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Lemroudj, où sont les figues d'autrefois ?
Publié dans Sétif Info le 19 - 08 - 2011

Il n'y a pas si longtemps, Lemroudj et sa région (Draa Kébila) constituait un important réservoir de figues dont une grande partie était essentiellement exportée vers l'Europe. A l'époque, Lemroudj était parsemé de nombreux vergers de figuiers.
Les variétés de figues produites dans cette localité étaient très nombreuses ; on peut en citer :
* Thaamriwth, de couleur verte tournant vers le jaune en phase de maturation. Ses figues sèches de premier choix étaient essentiellement destinées à l'exportation. Cette variété était la plus répandue.
* Azgouagh, appelé aussi Averkane, est une variété de couleur tournant vers le noir. Les figues de cette variété sont généralement consommées fraîches. Le surplus est séché, puis trié en trois catégories dont le premier choix était destiné à la vente sur le marché local, le second à la consommation familiale et le troisième à nourrir le bétail.
* Azandjar (rougeâtre), ressemble à la variété Azagouagh mais diffère par son goût ainsi que par sa forme. Les figues de cette variété peuvent se manger fraîches, mais on les préfère sèches en raison de leur qualité supérieure ; elles sont très prisées.
* Thahayount est une variété de couleur jaune dont les figues se mangent fraîches. Elles sont sucrées. Les figues sèches sont soit consommées localement ou données au bétail ; elles ne sont pas commercialisables.
* El Ghoudani est une variété dont les figues sont noires et petites.
Elles se mangent fraîches. Relativement sucrée, leur goût diffère des
autres variétés.
* Lamaalla, variété de couleur noirâtre mais peu sucrée. Ses figues se
mangent fraîches.
* Thahadjat, figues de couleur noire, petites et précoces.
* Azgza, figues de couleur verte ; variété peu répandue.
* Thaghawaouth, figues précoces, petites et vertes.
Pour rappel, le figuier est, comme l'olivier, l'arbre fruitier le plus adapté au climat et au relief de la région ; mais il est aussi plus exigeant en matière d'entretien (labours, taille, pollinisation, etc).
Le manque d'entretien des figuiers a non seulement réduit leur nombre mais a aussi nettement diminué leur rendement. Par le passé, les habitants du village couvraient très largement leurs besoins en figues et ils exportaient de grandes quantités notamment vers la France et l'Europe. Aujourd'hui la production tend vers zéro à tel point que les descendants des exportateurs d'hier, ne trouvent plus de figues à se mettre sous la dent en pleine période d'automne.
Autrefois, la production de figues était très importante ; leur cueillette et leur séchage constituaient deux activités principales pour la quasi-totalité des familles et de leurs membres en période d'automne.
Les adultes s'attelaient à faire tomber et sécher les figues mûres. Chaque matin, très tôt, les vieux de chaque famille procédaient au tri des figues ; les sèches sont emmagasinées, les autres étaient rassemblées en vidant certaines claies (thidanchine en kabyle) pour en remplir d'autres. Les claies vidées serviraient à accueillir les figues nouvellement cueillies et à faire sécher.
Une claie est une planche, de forme triangulaire, localement fabriquée, souvent par les producteurs de figues eux mêmes. Faite avec les tiges (Izagti) d'une plante appelée idhlas (dis en arabe), la claie est très légère et facile à manipuler.
Parfois, si toutes les claies sont pleines, notamment lorsque la récolte est bonne, on recourait à d'autres moyens tels que l'aménagement de parcelles de terrains rectangulaires ou carrées pas trop larges pour faciliter le tri des figues étalées. Ces parcelles étaient recouvertes de branches d'une plante appelée « Thilouguith » en kabyle et « retma » en arabe.
A noter que lorsque la pluie approchait, les membres de la famille se mobilisaient pour ramasser rapidement toutes les claies en les plaçant les unes sur les autres et on les recouvrait afin d'éviter que les figues ne se mouillent. Quant aux parcelles pleines de figues, on les recouvrait aussi et on les protégeait des éventuels ruissellements des eaux de pluies.
C'était une époque où les figues constituaient un appoint de nourriture et une source de revenu financier appréciable. Les figues fraîches étaient consommées chaque matin ; souvent, elles remplaçaient le café ou le lait.
En hiver, il n'y avait pas de foyers dépourvus de réserves de figues placées dans des jarres en terre cuite appelées ikhoufane (singulier, akoufi). La capacité de la jarre dite akhoufi variait de un à deux quintaux. Pour faire face au froid, chaque jour, les membres de la famille consommaient une quantité de figues sèches qui leur permettait aussi de réduire l'usage de céréales. Les figues étaient consommées avec de l'huile ou du petit lait ou bien telles quelles.
Les revenus financiers rapportés par la vente de figues sèches servaient d'abord à s'acquitter des lourds impôts exigés par l'administration coloniale ; le reste servait à acheter des produits de première nécessité.
En effet, l'administration coloniale qui n'était d'aucun apport positif pour la population du village imposait lourdement ces derniers et ceux qui ne pouvaient pas s'acquitter de tels impôts se voyaient sanctionnés par le Caid et les gendarmes qui l'accompagnaient.
On raconte qu'un jour, un nommé Chérif n'avait pas payé ses impôts.
Le Caid, en présence des gendarmes et de certains habitants du village, lui ordonna de verser la somme due, séance tenante, sans quoi il jetterait parterre les tuiles de sa maison. Chérif, n'ayant pas les moyens et très courageux, lui répondit que s'il touchait aux tuiles de sa maison, il ne se laisserait pas faire. Pour atténuer la surenchère, un notable du village s'adressa à Chérif en lui disant : « Le Caid peut te frapper comme il peut le faire avec nous tous ». Chérif lui répondit : « Il te frappera toi mais pas moi ».
En effet, le courageux Chérif sort vainqueur puisque lui et sa maison n'avaient subis aucun dommage ; le bien sorti vainqueur du mal.
Il fallait du courage et beaucoup d'audace pour tenir tête au Caid e aux gendarmes. Mais, à cette époque, l'injustice de l'administration coloniale était à son paroxysme et de ce fait, certains habitants n'avaient pas d'autres alternatives que de s'y opposer plutôt que de se soumettre puisque le prix à payer était lourd (confiscation de biens ou emprisonnement).
De nos jours, la population s'est multipliée par quatre si ce n'est plus, alors que la production de figues a nettement régressé du fait qu'il reste très peu de figuiers ; les quantités produites ne couvrent même pas les besoins locaux. Certaines variétés ont complètement disparu.
Les figues ne sont plus exportées ; au contraire, sur les étalages des magasins d'alimentation sont exposées des figues sèches importées.
C'est à se demander si notre terre n'est plus fertile pour donner autant de figues, en quantité et en qualité, comme c'était le cas par le passé d'autant plus que les moyens existants aujourd'hui sont nettement plus importants et plus efficaces que ceux utilisés par nos ancêtres. Ce qui manque le plus c'est peut-être le savoir faire en la matière, la volonté, la patience et une attention particulière à ce fruit très riche en calories.
La culture de figues n'est pas difficile, les terrains de Lemroudj et de sa région s'y prêtent beaucoup pour l'arboriculture de montagne surtout le figuier et l'olivier qui sont deux arbres symboles de la Kabylie.
N'est-il pas nécessaire que de nouvelles plantations de figuiers soient entreprises par les habitants de ce village et de ceux avoisinants avant qu'il ne soit trop tard ? Si l'on continue à négliger cet arbre et à ne pas renouveler ceux existants, viendrait le jour où l'on assisterait à sa disparition totale.
La sonnette d'alarme est tirée ; plantons le maximum de figuiers pour produire autant de figues sèches que par le passé, sinon davantage. Le défi est réalisable pour peu qu'il y ait un minimum de volonté et de prise de conscience du danger encouru aujourd'hui pour le figuier. La manne pétrolière ne durera pas éternellement pour l'Algérie ; l'agriculture sera sans doute la solution de remplacement en termes d'emplois et de revenus.


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