Les émigrés. Ils sont revenus. Ils reviennent toujours. Les explications ne manquent pas. On aurait pu se contenter de leur bonne foi et prendre ce qu'ils nous racontent chaque année pour argent comptant. Il n'y a aucune raison d'aller chercher ailleurs ce qu'on a sous la main, mais les éternelles motivations de leur retour estival reviennent et ont la peau dure. Tenez, la plus répandue et la plus «consensuellement admise» est celle-là : avec le taux de change – bien évidemment effectué au noir – actuel, ils viennent se payer des vacances de rêve chez «chez nous», c'est-à-dire… chez eux. Tout le monde sait que ce n'est pas vrai, pour plein de raisons, dont la plus importante et la plus simple est qu'il n'y a pas de vacances de rêve chez nous-eux. Si on pouvait se payer de belles vacances au pays, on n'aurait pas près d'un million d'algériens sur les routes de Tunisie chaque été, et on y va d'abord parce que c'est moins cher. Une autre explication, nouvelle et tendance : ils viennent s'approvisionner en divers produits, beaucoup moins chers ici qu'en Europe, selon les relais spécialisés d'été. Vêtements et souliers de grandes marques, électroménager, matériel électronique et bijoux. En matière de grandes marques, nous n'avons que de grossiers ersatz de contrefaçon, nous n'avons jamais vu de vacanciers venus d'Europe faisant des razzias sur les magasins et le volume des valises du retour de nos émigrés n'a aucune commune mesure avec celui de l'arrivée, mais la parole des relais spécialisés de l'été, contrairement à la bonne foi de nos émigrés, ne peut souffrir le moindre doute. Dernière explication de contorsionnistes à l'inspiration facile : ils viennent frimer. Nos émigrés et leurs enfants viennent mettre une petite dose de fraîcheur dans notre sécheresse chronique, font tout pour intégrer le quotidien de la famille et des voisins d'ici avec tout ce que cela leur en coûte parfois, redoublent de courtoisie et de sollicitude, font semblant de s'amuser dans nos fêtes mortellement ennuyeuses, ferment les yeux devant de hargneuses demandes en mariage intéressées de leurs filles qui ne veulent pourtant pas en entendre parler… et on appelle ça de la frime. Cette année, coïncidence de calendrier oblige, il s'en trouve même qui sont venus pour passer le plus dur au pays, le ramadhan. Bien sûr, il y en aura toujours qui vont oser le comble : après avoir douté de leur bonne foi, douter de leur foi tout court. Mais ils vont revenir. Les vacances au pays, c'est du travail, pas du plaisir. Et ce n'est même pas évident que ça coûte moins cher. Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir