Adapter un livre c'est l'adopter. Ou se faire adopter par lui. Imaginer le livre qu'on pourrait avoir lu, aussi. Le livre non écrit qui aurait pu être un film (…) », écrit Frédéric Sabouraud dans L'adaptation : le cinéma a tant besoin d'histoires, récemment édité chez Cahiers du cinéma. Eternelle source d'inspiration et de création pour les cinéastes, la littérature envahit de plus en plus le cinéma. Ou l'inverse : face au succès de certains livres, de nombreux réalisateurs se lancent dans leurs adaptations cinématographiques. C'est ainsi que le livre que nous lisons, et pour lequel nous faisons notre propre film, arrive adapté pour le cinéma. Et presque à chaque fois nous sommes déçus : le film ne rend pas l'atmosphère du livre, il prend des raccourcis, il propose une histoire différente... ou colle beaucoup trop au livre ! Dans la foulée, on se souvient de La Maison Russie de John Le Carré, adapté au cinéma par Fred Schepisi (1990), ou le film était aussi bon que le livre. Casino de Nicholas Pileggi et adapté avec grâce par Martin Scorsese (1995), où le film s'avère bien meilleur que le livre. La Ligne verte de Stephen King, adapté par Frank Darabont (1999), La Guerre des mondes de H. G. Wells, adapté par David Michael Latt (2005), et tout récemment, The Da Vinci Code de Dan Brown, adapté par Ron Howard… Jules Verne au cinéma Jules Verne ne faisait pas alunir ses héros dans ses deux romans lunaires. H. G. Wells, encore lui, n'hésitera pas à faire promener des hommes sur et dans l'astre sélène en 1901 dans Les Premiers hommes dans la Lune. Le grand Méliès rassemblera les deux dans Le Voyage dans la Lune en 1902. Premier espace opéra du cinéma dit primitif, première adaptation de Verne (et de Wells, seulement un an après la parution de son roman), il fera de nombreux émules dans l'immédiateté de son succès (Gaston Velle, Segundo de Chomon...). Georges Méliès réalisera un pastiche de Vingt mille lieues sous les mers, deux cent mille lieues sous les mers (1907), ainsi que d'autres voyages sous-marins. Son Raid Paris à Monte-Carlo en deux heures (1904) ou Voyage à travers l'impossible (1904) dérivent des œuvres de Jules Verne. Mais la première version cinématographique aboutie d'un roman de l'auteur nantais reste déduite de Vingt mille lieues sous les mers et de sa suite, L'île mystérieuse, en 1916, signé Stuart Paton, avec le premier Capitaine Némo de l'écran. The Mysterious island, dès 1929, signé Lucien Hubbard, élabore un spectacle inédit. Hubbard a deux monstres du cinéma comme co-réalisateurs : le Français Maurice Tourneur et le Danois Benjamin Christensen (La sorcellerie à travers les âges). Le film prend des libertés par rapport à Jules Verne, en se focalisant sur d'étranges êtres amphibies que recherche le magnat sub-aquatique. Némo deviendra sans doute le héros le plus fameux de son auteur, notamment grâce au cinéma. James Mason le campe merveilleusement dans l'adaptation de Richard Fleisher, vingt mille lieues sous les mers, en 1954, pour Walt Disney. Le même Mason campe tout aussi bien le professeur Lindenbrock dans la splendide adaptation de Voyage au centre de la Terre (1959) d'Henri Levin. Némo réapparaît dans L'île mystérieuse (1961) de Cyril Raker Endfield, avec les superbes effets spéciaux de Ray Harryhausen. Omar Shariff le campera dans la version des années 1970 du même roman, pour la télévision française. Parmi les adaptations les plus fameuses de Jules Verne au cinéma, citons encore De la Terre à la Lune (1958, Byron Haskin), ou Les Tribulations d'un Chinois en Chine (1965) de Philippe de Broca, avec Jean-Paul Belmondo, Ursula Andress et Jean Rochefort, très librement adapté. Cinq semaines en ballon a été mis en scène en 1963 par Irwin Allen et Le Tour du monde en 80 jours a été adapté en 1956 dans une superproduction aux cinq Oscars, avec David Niven en Phileas Fogg et une kyrielle de guest stars : Marlène Dietrich, Fernandel, Buster Keaton... Une nouvelle version est sortie en 2004 avec Jackie Chan. Michel Strogoff a connu de multiples versions, la plus fameuse restant celle avec Curt Jurgens (1956), sans oublier L'étoile du sud (1967, avec Orson Welles). Mais la plus originale de ces versions filmées reste sans doute Une invention diabolique du génial réalisateur tchèque Karel Zeman qui sur la trame de Face au drapeau, y mêlait le Nautilius, l'Albatros (Robur) et L'île volante en insérant les acteurs dans des gravures sorties des éditions Hetzel. Magique. D'autres films dérivent des univers verniens, sans s'en