Les héros: Méliès et ses automates. La nouvelle en avait laissé plus d'un sceptique. Martin Scorsese, le réalisateur de «Casino», de «Shutter Island», allait adapter un livre pour enfants, «L'invention d'Hugo Cabret». Un peu comme si Stallone versait dans le conte poétique. On demandait à voir. Mais, fin juin, on a vu «Marty» donner le premier tour de manivelle à «Hugo Cabret», son premier film en 3D, dans les studios de Shepperton, à Londres. Au casting: Sacha Baron Cohen, Jude Law et Ben Kingsley dans le rôle de Georges Méliès. Car derrière «Hugo Cabret» se cache une merveilleuse histoire qui a tiré d'un chapeau le grand magicien français du septième art. On doit cette résurrection à un auteur américain de 44 ans, Brian Selznick. De passage à Paris, Selznick ne peut cacher son excitation: il va enfin rencontrer Scorsese. Il va aussi découvrir le décor années 30 de la gare Montparnasse tel qu'il l'avait dessiné pour son livre, qui relève aussi bien du roman graphique, du livre illustré que du ciné-roman en noir et blanc. Mais peu importe le genre : seul compte le charme ensorcelant de ses dessins tout en grisaille, de ses zooms spectaculaires qui alternent avec un récit mystérieux inspiré par Méliès. Quand il disait écrire un livre de 500 pages pour enfants sur des films muets français, on le prenait pour un fou : qui cela va-t-il intéresser ? Eh bien, son « Invention d'Hugo Cabret » a intéressé aux Etats-Unis près de 1 million de lecteurs, dont Scorsese. Mais pourquoi diable un illustrateur du New Jersey va-t-il se passionner pour ce génie français tombé dans l'oubli depuis sa mort en 1938 ? Comme beaucoup d'autres, il a été époustouflé par Le voyage dans la Lune, le chef-d'oeuvre de Méliès, visionné au lycée. Mais le déclic a lieu quand il apprend que Méliès possédait une collection d'automates qui a, hélas, disparu. »Mon premier livre portait sur un robot. Adolescent, j'avais confectionné un garçon sans jambes, qui changeait de visage grâce à des trucs de maquillage. J'aime les automates. » Germe alors l'idée d'un garçon qui tombe sur un des automates cassés de Méliès, alors qu'il fréquente sans le savoir le premier maître du septième art. « Ruiné, passant pour mort, avant qu'on ne retrouve sa trace en 1931, Méliès avait repris avec sa femme une boutique de bonbons à la gare Montparnasse : j'ai songé que l'occupation secrète de ce petit garçon serait de remonter les horloges de cette gare. » A l'époque, Selznick ne connaissait ni la langue de Molière ni le cinéma français. Mais pour tous ses ouvrages - sur Eleanor Roosevelt, le prestidigitateur Houdini ou le sculpteur Benjamin Waterhouse Hawkins (le premier à avoir représenté grandeur nature des dinosaures en 1851), il a toujours mené de patientes recherches. « Un ami m'a conseillé de voir « L'Atalante », qui date de 1934, l'époque du livre. Puis j'ai vu « Zéro de conduite » du même Jean Vigo, le film préféré de François Truffaut. Je n'avais jamais vu non plus « Les 400 coups. » « Hugo Cabret » est émaillé de références à ces films ainsi qu'aux films parisiens de René Clair. Selznick a retrouvé la maison de Méliès (18, rue Jolivet, près de Montparnasse), pris des clichés et demandé l'autorisation aux héritiers de Méliès d'utiliser des images de ses films. Devenu un phénomène aux Etats-Unis, où il a reçu le prix Caldecott (l'équivalent du Goncourt pour le livre illustré), Hugo Cabret a réveillé l'engouement des enfants américains pour le cinéma muet avant de convaincre Scorsese. Le film, fidèle adaptation, sortira le 9 décembre 2011. Ce jour-là, Brian Selznick aura son nom dans tous les cinémas. Une habitude familiale. Son grand-oncle n'était autre que David O. Selznick, le producteur d' « Autant en emporte le vent ».