2012, près de 300000 présentent des troubles visuels, 110000 souffrent d'incontinence. L'éducation sanitaire doit aussi avoir sa place pourlutter contre les fléaux du tabagisme et de la toxicomanie en milieu scolaire. i- La contribution – bien comprise- des parents d'élèves est assurément précieuse pour prévenir et réduire la déscolarisation, l'absentéisme et pourmieux appréhender les difficultés rencontrées par leurs enfants. La famille algérienne, souvent déstructurée, a cessé de jouer pleinement son rôle : 60/° des parents se désintéressent totalement de la scolarité de leurs enfants ! C'est pourquoi il serait judicieux d'entreprendre, d'une part, des campagnes de sensibilisation et d'information des parents (très souvent démissionnaires, trop permissifs et laxistes)pour qu'ils assument leurs responsabilités, et, d'autre part,d'encourager le fonctionnement des bureaux des associations des parents d'élèves tant il est vraique la réussite (ou l'échec) de la réforme scolaire n'incombe pas seulement à l'Ecole : elle est tributaire de toutes les parties concernées. Il est indéniable que tout ne s'apprend pas dans la salle de classe. j- La réduction des effectifs des classes constitue une mesure importante. Le meilleur pédagogue du monde, usé et désabusé, à qui on aura confié des divisions surchargées et de niveau hétérogène, ne pourra aucunement obtenir les résultats espérés tant sa tâche s'avérera éreintante et ses efforts improductifs. k- Lesmodes et modalités d'examination, d'évaluation et de notation des travaux des apprenants gagneraient à être reconsidérés et redéfinis pour privilégier l'effort de réflexion, l'esprit d'analyse et de synthèse au lieu de faire prévaloir le psittacisme et le plagiat. Sous d'autres cieux, la notation chiffrée, procédé d'évaluation jugé traumatisant, n'est plus utilisé dans le primaire. Quoiqu'il en soit, les problèmes de docimologie, généralement épineux, mériteraient une étude approfondie. Ces axes de réflexion, et sans prétention aucune, non exhaustifs, proposés à titre indicatif pourraient nous permettre de cesser de nous comporter comme « ces citoyens sans imagination qui veulent des enfants dociles, dénués eux aussi d'imagination et qui s'accommoderont d'une civilisation dont l'argent est la marque du succès. »(A.Neill). Les assises nationales auront donc pour mission de définir tout un programme d'action qui assurerait le redressement de notre Ecole, une école qui ne saurait être un immense laboratoire où l'on expérimente des réformettes, où « l'onmet de vieilles têtes sur de jeunes épaules. » La réforme à mener ou les amendements à apporter devraient valoriser le travail, le mérite, les valeurs professionnelles, intellectuelles et morales, assurer la promotion du civisme et de la citoyenneté – souvent sacrifiés- et s'accompagner de transformations socio- économiques fructueuses qui rétabliraient l'égalité des chances pour faire échec à l'échec scolaire. La politique de la gestion des flux, de la quantité, ne devrait plus être conduite au détriment du savoir, de la performance et de la qualité de notre enseignement. Méditons sereinement cette réflexion d'A. Einstein : » Il n'y a pasmoyen de s'échapper vers des commodités faciles. Il n'y a pas de temps pour procéder pas à pas et pour remettre les changements nécessaires à un avenir indéfini...La situation exige un effort courageux, un changement radical dans notre attitude. » On regagnerait ainsi la confiance de la grande famille de l'éducationsans verser dans le populisme et on redonnerait au secteur de l'éducation ses lettres de noblesse, à la mesure des investissements colossaux consentis et des disponibilités existantes pour relever les nouveaux défis et satisfaire l'ambition légitime d'une jeunesse qui ne demande qu'à réussir.