Les études sur le bonheur, à notre époque, sont nombreuses. Elles s'appuient globalement sur les mêmes indices et elles aboutissent approximativement aux mêmes résultats. Selon une recherche conduite par Ruut Veenhoven, grand spécialiste de l'étude du bonheur ou de la satisfaction par rapport à la vie, l'Algérie arrive à la 70e place sur un total de 95 pays soumis à un classement sur la joie de vivre des populations. Un barème conçu par cet éminent spécialiste dans l'étude des conditions sociales du bonheur humain, fait ressortir que nous, Algériens, vivons moins heureux que les Marocains, les Sénégalais ou les Nigérians. Nous en sommes encore au même niveau que les populations du Kenya. Selon le classement établi après des sondages qui ont ciblé les habitants, nous, Algériens, vivons malheureux et dans la déprime au quotidien. Sur une échelle de points de zéro à dix, l'équipe de Veenhoven a abouti au classement qui met en première position le Danemark avec 8,2/10. Selon cette équipe, les Danois sont les plus heureux au monde. Ils sont suivis directement par les Helvétiques puis, vient en troisième position l'Autriche devançant à peine l'Islande et la Finlande. Contrairement à ce que l'on croit, la France, dans cette étude, n'arrive qu'à la 39e place. Les études sur le bonheur, à notre époque, sont nombreuses. Elles s'appuient globalement sur les mêmes indices et elles aboutissent approximativement aux mêmes résultats. Une autre étude conduite par Adrian White, psychologue de l'université de Leicester du Royaume-Uni, fait ressortir le même pays, le Danemark, à la même position. Le même pays, la Suisse, à la seconde place et l'Autriche à la troisième. L'Algérie avoisine la dernière place loin derrière des pays africains que nous croyons à tort plus malheureux que nous. N'est-il pas à s'interroger sur les causes qui ont placé les Algériens dans les dernières places de toutes les études? Mais, pour comprendre cela, il aurait été d'un apport considérable que nos sociologues qui sortent pas centaines voire par milliers des universités aient exploré ce domaine chez les Algériens. Faute d'études et de sondages, nous avons trouvé dans les témoignages que nous avons recueillis auprès des différentes couches de la population une aide appréciable. Pour approcher ce phénomène, nous avons adopté les mêmes baromètres et paramètres pour sonder le niveau de satisfaction des Algériens par rapport à la vie, c'est-à-dire, le bonheur et la joie de vivre. Durant ces deux dernières décennies, il s'est passé beaucoup de choses qui ont bouleversé beaucoup d'idées reçues et de faits établis. Ces récentes études sur le bonheur nous ont dissuadés de partir dans la rue demander aux gens si l'argent fait le bonheur ou non. Les différents classements ont démontré que des pays riches traînent derrière des pays financièrement pauvres en matière de bonheur. Aujourd'hui, pour parler de l'argent, les spécialistes adoptent un langage plus économique. Ils parlent plutôt de PIB (Produit intérieur brut). Nous sommes donc partis avec trois paramètres sur lesquels les spécialistes de la question se sont accordés. Il s'agit de la richesse, de la politique, de la santé, de l'éducation et des libertés individuelles et collectives. Ainsi, sur la place publique algérienne, des témoignages mettront en évidence des constats invraisemblables. Les vieux, les jeunes, les riches, les pauvres, les hommes et les femmes, tous s'accordent sur l'importance de ces paramètres dans la satisfaction par rapport à la vie, c'est-à-dire, le bonheur et la joie de vivre. Plus encore, la rue algérienne montre d'autres critères importants et que les scientifiques n'ont pas pris en considération. Du point de vue économique, les citoyens que nous avons approchés s'accordent sur beaucoup d'améliorations mais qui demeurent loin des attentes. «C'est vrai qu'il est maintenant plus facile de trouver un travail mais je ne sens pas encore ce bonheur dont vous me parlez», nous répond Mohamed qui dépasse la quarantaine mais qui est encore célibataire. D'autres précisent encore plus leurs besoins comme Saïd. «Je travaille depuis longtemps, je gagne de l'argent mais je ne ressens pas son goût» Nous avons essayé de sonder le fond de son idée. «Oui, avec ce que je touche, j'aurais pu aller passer des vacances, un week-end en compagnie de ma famille. Mais, croyez-vous qu'il y a vraiment où aller en famille dans ce bled?», conclut-il en nous interrogeant. Il y a des témoignages à profusion. Nous avons fait l'économie de ceux qui abordent la question sous le même angle. «Moi, je suis malheureux rien qu'en me levant le matin et je me retrouve ici dans ce bled». Hacène, la vingtaine à peine dépassée, trois tentatives de harga par le passé. «Je ne veux rien, je n'espère rien et je ne demande rien, j'ai décidé de partir, je ne veux pas de votre bonheur ici» lancé comme un coup de gueule. Kamel, un informaticien de formation nous a confié qu'il préparait son dossier pour émigrer au Canada. «Je plains les gens de ce pays qui croient que s'ils ont de l'argent, ils