Cinquante ans après l'indépendance de l'Algérie, la commémoration du 19 mars 1962 vient rappeler les massacres, les tortures et les viols collectifs commis par l'armée française durant l'occupation. Les archives officielles de la guerre d'Algérie ne sont encore que partiellement disponibles et accessibles aux chercheurs en France, mais inaccessibles en Algérie. Cette disposition, d'ailleurs a été vivement critiquée par des historiens car elle aurait accru les délais de communicabilité des archives relatives à la guerre d'Algérie, cependant malgré la réticence du gouvernement français, les médias n'ont pas manqués de publier certaines faces cachées de cette guerre. Dans ce contexte, l'Express a publié des extraits de Carnets secrets de la guerre d'Algérie, de Jacques Duquesne. Journaliste à La Croix, pendant la guerre d'Algérie, il a noté dans des carnets, ses réflexions, ses impressions, ses rencontres avec les Algériens de tout bord. Voila les Extraits: Le 1er novembre 1954, une poignée de militants nationalistes, partisans de l'action directe, déclenche la "révolution ". Une trentaine d'attentats commis à travers tout le territoire algérien. [...] Une organisation jusque-là inconnue, le Front de libération nationale (FLN) revendique ces opérations. [...] Un an plus tard, la stratégie de terreur du FLN porte ses fruits. La répression aveugle, destinée à briser la rébellion, le refus obstiné de toute réforme par les Européens d'Algérie, ont poussé des milliers d'Algériens à rejoindre le maquis. [...] Pour les contrer, la France bat le rappel des troupes: près de 400.000 appelés sont mobilisés pour quadriller le bled, en appui des paras et des légionnaires chargés de poursuivre les moudjahidines. La " guerre" a commencé. Torturée par les paras : Document Sur 42 pages dactylographiées, une jeune femme algéroise, mère d'une petite fille, raconte, en termes simples et précis, les quarante-trois jours de détention et de torture qu'elle a subis à l'école Sarrouy, rue Montpensier, près de la casbah, un établissement transformé par les paras en "centre d'interrogatoire" durant la bataille d'Alger. Elle est ensuite transférée à Ben Aknoun, dans la banlieue de la ville, où avait existé un camp pour les soldats américains, en 1943. Son récit est un témoignage de première main sur le fonctionnement d'un de ces camps "noirs", dans lesquels on parquait les suspects en toute illégalité. Sur le palier étroit qui reliait deux classes j'attendais, assise, l'interrogatoire: réfléchissant en fixant mes ongles, je vis à mes pieds, sur le carrelage, quelques gouttes de sang séché. La porte vitrée d'une classe s'ouvrit. On dit: "Faites-la entrer." Quatre hommes debout, torse nu, en cuissette et pieds nus, s'affairaient dans la pièce. Au milieu, un grand tableau noir recouvert de photos, dates, articles découpés. Je reconnais les visages de patriotes arrêtés déjà vus dans la presse. Tout en bas, le portrait de Hassiba (morte avec Ali la Pointe sous les décombres d'une maison de la casbah), souligné d'un grand point d'interrogation. L'un des hommes, le lieutenant Schmidt, grand brun, à lunettes, d'environ 35 ans, se tenait debout derrière une longue table; il entra directement dans le vif du sujet: "Voilà, il y a ici quelques lignes sur vous, très courtes, mais précises. Vous allez nous éclairer, si vous le voulez bien". On me fit asseoir. Schmidt lut. Le lieutenant Fleutiot (taille moyenne, visage triangulaire, légèrement chauve et l'oeil bleu exorbité) fit remarquer d'une voix doucereuse, comme s'il parlait en ma faveur, qu'en effet le passage était fort court. Devant leurs accusations, mon expression étonnée ne les dérouta pas. Elle sembla au contraire les décider à employer d'autres procédés... Schmidt fit un petit signe aux deux hommes, dans mon dos. Aussitôt, on me fit lever. L'un d'eux, petit, mince, aux traits réguliers, blond avec d'immenses yeux bleus, saisit ma main droite: il plaça un fil électrique autour du petit doigt. J'étais interdite: jamais je n'aurais cru en venir si vite à la