réclamer directement : à la conquête du pôle (1912), de Méliès, L'île sur le toit du monde (1974), produit par Disney, La grande course autour du monde (1965, Blake Edwards). Il n'y a aucun doute, Jules Verne reviendra encore sur les écrans. En France, c'est toute une histoire ! En 2002, quatre films, adaptations de livres, ont un succès fulgurant : des BD Astérix et Obélix : mission Cléopâtre et Spider-Man, en passant par des romans fantastiques comme Le Seigneur des Anneaux ou Harry Potter, il y en a eu pour tous les goûts ! En 2004, les adaptations de romans français se sont imposées malgré les nombreux succès en salle. Par exemple, le magnifique film de Jean-Pierre Jeunet, Un Long Dimanche de fiançailles, tiré du roman de Sébastien Japrisot, a conquis des millions de spectateurs. Podium réalisé par son auteur Yann Moix, Les Rivières pourpres, Les Dalton, Arsène Lupin, le héros créé par Maurice Leblanc et Vipère au poing, dernier film de Philippe de Broca tiré du roman autobiographique d'Hervé Bazin. Ou encore, Iznogoud de Patrick Braoudé d'après Goscinny et Tabary, Le Promeneur du champ de mars de Robert Guédiguian d'après Le Dernier Mitterrand de Georges-Marc Benamou, La petite chartreuse de Jean-Pierre Denis d'après le roman de Pierre Péju ou encore Le Couperet de Costa Gavras, d'après le livre de Donald Westlake. Kubrick, l'art de l'adaptation Spartacus de Koestler, Lolita de Nabokov, Orange mécanique de Burgess, Shining de Stephen King ou bien encore Eyes Wide Shut d'après Schnitzler, la majorité des films de Stanley Kubrick sont tirés d'adaptations. Sur treize longs métrages, onze sont des adaptations littéraires. Le cinéaste s'est donc inspiré des mots pour créer des images. Un style qu'il maîtrise et qui lui confère sa renommée. Stanley Kubrick adapte avant tout les livres qu'il aime. Le cinéma est une manière pour lui de réinterpréter l'histoire. La preuve avec Barry Lyndon réalisé en 1975 d'après le roman de William Makepeace Thackeray. Stanley Kubrick écrit lui-même le scénario, restant fidèle au livre mais en y incorporant toutefois quelques modifications. Passionné, Kubrick n'a pas seulement les idées pour les adaptations, il souhaite aussi travailler avec leurs auteurs. Le meilleur exemple est 2001, L'Odyssée de L'Espace, adaptation du roman, La Sentinelle de Clark. Stanley Kubrick est à l'initiative du projet. Connaissant l'œuvre de l'écrivain, le cinéaste le contacte. Le scénario du film ainsi que le livre correspondant ont été écrits conjointement par Arthur C. Clarke et Stanley Kubrick. En revanche, l'écrivain conserve la paternité du livre, et le cinéaste celle du scénario. Le phénomène King Il paraît qu'il n'apprécie pas trop de voir ces œuvres adaptées au cinéma. Sans chiffres à l'appui, on peut tout de même dire que King est l'un des auteurs les plus adaptés au grand écran. On peut compter plus d'une trentaine de films adaptés de ces livres ! Le phénomène King, qui avoisine les 70 bouquins, a beaucoup inspiré les cinéastes : Carrie, adapté par Brian De palma (1976), The Shining, par Kubrick (1980), The Dead Zone, par David Cronenberg (1983), (puis, la série TV en 2002), Christine, par John Carpenter (1983), Un élève doué par Bryan Singer (1998), The Shawshank Redemption (Les évadés), par Frank Darabont (1994), The Green Mile (La ligne verte), par Frank Darabont (1999), Secret Window, par David Koepp (2004) et le dernier en date, Riding The Bullet par Mick Garris (2005), en attendant que son dernier roman, Lisey's Story (Novembre 2006), ne trouve preneur. Adaptation fidèle (Madame Bovary de Claude Chabrol et de Germinal de Claude Berri), libre (René Clément avec L'assommoir d'Emile Zola, Luchino Visconti adaptant Le Guépard de Lampedusa), ou transposition (Dieterle en avec Notre-Dame de Paris), quel que soit le moyen choisi, l'adaptation littéraire au cinéma ne cesse de se développer. Cet essor conduit à un moyen pour comparer le roman au film. Qui est le meilleur ? En fait, c'est un faux problème. Tous ceux qui concluent que le talent de l'écrivain est supérieur à celui du cinéaste oublient les chefs-d'œuvre du cinéma tirés de médiocres œuvres littéraires, notamment le Barry Lyndon de Kubrick bien supérieur aux mémoires de Thackeray. Il y a des génies et des « petits » artistes au cinéma comme en littérature, en musique, en peinture. Aussi, le succès de l'adaptation assure sa pérennité. Source de recettes presque assurées pour les producteurs et de création pour les cinéastes, elle a de beaux jours devant elle.