seront heureux». «Vous savez, les gens d'ici, l'argent, ça les rend malheureux. La richesse, il faut en être capable, sinon, ça rend fou et malheureux» conclut-il. Et, les vieux qu'en pensent-ils? Ils souffrent moins que les jeunes. «Ma vie est derrière moi. Je ne suis pas du genre qui regrette ce qu'il a vécu. J'espère que les enfants souffriront moins que nous», affirma Ali, la soixantaine dépassée. «Le bonheur, c'est quoi déjà en kabyle?» interroge Akli, qui ne se sépare plus de sa canne et de son chapeau de paille. «Avant, nous n'étions pas aussi pressés, aussi agités. Je me souviens, on mangeait du caroube le matin. Aujourd'hui, avec les gâteaux, le café crème, la confiture et les jeunes ne sont plus heureux comme nous.» «C'est très important d'être en bonne santé, c'est même l'essentiel, le reste ça vient, ça vient pas, ça dépend des moments.» La sécurité fait partie du niveau de vie des populations. Partout, il nous a été révélé l'importance du sentiment de sécurité. Les villages sont les derniers à voir cette paix de l'âme s'en aller. Dans les villes, cela fait longtemps que la délinquance s'est installée. «Comment voulez- vous être bien alors que l'on est en sécurité nulle part!», fulminait presque un vieux que nous avons abordé dans le centre-ville de Tigzirt. «Avant, les gens n'étaient pas obligés de fermer les portes de leurs maisons. Personne n'osait voler dans une maison», ajoute-t-il. Son compagnon va plus loin. «Avant, on pouvait aller où on voulait et quand on voulait, mais maintenant qui peut oser sortir la nuit?» Il faut également souligner un fait très important: il y a un glissement de sémantique qui s'est opéré dans les milieux populaires. Alors qu'il y a quelques années, les gens parlaient de sécurité, aujourd'hui, nous avons recouru à la traduction car on parle de paix. Sommes-nous en guerre? Autre point partagé par tous nos interlocuteurs: la liberté individuelle. Certains témoignages prouvent si besoin est, que notre façon de vivre, de penser et de nous comporter est en grande partie derrière notre quotidien malheureux. «Vous parlez de bonheur, ici on ne te laisse même pas mourir tranquille», nous dit Saïd un jeune, la trentaine, en rigolant. «Ici, on vit pour les autres, on s'habille pour les autres, on se marie pour les autres, on achète des voitures pour les autres, on construit des maisons pour les autres,...On vit pour se montrer, quoi», continue-t-il satirique mais visiblement sincère. Nous devons aussi mentionner que la liberté individuelle est le point qui a soulevé le plus de commentaires. Il y a une véritable révolte latente qui n'attend qu'une étincelle pour exploser. «Ici, mon vieux, on te dicte même ta manière de respirer. Tout le monde guette tout le monde», fulmine Kamel qui attend son départ pour le Canada. «Pourquoi croyez-vous que les gens comme moi partent en harraga, moi, je ne crains pas les policiers ou les gendarmes, j'ai le courage de faire une guerre à qui tu veux», dit Ferhat, vingt-cinq ans, deux fois refoulé de l'Héxagone. «Je ne veux pas partir pour avoir de l'argent ou pour manger. C'est ce que vous croyez. Non, je peux jeûner trois années d'affilée sans me ruer sur la zalabia le soir, je peux travailler vingt-quatre heures par jour, je peux....Mais, j'en ai marre que les gens décident à ma place de ce qui est bon ou de ce qui est mauvais», continue Ferhat. Nous avons aussi constaté que ce point intéresse davantage les jeunes que les vieux. «Les gens ici sont agressifs. Plus de mots gentils, plus de sourire, les gens font peur», affirme Rachid, un propriétaire de magasin. Enfin, après cette sortie dans la rue, il nous a été facile de constater que la richesse d'un pays ne suffit pas pour apporter le bonheur dans les familles. D'autres critères doivent être réunis. Cela va de la sécurité pour la vie, d'un système de santé fiable, d'un marché du travail ouvert, d'un espace de liberté individuelle et collective, au civisme. Un pays où il fait bon vivre n'est pas forcément un pays riche. La preuve en est que les Etats-Unis d'Amérique n'occupent que la seizième place et la France traîne à la trente-neuvième. Par contre le Porto Rico et la Colombie occupent de bonnes places sans être riches. Au fil des discussions, il apparaît que la position de notre pays dans le classement est incontestable. Toutefois, selon les conclusions des études, il apparaît aussi qu'il n'est pas impossible mais, il nous reste beaucoup de travail à faire...sur nous-mêmes essentiellement. Pour clore, nous avons jugé utile de décrire le mode de vie des habitants de Ringkobing, la ville danoise classée la plus heureuse au monde. C'est une petite ville du littoral. Elle baigne chaque jour dans l'air marin. Les gens y vivent avec une simplicité déconcertante. Un job assuré, des activités sportives et associatives intenses. Les portes des maisons restent ouvertes, celles des magasins sans risque de vol. Les gens sont tous souriants. Une vie simple qui rappelle paradoxalement celle en cours dans un village kabyle d'antan. Méditons la ressemblance...