La cinquième édition de la Fête de la figue de Beni Maouche dans la wilaya de Béjaïa, tenue les 13 et 14 septembre, aura été bonne cette fois-ci, après les quatre éditions précédentes. La bonne récolte, quantité et qualité, de cette année y est pour quelque chose, mais aussi avec l'effort de la jeune association de fellahs, Association pour le développement agricole et rural, (ADAR). Celle-ci se dépense à convaincre les producteurs de s'organiser pour la défense et la promotion du produit local de la renommée nationale, et de surcroît, facilement exportable. L'association, qui revendique plus de 120 adhérents, a réussi à impliquer plus activement ces derniers dans la préparation et la prise en charge de la fête. Comme un peu partout en Kabylie et peut-être un peu plus à Beni Maouche, le figuier (avec l'olivier, son compagnon) est l'arbre roi. Ces deux arbres typiquement méditerranéens constituent la seule richesse de ce village haut perché sur les montagnes de la rive sud de la Soummam. Le figuier illumine le paysage et donne du relief à cette procession de collines qui ondulent vers l'infini. L'on comprend tout d'un coup, tout le grand intérêt que les Ath Maouche ont toujours porté à l'arbre mythique. L'arbre millénaire a pendant longtemps constitué la source essentielle de leur subsistance. Le figuier, en plus de son étonnante capacité d'adaptation, est très productif. Intimement lié à l'histoire et la culture de la Kabylie, l'arbre offre aujourd'hui de grandes opportunités de valorisation de vastes terres marginales et d'intégration économique de nos régions montagneuses par la création d'emplois et de petits investissements. A Beni Maouche, on assiste à un retour progressif des gens vers le travail de la terre. De plus en plus de jeunes investissent le domaine et semblent s'y plaire. D'autant plus, qu'avec le temps, les produits du terroir commençant à regagner du terrain, (grâce surtout à une bonne « publicité » : produits naturels aux vertus thérapeutiques) ont de plus en plus de débouchés. Cédée à 300 DA le kilo, et jusqu'à 500 pour le premier choix (ce qui n'est pas rien), la figue sèche parait aujourd'hui parmi les créneaux les plus porteurs. Et la figue de Beni Maouche s'impose déjà comme l'un des meilleurs produits du pays. Elle est même « imitée », puisqu'il y en a qui vendent leur production de figue en prétendant et en jurant qu'elle vient de cette région. Et c'est pour cela qu'il est apparu nécessaire aux fellahs de la région de défendre leur culture ancestrale. La foire de cette année a pour cela été un peu spéciale. Pour une fois, le produit local a été conditionné, sur tous les étalages, l'on voit la belle et pleine figue de Beni Maouche bien emballée, dans des barquettes sous film plastique, avec une étiquette (tirée sur simple imprimante de bureau) portant « droit de label réservé ». Une « trouvaille » de la jeune association locale, qui a forcé la main à ses adhérents en exigeant d'eux de conditionner toutes les marchandises à exposer, histoire de montrer la voie. Un produit de luxe ? Pour rappel, l'un des objectifs primordiaux de l'association est l'installation d'une unité de conditionnement de la figue, par l'entremise d'une coopérative au sein même de l'association, ce qui constituera le premier jalon vers la labellisation du produit. La figue de Beni Maouche est sans conteste parmi les meilleures d'Algérie. D'un bon calibre, bien pleine et succulente à souhait, elle s'impose sur les étalages. Des analyses ont déduit sa bonne qualité nutritionnelle et surtout sa longue période conservation. Ce qui est essentiel pour l'industrie. C'est plutôt bien parti pour les Ath Maouche de voir enfin leur produit pris en charge et leurs efforts, depuis ces longues années, aboutir. Les locaux ont été trouvés et les autorités seraient prêtes à aider les fellahs à surmonter leurs difficultés pour se consacrer à réussir une modernisation de leur culture. La fête a été une bonne occasion pour les agriculteurs de discuter avec le service de l'agriculture de la wilaya (DSA) qui se sont engagés à les aider, à condition de s'organiser. Car l'une des principales difficultés pour la modernisation de notre agriculture reste la parcellisation des terres (la plupart des producteurs disposent de plantations de moins d'un hectare). Et comme « on ne peut pas donner un tracteur pour chacun », il reste la formule de la coopérative qui permet de venir en aide à des initiatives groupées. Par ailleurs, des structures techniques, tel l'ITAF de Takerietz l'Institut technique de l'agriculture fruitière (ITAF) et la recherche agronomique (INRAA) présents à la fête, ont promis de se mobiliser aux côtés des fellahs pour les orienter, les conseiller et les aider pour préserver et améliorer leurs cultures. Ils ont conjointement organisé une conférence-débat qui a beaucoup intéressé les citoyens, et où l'on a beaucoup appris sur la figuiculture en Algérie et les possibilités qu'offre celle-ci pour le développement de la région. L'on a appris par exemple que la figue algérienne est « bradée » aux frontières pour aboutir dans les quotas du Maroc et la Tunisie destinée à l'UE. Or, l'Algérie qui a été parmi les premiers producteurs mondiaux de la figue sèche a peu à peu cédé la place, et voit aujourd'hui la figue turque (à bas prix) envahir ses étalages. Avec les accords d'association avec l'UE, a-t-on prévenu, il faudra s'attendre à une véritable invasion. Ce qui menacera sérieusement la production de la région. Faire face à la concurrence Devant cette mondialisation à pas forcés, où même les Etats-Unis, qui n'ont pourtant introduit la figue chez eux que récemment, commencent à faire concurrence à l'Europe, « on finira par donner nos figues à nos bêtes », résumera le SG de l'APC. Et la voie risque d'être longue pour faire face à cette concurrence : il faut bien produire, en respectant les normes internationales, mais surtout maintenir le rythme, en qualité et en quantité. De 1 million de tonnes par an dans les années 1930, la production de la figue en Algérie a dégringolé à quelque 60 000 t. Et de 8 millions d'arbres à un peu plus de la moitié aujourd'hui. Un grand travail de réhabilitation reste à accomplir. Il s'agit, en plus de reprendre les niveaux de production d'antan, de répertorier toutes les variétés du figuier algérien, étudier sa variabilité génétique pour mieux le préserver et l'améliorer, d'autant plus qu'on s'achemine, économie de marché oblige, vers la spécialisation. Des variétés sont également à sauver de la disparition. A Beni Maouche, la variété taâmriwt, qui réussit mieux en figue fraîche constitue à elle seule 80% des plantations. Cette spécialisation induite par le besoin économique fait que des variétés rares ont disparu ou sont en voie de l'être. En plus d'être partie intégrante de notre histoire et de notre culture, la figue s'avère être un bon produit sur le plan économique. Energétique, riche en vitamines et éléments minéraux (potassium, calcium, phosphore et magnésium), la figue a d'autres utilisations médicinales et thérapeutiques prouvées : elle a des propriétés laxatives et diurétiques, et a toujours été utilisée (baignée dans de l'huile d'olive) comme médicament pour les maladies respiratoires et les asthmatiques. Les feuilles du figuier sont un bon aliment de bétail, et son latex, traditionnellement utilisé contre les verrues, peut s'utiliser (séché et poudré) comme coagulant du lait. Et comme tout autre fruit, la figue peut avoir diverses utilisations dans le domaine alimentaire. On peut en faire de la confiture, du sirop et même de l'eau de vie. C'est ce que semble vouloir dire cet exposant, qui a tenu à mettre une belle touche artistique à la fête avec ses bocaux de confitures et de sirop, mais surtout avec une variété de gâteaux faits maisons : des tartes à la figue, du r'fiss de figue et du mekrout à la figue, et bien d'autres « inventions ». S'il est vrai que la dure réalité de nos ancêtres les avait empêché de trop penser gâteau, il n'en demeure pas moins qu'il est possible, aujourd'hui, d'utiliser nos figues de mille manières.