torture. Il s'assit sur un tabouret et, un magnéto sur les genoux, m'envoya les premières décharges électriques. Froidement, les deux lieutenants suivaient l'opération. Les premières secousses furent telles que je tombai à terre en hurlant. Je vis dans un brouillard des visages de paras collés aux vitres de la porte: aux premiers cris, ils s'écartèrent vivement. Dans un coin, un civil était assis, Babouche (mouchard bien connu dans la casbah. A d'ailleurs été châtié mortellement). Je l'avais pris en entrant, bien qu'assez gras, pour un détenu. Il répétait: "Laissez-moi faire, avec moi elle parlera vite. Je m'occuperai d'elle avec un grand plaisir". Il semblait vouloir montrer son zèle. Le para blond continuait à m'envoyer des décharges, à terre. Fleutiot ordonna qu'on me relevât. Le quatrième para, trapu, au front bas, au crâne rasé, me remit sur pieds, et tandis qu'il me tenait un bras, je recevais le courant sans qu'il parût lui-même le ressentir à mon contact. Schmidt dirigeait l'"interrogatoire". D'un signe de la main, il ordonnait aux bourreaux de poursuivre ou de "stopper", reprenant toujours la même question: "Connais-tu ce RS?" La douleur, indescriptible, que le courant causait dans mon corps me faisait hurler. Je souffrais, en plus, de ne pouvoir maîtriser mes membres, secoués par les décharges. Je me tournai vers l'homme qui tenait la magnéto, car de lui provenait directement la douleur. "Ce n'est pas la peine, dit-il, tu ne m'attendriras pas". Ses yeux brillaient étrangement. Il travaillait en souriant légèrement. Son visage est de ceux que l'on ne peut oublier - visage de cauchemar. Je tombai plusieurs fois et continuai à nier en m'expliquant. Enfin, Schmidt ordonna qu'on m'ôte les fils électriques de la main et du pied. "Votre alibi tient. Vous pouvez avoir soigné RS dans les services de l'hôpital; en effet, il a été hospitalisé un temps. Mais vous pourriez tout aussi bien l'avoir connu autrement. Venez". Il m'entraîna au fond de la pièce, s'assit à mes côtés; un rideau nous dissimulait. J'entendis alors un homme entrer; on lui posa plusieurs questions à mon sujet. Les réponses de l'homme tendaient toutes à m'accabler". Un appelé témoigne L'auteur de ces lettres est un appelé, sous-officier en poste à Sétif puis à Bougie, dans le Constantinois, à l'est de l'Algérie. Ce qu'il voit, ce qu'il vit, il le raconte d'une manière précise et alerte. On sent que c'est quelqu'un qui a, comme on dit, "fait des études", ce qui est loin d'être le cas de tous les appelés qui l'entourent. [...] En me replongeant dans son récit, je me suis dit qu'il valait aussi bien qu'un livre d'histoire sur l'Algérie coloniale. "Entre Bône et Sétif, par Constantine, j'ai vu des fermes construites en pierre et couvertes de tuiles comme chez nous; ces fermes étaient électrifiées, mais cette forme d'habitation n'appartient qu'à des Européens.Depuis que je suis ici, je ne me rappelle pas avoir entendu désigner les habitants du pays autrement que par "bougnoules" ou "ratons". Or, j'ai longuement discuté avec le clergé de Sétif qui m'a parlé des "moukères" qui étaient à son service. Je t'assure que le père Diridalou (si c'est son nom exact) n'a rien exagéré en nous parlant de l'Algérie. Dimanche soir, vers 16 heures, une patrouille ramenait un "rebelle", ou du moins un suspect de cacher des armes; il avait bien 40 ans et son visage indiquait qu'il avait reçu force coups de poing et coups de pied, il en avait perdu la moitié de ses joues et il avait peine à se tenir sur ses jambes. La jeep qui le transportait était à peine entrée dans la cour du quartier qu'un essaim de plus de 1.500 troufions se précipitait d'abord en curieux, puis rapidement en ennemis acharnés vers le fameux « fellaga ». Devant la fureur des rappelés, un lieutenant est intervenu en disant: "Il ne vous a rien fait, alors éloignez-vous!" Le lieutenant a failli se faire tuer, et comme la jeep repartait vers la gendarmerie, les plus acharnés se sont précipités avec des fils de fer barbelés en main pour arranger un peu mieux la tête de l'Arabe... Face à cela, sur le fait, il est impossible d'intervenir, les lois de la foule sont terribles." Violée par les paras, Louisette Ighilahriz, témoigne ! Sans l'histoire de Louisette Ighilahriz, racontée à la "une" du Monde le 20 juin 2000. Extrait : Ce jour-là paraît un court récit en forme de coup de poing. "J'étais allongée nue, toujours nue. Ils pouvaient venir une, deux ou trois fois par jour. Dès que j'entendais le bruit de leurs bottes, je me mettais à trembler. Ensuite, le temps devenait interminable. Les minutes me paraissaient des heures, et les heures des jours. Le plus dur, c'est de tenir les premiers jours, de s'habituer à la douleur. Après, on se détache mentalement. C'est un peu comme si le corps se mettait àflotter..." Louisette Ighilahriz avait 20 ans quand elle s'est retrouvée, grièvement blessée, dans les locaux de la 10e division parachutiste (DP) à Alger, en septembre 1957, après un accrochage avec l'armée française. Pendant sa captivité, elle voit passer de temps à autre Massu et Bigeard, deux des plus hauts responsables militaires de l'époque. C'est un de leurs adjoints, le capitaine Graziani, qui est chargé de l'interroger. Ce pied-noir n'utilise ni la gégène ni le supplice de l'eau pour faire parler sa prisonnière. Il la viole. Si Louisette Ighilahriz sort de l'enfer au bout de trois mois, c'est grâce à un inconnu, un certain commandant Richaud. Quand cet officier - le médecin militaire de la 10e DP - découvre l'état dans lequel elle est, il s'émeut. "Vous me faites penser à ma fille", lui dit-il, avant d'ordonner son transfert à l'hôpital, puis en prison. Louisette n'oubliera jamais cet inconnu dont elle ne connaît que le nom. Quand elle se confie au Monde en avril 2000 à Alger, l'article, sitôt publié, soulève une émotion considérable. Bigeard menace le journal d'un procès "qui le mettra à genoux" et qualifie le récit de Louisette Ighilahriz de"tissu de mensonges". Plus inattendu encore : au cours de cette interview accordée au Monde, Massu avoue que la torture "n'est pas indispensable en temps de guerre" et que l'on pourrait "très bien s'en passer". "Quand je repense à l'Algérie, cela me désole. La torture faisait partie d'une certaine ambiance. On aurait pu faire les choses différemment", ajoute-t-il. Les "regrets" de Massu créent la stupeur. S'ajoutant à l'histoire de Louisette Ighilahriz, ils déclenchent un "retour du refoulé" sur la guerre d'Algérie auquel personne ne s'attendait. "Jamais je n'aurais cru assister à cela de mon vivant", déclare, bouleversé, l'historien Pierre Vidal-Naquet. Khéïra Garne avait 15 ans quand elle a été victime d'un viol collectif Le Monde décide alors de poursuivre son travail de mémoire. Le 9 novembre 2000, sort l'histoire de Khéïra Garne, qui vit dans un cimetière d'Alger, entre deux tombes, à demi folle. Khéïra avait 15 ans quand elle a été victime d'un viol collectif commis par des soldats français, à Theniet El-Had, au sud-ouest d'Alger. De ce drame, elle a eu un fils, Mohamed. Cet homme, qui se dit "français par le crime", ne cherche pas à identifier son père - "pour moi, un treillis vide, les yeux vides", dit-il sèchement - mais à faire reconnaître par l'administration française le préjudice qu'il a subi. Il réclame une pension en tant que victime de guerre, souffrant de troubles psychiques. Mais le ministère de la défense la lui refuse, au motif qu'il n'est pas une victime de la guerre d'Algérie puisqu'il en est... le fruit ! L'histoire de Khéïra et Mohamed Garne sera le prélude à une autre enquête du Monde, cette fois-ci sur les viols commis par l'armée française pendant la guerre d'Algérie. Non, les viols n'ont pas été de simples "dérapages" mais ont eu un caractère massif... Cette "découverte-redécouverte" de la guerre d'Algérie prend une tournure plus politique à partir du 31 octobre 2000, avec l'appel des douze Henri Alleg raconte la torture pendant la guerre d'Algérie Henri Salem arrive à Alger en 1939, à 18 ans. Il va faire de ce pays sa patrie d'adoption, n'en repartant qu'en 1965 après