Parmi les Algériens beaucoup rêvent de passer leurs vacances hors des frontières. Ceux qui en ont les moyens le font, même si cette année des destinations comme la Tunisie se révèlent problématiques. Les autres se contenteront de rêver. Il existe pourtant une catégorie d'Algériens qui ne rêve que d'une chose, et cela pendant toute une année : passer les vacances en Algérie. Ces gens là, sont les émigrés. Chaque été les Algériens se préparent avec une certaine fébrilité à accueillir ces gens, somme toute, étranges que sont les « migriats », ou les « zmegras » comme on dit. Par maints aspects, ils ressemblent aux autochtones. Ils en possèdent les tics, les habitudes qu'ils retrouvent comme par enchantement dès qu'ils foulent le sol du pays, voire même dès l'embarquement dans l'avion ou le bateau. Ils renouent assez rapidement avec cette « nervosité », cette impatience quasi-nationale, ce désir jubilatoire de ne plus respecter les règles. Brimés toute l'année par l'obligation de se plier aux règles, ils semblent se libérer, en quelque sorte, en se replongeant dans l'anarchie à l'algérienne. Êtres paradoxaux. Pas vraiment des étrangers, mais des êtres hybrides. Un pied dedans, un pied dehors. Ils débarquent par air ou par mer avec femmes, enfants, voitures, bagages, beaucoup de bagages. Ils sont chargés. Ils ramènent dans leurs bagages des babioles, des tapis, de l'électroménager, des savons, du chocolat et bien d'autres objets hétéroclites. Ils mettent un point d'honneur à ne pas rentrer au pays les mains vides. Il leur faut absolument ramener quelque chose à chacun. Leurs familles sont nombreuses et leurs membres susceptibles. Gare à la rancune de celui qui aura été négligé. Dès la douane, ils sont accueillis à bras ouverts. On ne les tracasse plus, depuis longtemps. Bien au contraire, on les chouchoute. Les formalités sont, généralement, vite expédiées. Ils apprécient cet accueil, même s'ils sont prompts à critiquer le moindre dysfonctionnement. Ils se sentent gâtés, eux qui n'ont pas tellement l'occasion de l'être surtout s'ils viennent de France. Après, ils s'égaillent dans le pays tels des moineaux et il y a comme un air de fête qui se répand un peu partout. Impossible de les rater. On les voit dans les marchés à l'affût des bonnes affaires. C'est que les temps ont changé. Avant, ils étaient attendus comme des messies pour les cadeaux qu'ils ramenaient car ils vivaient dans le monde des produits introuvables dans le pays. Tout ce qu'ils apportaient avait l'odeur de là-bas. L'odeur du rêve. Ce temps là est révolu. Maintenant, c'est eux qui viennent faire des emplettes au pays et les commerçants s'en frottent les mains. On les voit sur les fronts de mer des villes côtières dans leurs voitures reconnaissables aux plaques minéralogiques, vitres ouvertes, musique à fond. Ils font des aller-retours, créent des embouteillages jusqu'à pas d'heure. Les femmes hurlent leur bonheur d'être-là par des « youyous ». Quand ils n'en peuvent plus, ils s'installent en famille aux terrasses des crèmeries, des pizzerias, des cafés, ou des restaurants. Ils profitent de la fraîcheur du soir pour prendre des glaces. Les hommes retrouvent l'usage de la « aabia » ou du « kamis », les femmes s'habillent volontiers en djellaba, ou tout autre habit traditionnel. Ils se sentent à l'aise d'être vêtus de la sorte et de ne plus être regardés de travers, ni montrés du doigt comme en France ou ailleurs. Ils ont attendu toute une année pour rentrer au pays, voir la famille, célébrer des mariages, des circoncisions ou s'occuper de leurs vieux parents pour certains. Derrière ces émigrés, il y a des destins, des histoires complexes et parfois des drames. Ils piaffent d'impatience dès les premiers jours de juillet pour fouler la terre qui les a vu naître pour nombre d'entre-eux, de respirer l'air du pays, de replonger dans un environnement familier et connu. Cette année est particulière. L'arrivée du ramadan début août raccourci d'autant les vacances d'été et fait que l'affluence des émigrés sera intense au mois de juillet. Or, les journées de galère vécues par nos compatriotes, ces derniers jours et qui se sont retrouvés bloqués, malgré-eux, dans des aéroports ont du être terribles. Surtout, pour les familles avec des enfants, des vieilles personnes ou des malades. Alors pour remédier à cela, sachons partout faire le meilleur accueil à nos frères et soeurs, en leur souhaitant chaleureusement un : « Marhaban bikoum fi bladkoum » !