ls sont venus constater notre douleur de vivre. Toute une commission composée de gens apparemment heureux, n'ayant nul besoin d'étaler leur bonheur pour en faire briller les éclats. Apparemment tranquilles. Visiblement savants. Tellement savants. Ils avaient tous des stylos et des carnets de notes dans les mains. Pour prendre des notes. Ils en ont pris. Du moins, ils en ont donné l'impression. Ils posaient des questions, écoutaient puis écrivaient. Ils essayaient de garder un regard sérieux, évitant de se montrer trop compatissants pour ménager nos sentiments, mais suffisamment tristes pour dire qu'ils ressentent ce que nous endurons. Du moins, nous le laisser croire… Un seul parmi eux ne semblait pas faire comme les autres, ne posait pas de questions, n'écoutait pas les réponses, n'avait ni stylo ni carnet en main. Juste un blouson fermé, les mains enfoncées dans les poches, les yeux constamment levés. Comme s'il était obsédé par la coursive branlante, craignant qu'elle s'écroule à tout moment. Précisément à cet endroit même où elle s'effondra partiellement, il y a quelques années déjà, en face de la porte d'entrée du logement de la vieille ‘khalti' Hadda. Les traces du ciment, pour colmater la brèche et empêcher qu'elle tombe entièrement, entraînant le reste de la coursive, étaient encore bien apparentes. Elle vivait seule dans la hara, ‘khalti' Hadda, depuis deux décennies, ses enfants ayant préféré aller habiter ailleurs pour sortir de la promiscuité infâmante. Ils ne viennent même plus lui rendre visite, tant ils ont honte que leur mère s'abrite encore dans ce taudis ; il leur rappelle qu'ils furent un jour pauvres et entassés, avant l'avènement de Dallas et les largesses de la distribution de la rente. Puis, abandonnant le groupe des scrutateurs, il prit l'escalier pour monter sur la terrasse. Arrivé là, il se pencha légèrement sur la balustrade, sortit un petit appareil photo numérique de sa poche de blouson, et prit une série de photos. Les autres membres du groupe, toujours regroupés au milieu de la cour, levèrent de concert les yeux, lui jetèrent des regards férocement malveillants, pour bien lui signifier combien ils trouvaient son manque de solidarité inconvenant et ses initiatives mal à propos. Cela ne dérangea en rien sa résolution. Il continua de prendre des photos dans toutes les directions. Puis, calmement, il revint dans la cour, flâna un peu à la limite des seuils des chambres, loin du groupe, comme pour effectuer une visite d'adieu. Puis il sortit dans la rue avant les autres. La hara pouvait maintenant être démolie et ses habitants relogés dans des cités neuves, lointaines et anonymes. La commission remettra un rapport. Lui le signera aussi pour avoir la conscience définitivement compromise.