le coup d'Etat de Houari Boumediene. Militant communiste et anticolonialiste, il devient journaliste et milite. Dès 1951, il prend la direction d'Alger républicain, un journal qui a publié notamment Camus. En 1955, son journal est interdit. Il troque dans la clandestinité son nom de Salem pour celui d'Alleg et participe à des réseaux d'aide du FLN.Le 7 janvier 1957, le général Massu se voit confier les pleins pouvoirs à Alger. Le 12 juin, en pleine "bataille d'Alger", les hommes de la 10e division parachutiste procèdent à l'arrestation d'Henri Alleg, alors qu'il se rend chez son ami, Maurice Audin, professeur à l'université d'Alger.Dès son arrestation, Henri Alleg sait qu'il sera torturé. Il le sera à El-Biar, une sorte de "centre de triage". Il est le dernier à avoir croisé Maurice Audin vivant, dans ce lieu. Le corps du jeune mathématicien ne sera jamais retrouvé.Transféré à la prison de Barberousse, Henri Alleg va commencer à écrire son récit, sur l'idée de son ami et avocat Léo Matarasso. La Question sera publié par Jerôme Lindon aux Editions de minuit, en 1958.En 2005, il publie Mémoire algérienne. Souvenirs de luttes et d'espérances, aux éditions Stock. Ni excuses ni remords Le Général Paul Aussaresses. Militaire de carrière, spécialiste du renseignement (SDECE) ,reconnaît avoir torturé et exécuté des prisonniers FLN (Front de libération national) pendant la "guerre d'Algérie", entre 1955 et 1957, sous les ordres de généraux (Bigeard, Massu), eux-mêmes sous les ordres, selon lui, de ministres "parisiens" (Guy Mollet, Max Lejeune), où ceux-ci étant informés et complices, selon lui (notamment M. François Mitterrand). Ce dernier , ministre de la Justice du gouvernement socialiste de Guy Mollet, a "créé les conditions légales de la torture" en Algérie". Jacques Attali, ancien conseiller de Mitterrand à l'Elysée, assure que le président a reconnu devant lui "avoir fait une erreur sur l'Algérie, quand il a, comme garde des Sceaux, proposé la loi qui est devenu la loi de mars 1956 qui donnait tous les pouvoirs aux militaires en matière de justice" sur le sol algérien.Le général Schmitt , le chef d'état-major des armées entre 1987 et 1991 ,aurait-il participé à des séances de torture, en 1957, aux pires heures de la bataille d'Alger ? Dernière manifestation publique en date de la résurgence du débat sur la guerre d'Algérie, le général Maurice Schmitt, , est désigné par une femme algérienne, ancienne combattante du FLN, comme l'un des officiers qui, en août 1957, donnaient des ordres aux soldats qui l'ont violentée et humiliée pour la faire parler. Le témoignage en question a été recueilli par un reporter de France 3, Jean-Yves Serrand, pour un magazine "Pièces à conviction" consacré à la torture en Algérie.France 3 a diffusé, un extrait du reportage dans son journal. De son côté, Le Monde a joint par téléphone à Alger, Malika Koriche, l'ancienne moudjahida , qui évoque, "pour que la vérité soit connue", son parcours depuis cet après-midi du 7 août 1957, où elle a été interpellée par des parachutistes et conduite à l'école Sarouy, située à proximité de la casbah d'Alger. Sarkozy : " La France n'a pas à se repentir " Dans un entretien au quotidien Nice Matin, Nicolas Sarkozy a répété que la France ne pouvait pas " se repentir d'avoir conduit " la guerre d'Algérie, même si les " abus " et les " atrocités " commis de part et d'autre pendant ce conflit devaient être " condamnés ". " Il y a eu des abus ", commis pendant la guerre d'Algérie (1954-1962), a déclaré Nicolas Sarkozy. " Des atrocités ont été commises de part et d'autre. Ces abus, ces atrocités ont été et doivent être condamnés, mais la France ne peut pas se repentir d'avoir conduit cette guerre ", ajoute-t-il. La France ne peut pas être coupable de tout et de son contraire. La France assume son Histoire, c'est tout ", poursuit Nicolas Sarkozy. En mettant ainsi sur le même pied d'égalité les victimes algériens et les bourreaux français, le président Français prend ainsi le risque d'une nouvelle brouille avec l'Algérie.