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Clôture du colloque sur l'acculturation dans le roman colonial
Publié dans Réflexion le 18 - 04 - 2010

« Pourquoi pas un lycée Francis Jeanson ou un théâtre Jacques Berque » plaidera avec force un intervenant lors du colloque sur l'acculturation dans le roman colonial qui vient de s'achever après deux journées de débats lucides, passionnés et sereins. Un autre se demandera pourquoi un demi siècle après l'indépendance « on n'est pas parvenu à donner le nom de Jean Sénac ou celui d' Anna Greki à un centre culturel ou à une maison de la culture».
En échos, cet ancien éducateur lui rétorquera que « ça serait la meilleure manière de marquer à jamais notre reconnaissance à ces combattants de l'ombre, ces visionnaires humanistes ; ça aiderait les générations futures à aborder avec conviction la voie qui mène vers l'esprit d'ouverture et surtout de fidélité envers ces intellectuels Français qui ont tant donné pour la libération du pays du joug colonial». En regroupant autant de chercheurs et d'universitaires autour d'un sujet d'une cruelle actualité, les docteurs Mohamed Kada et Tayeb Menad auront indéniablement ouvert la voie vers un dialogue avec nous-mêmes mais également avec notre mémoire. Il suffisait de voir les nombreux étudiants de l'université de Mostaganem qui auront afflué en masse vers la maison de la culture Ould Abderrahmane Kaki où se déroulait la rencontre pour s'en convaincre. Il est également vrai que le sujet était porté par une pléiade d'intellectuels et d'universitaires venus de la profonde Algérie pour insuffler une dynamique à cette réflexion multiple. C'est ainsi que la nécessité d'investiguer en toute sérénité cette littérature colonialiste aura été soulignée par les participants qui appelleront à un autre regard envers des textes aux relents misérabilistes, voire abominablement racistes. Grace à des débats clairvoyants, malgré quelques sournoises réminiscences, le clivage récurrent entre arabophones et francophones n'aura pas fait dévier les débats vers les sentiers de l'obscurantisme. C'est bien le contraire qui se produira lorsque une autorité comme Amine Zaoui plaidera pour une autre lecture de la production littéraire nationale, et appellera sans détours à un dépassement salutaire des clivages savamment entretenus par une frange de moins en moins visible de l'intelligentsia nationale. Dans une conférence introductive d'une grande clarté, l'orateur n'aura de cesse d'appeler à la sérénité et à la responsabilité. Lui faisant écho, Ahmed Cheniki, Med Boudaoud, Abdelkader Sadouki, Hocine Allem ou Amar Belkhodja abonderont dans le même sens, mettant leur fougue au service d'une approche apaisée et d'une lecture lucide de cette littérature coloniale qui aura fait la part belle à un racisme indigne. Un racisme assumé qui aura surtout permis d'en discréditer les auteurs. A ce titre les conférences de Med Boudaoud et de Abdelkader Sadouki sur les romans de lui Bertrand et sur l'œuvre de Guy de Maupassant lèveront définitivement le voile sur cette littérature misérabiliste. Dont les relents racistes et xénophobes auront définitivement levés le voile sur l'auteur de « Bel Ami » qui s'avèrera n'etre qu'un perfide affabulateur. La rencontre pourtant peu médiatisée, aura drainé un grand nombre d'universitaires et d'intellectuels ainsi que plusieurs dizaines d'étudiants de la faculté des lettres. Rehaussé par la présence du romancier Amine Zaoui et du chercheur Ahmed Cheniki de l'université d'Annaba, le colloque aura enregistré la participation de pas moins de 11 conférenciers. C'est Amine Zaoui qui le premier interviendra pour souligner l'impérieuse nécessité de dépasser les tensions entre arabophones et francophones et songer sereinement à une réconciliation du pays avec ses intellectuels d'ici et d'ailleurs. Il sera relayé par Med Boudaoud et Aziz Mouats, de l'université de Mostaganem, qui parleront respectivement de « Louis Bertrand à travers une lecture de Rabah Belamri » et « d'Albert Camus ou la prière de l'Absent ». Selon Med Boudaoud Louis Bertrand « ne se souciait nullement de l'extrême indigence des populations autochtones, s'arrêtant longuement sur les mérites des colons », alors que « ces Arabes paresseux et sales encombrent les fossés et les routes » de son « heureuse Algérie » ; une image peu amène, dira le conférencier « qui continue malheureusement de ressurgir dans la littérature algérienne ». Son collègue Aziz Mouats articulera sa conférence autour de l'absence d'Albert Camus lors de la répression d'aout 55 dans le Nord Constantinois et durant la guerre d'Algérie. Rappelant le réel engagement de Camus contre les représailles du 8 mai 45, le conférencier soulignera avec force détails combien la présence de Camus aurait pu sauver des vies innocentes lorsque qu'une répression à grande échelle fera plus de 12.000 victimes. A l'appui de sa thèse, l'orateur découpera la vie de Camus en 4 étapes, celle de 1914 et la première guerre mondiale qui fera de Camus une pupille de la nation, celle de 1939 où l'auteur de l'étranger vilipendera la misère en Kabylie, tout en prenant soin de ne jamais remettre en cause le rôle prépondérant de la colonisation dans cette souffrance indigène, puis viendra la date fatidique de l'insurrection nationaliste du Nord Constantinois, le 20 aout 1955 et la terrible et disproportionnée répression qui s'abattit sur des populations innocentes et démunies, enfin la remise du prix Nobel en décembre 1957 et l'appel à la trêve civile du 22 janvier 1958. Autant d'étape que le chercheur mettra en exergue pour explique l'absence de Camus et son silence sur les thèses répressives et sur la généralisation de la responsabilité collective. L'auteur s'appuiera notamment sur la lettre de Camus à son ami Aziz Kessous, publié 40 jours après l'insurrection ordonnée par Ziroud Youcef, qui le pressait de dénoncer la répression aveugle et à laquelle Camus dira sa désolation de ne pas avoir répondu car il était en vacance! Il préféra soutenir que « les solutions qu'on pouvait envisager avant le 20 aout sont déjà dépassées ». Toutefois, empruntant au registre de l'orphelinat, ce statut peu enviable dont hériteront les centaines de milliers d'enfants algériens, le conférencier soulignera qu'à la conférence de Stockholm, lorsqu'il dira préférer sa mère à la justice, Albert Camus ne pouvait se départir de son statut d'orphelin. Dont la mère risquait tous les jours sa vie dans le trolleybus algérois.
Inscrire la manifestation
dans la durée
De son coté, le dramaturge Bouziane Benachour abordera la question du discours militant dans le théâtre algérien des années 40, soulignant l'extrême dénuement des décors, il mettra en exergue le formidable foisonnement de la société durant cette époque où les luttes politiques commençaient à prendre un réel ascendant sur la société musulmane. « Les mythes obscurs d'un Algérianisme à rebours et les scribes attitrés de la colonisation » serviront de trames à l'intervention du professeur Cheniki. Mansour Benchehida et le jeune universitaire de Mascara, Abdelkader Sadouki feront une lecture studieuse de deux auteurs français. Le premier parlera d'acculturation à travers le livre « Affrontement culturels dans l'Algérie coloniale » d'Yvonne Turin. Il fera également une digression chez Pierre Péan et son ouvrage « Mains basses sur Alger » pour rappeler que la colonisation fut d'abord une affaire de rapine financière. Son jeune collègue fera une brillante lecture de l'œuvre de Guy de Maupassant, dont il n'aura aucune peine à dévoiler la face peu glorieuse d'un auteur raciste et méprisant. Pour leur parts, Soumia Mouard de Constantine et Amar Belkhodja de Tiaret parleront respectivement du « Cinéma colonial et ses désirs illusoires » et des « Théories Racistes » que l'enfant prodigue du Sersou ne cesse de pourfendre au travers de ses nombreux écrits et dires. Intervenant en langue arabe, Hocine Allem de l'université de Mostaganem fera une brillante communication sur la définition du romancier colonial ; s'appuyant sur une rigueur scientifique éprouvée, il ne laissera aucune place à l'improvisation. Son humilité cachait mal son sens développé de l'honnêteté intellectuelle. La rencontre aura été largement suivie par des étudiants qui auront fait montre d'une assiduité peu commune. Intervenant avec un sens appuyé du discernement, ils apporteront à ce colloque cette fraicheur juvénile avec cette quête de repères afin d'asseoir une personnalité authentiquement algérienne qui ne demande qu'à s'affirmer. Indéniablement Habib et ses compères auront brillé par leur sérieux et par leur discipline.
Un butin de guerre à fructifier
Lors de la cérémonie de clôture, les participants lanceront un appel afin que cette manifestation soit davantage soutenue et encouragée. Ils demanderont aux pouvoirs publics à prendre en charge cette littérature coloniale afin de permettre aux chercheurs universitaires de se l'approprier comme outil de travail sur les dérives et autres crimes de la colonisation. Ils souhaitent également que ce premier colloque permette aux institutions universitaires et culturelles de fédérer davantage leurs efforts afin que ces rencontres puissent se renouveler à l'avenir. Et s'inscrire dans la continuité, notamment en alimentant les fonds documentaires spécialisés avec l'ensemble des ouvrages sans exclusions, les participants, estimant que ce serait le meilleur gage pour que cette littérature serve à donner la véritable image de la colonisation Française de l'Algérie. Emballé par cette proposition, un chercheur chevronné dira « qu'il serait temps de dépasser nos futiles pulsions et de s'attaquer à cette funeste période coloniale avec les armes de l'adversaire ». Le procès récurrent des auteurs algériens de langue française qu'un conférencier aura vainement tenté de ressusciter s'est vite retourné contre son auteur lorsqu'un contradicteur lui demandera « de donner seulement la preuve du moindre bruissement assimilationniste dans l'œuvre de Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Assia Djebbar, Med Dib ou Mouloud Feraoun ». Les organisateurs auront indéniablement eu la main heureuse en ponctuant cette rencontre par la projection de l'excellent documentaire sur « Les zoos humains » de Pascal Blanchard. Gracieusement prêté par Mostefa Abderrahmane qui confirme davantage son engagement pour un cinéma novateur et sans concessions sur les crimes coloniaux, le film relate cette hideuse pratique occidentale de la fin du 19ème au début du 20ème siècle. Le film d'une durée de 52 minutes retiendra en haleine le public qui le suivra dans un silence religieux jusqu'à l'ultime image de l'enterrement dans son Afrique du Sud natale de la vénus Hottentote. Un film bouleversant qui retracera cette ténébreuse période durant laquelle, les colonialistes feront déplacer par vagues, des populations africaines entières pour les exhiber à un public occidental à la recherche de sensationnel. Au même titre que les animaux sauvages qu'ils côtoieront souvent dans les ménageries de Paris, Hambourg, Londres ou Moscou. Cette projection viendra ponctuer une série de conférences où de talentueux intervenants feront un procès sans fard à la littérature coloniale d'expression française. Ce qui relancera davantage le débat entre les nombreux partisans d'une véritable littérature nationale dont les auteurs se recrutent, comme le soulignera avec force Med Bendaoud, dans la frange des écrivains algériens de langue Française. Il n'omettra pas d'appeler ses collègues arabophones à produire des œuvres aussi fortes que celles de leurs coreligionnaires francophones, dont la langue n'est qu'un prétexte. A l'appui de cette invite, un jeune intervenant parlera de l'exemple de Waciny Laaredj, de Boudjedra et d'Amine Zaoui qui auront sans complexe franchi avec aisance le Rubicon. Ultime épreuve, ce sons ses romans en français qu'Amine Zaoui dédicacera à ses nombreux lecteurs et lectrices dans le hall de la maison de la culture.


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