Les cendres d'octobre 88 sont encore chaudes et vivaces dans notre mémoire collective. Les émeutes de janvier 2011 en sont-elles un remake ? Sommes-nous en présence d'un mouvement spontané, produit d'un ras-le-bol social, ou organisé et programmé par un clan du pouvoir en vue d'une succession qui s'annonce rude ? Ici quelques éléments de réponse puisés dans la vie politique algérienne post-indépendance, les maux qui rongent notre pays ayant des origines lointaines. La démocratie, revendication substantielle, y apparaît comme une denrée rare, sinon résiduelle. Au-delà de nos doléances légitimes (cherté de la vie, mal-vie, chômage chronique des jeunes, flou en matière d'économie politique, gouvernance à vue...), force est d'observer l'absence de légitimité du pouvoir réel, les institutions en place n'en étant que l'apparence. Ainsi, après trois siècles de présence turque et près d'un siècle et demi de domination coloniale, l'Algérie contemporaine a pu se frayer un chemin dans le concert des nations. Ainsi, au commencement de la doctrine politique algérienne, la proclamation du premier novembre 1954 au terme de laquelle l'indépendance nationale est le préalable à toute entreprise. Les questions traitées lors du Congrès de la Soummam (1956) furent approfondies dans le programme de Tripoli (1962) qui énuméra quelques idées générales en vue d'une plate-forme d'action. Il fallut attendre le Congrès du FLN en Avril 1964 pour qu'une charte votée à Alger esquisse les contours d'une doctrine de développement de la société algérienne et trace des perspectives d'avenir. Ainsi, pour le programme de Tripoli : « A la lutte pour l'indépendance nationale succèdera la révolution démocratique populaire », tout comme le combat idéologique doit succéder à la lutte armée. La charte d'Alger prévoyait une période de transition qui « implique la construction d'un Etat populaire qui exprime la volonté des masses de construire le socialisme ». Déjà le programme de Tripoli faisait de la réforme agraire et de l'industrialisation les deux tâches fondamentales sur lesquelles devrait reposer le développement de l'Algérie, conçu dans le cadre d'une collectivisation des grands moyens de production et d'une planification rationnelle. Chartisme algérien et autogestion Durant la présidence de Ben Bella, la charte d'Alger préconisa l'autogestion pour répondre au néo-colonialisme. Les textes institutifs de celle-ci devaient donner les usines aux ouvriers et la terre aux paysans. Facteur de développement socialiste, elle exprimait « la volonté des couches laborieuses du pays à émerger sur la scène politico-économique et à se constituer en force dirigeante ». L'autogestion était considérée comme le cadre dans lequel devait se réaliser la démocratie. Sur le problème central de la propriété, la charte d'Alger avait procédé à sa division entre « propriété exploiteuse » et « propriété non exploiteuse », la première devant être abolie alors que la seconde pouvait être préservée. A cet égard, la charte nationale de 1976 reprend le même critère pour la définition de la propriété. S'agissant du parti, il est stipulé que le FLN ne doit être ni un parti de masses, ni un parti d'élites, mais un part d'avant-garde au sein duquel une démocratie interne doit être préservée. Les ouvriers, les paysans pauvres et les militants révolutionnaires conséquents sont la composante sociale du parti afin de confirmer dans les faits l'option socialiste du pays par la nationalisation du commerce extérieur, des banques et des transports. Pour ce faire, les cadres de l'Etat sont choisis en fonction de leur valeur politique plutôt que de leur compétence technique. Quant à l'armée, elle doit être soumise au parti qui contrôle les milices populaires. Le régime de Ben Bella et l'armée Dès l'origine, la lutte armée a exigé la mise en place d'une organisation politico-militaire, le FLN-ALN, en sorte qu'au lendemain de l'indépendance, Ben Bella a pu dire que : "La reconversion de notre appareil politico-militaire est indispensable... Nous devons faire la distinction entre le Parti et l'Armée"; les questions de la place de l'Armée dans la société et son rapport au pouvoir politique furent ainsi posées. Ce qui n'est pas une mince affaire dans la mesure où, pour Boumediene, alors principal responsable de l'Armée, celle-ci a une double mission : défense de l'intégrité du territoire national et participation au développement du pays. Ainsi, pour ce dernier : "Aucune révolution réelle n'est réalisable sans la présence d'une armée d'origine populaire, d'idéologie révolutionnaire alliée des masses laborieuses". De même, dira t-il : "Comment entreprendre une révolution socialiste d'une manière radicale dans un pays en voie de développement en s'appuyant sur les lois de la bourgeoisie et sur une armée réactionnaire". L'armée se veut d'essence populaire, thèse confirmée par la charte nationale et la constitution de 1976. Au plan politique, des officiers supérieurs occupe depuis des postes importants : présidents de la République, ministres, walis, PDG de sociétés nationales... La même situation a été suscitée dans l'Egypte du temps de Nasser. Dès lors, s'appuyer sur la "principale force organisée" du pays devint une évidence. Ainsi, l'état-major de l'ANP qui entra en conflit ouvert avec le GPRA fut le soutien de Ben Bella ; celui-ci constitua à Tlemcen un bureau politique chargée de « prendre en main les destinées de l'Algérie ». Après l'élection d'une Assemblée nationale, le 20 septembre 1962, il y eut l'investiture de premier gouvernement algérien post-indépendance présidé par Ben Bella. Parmi ses objectifs : « Reconvertir l'ALN vers des tâches constructives » et « édifier un socialisme spécifiquement algérien ». Devenu secrétaire général du FLN en avril 1963, il fait adopter par l'Assemblée nationale une Constitution de type présidentiel en août de la même année. En avril 1964, un congrès du FLN se tint à Alger et adopta une charte qui fait de l'autogestion « le principe d'organisation sociale ». Echec du régime de Ben Bella Parmi les causes explicatives de l'échec du régime de Ben Bella, figure sans doute la concentration du pouvoir entre les mains d'un seul homme ; ce grief est le plus galvaudé à l'endroit du régime de Ben Bella. Il a en effet, au fur et à mesure, écarté certains de ses ministres (ceux faisant partie du « clan d'Oujda », ainsi Medeghri et Bouteflika). Plusieurs ministères se muèrent en de simples directions rattachées à la Présidence. De ce fait, il devint loisible à ses détracteurs d'évoquer un culte de la personnalité, voire de personnalisation du pouvoir. A cela, s'ajoute l'observation selon laquelle les institutions de l'Etat ont été mises en place à partir su sommet, voire même que la construction de l'Etat a plus relevé de l'énonciation théorique que du travail effectif. Ainsi, la constitution de 1963 n'est ni présidentielle ni parlementaire, « c'est un régime constitutionnel de gouvernement par le parti » comme devait le déclarer alors M. Benabdallah, rapporteur du projet de la loi fondamentale algérienne. En ce sens, le parti unique devait être l'institution fondamentale du pouvoir de l'Etat qui a été qualifié de « monocratisme partisan ». De même, les dispositions de la constitution de 1963 furent fixées par le bureau politique du FLN et approuvées par une conférence des cadres du Parti et non par une Assemblée constituante. Cette situation explique sans doute que le FLN occupe une place importante dans cette constitution qui lui consacre le préambule et un chapitre. Défini comme un parti d'avant-garde du peuple composé « des masses laborieuses et des intellectuels révolutionnaires », le parti domine l'appareil de l'Etat dès lors qu'il est à l'origine de la désignation des hommes appelés à prendre en charge des responsabilités : le président de la République et les députés de l'Assemblée nationale au sein de laquelle furent recruté les membres du Gouvernement. Ainsi, le gouvernement par le parti fut une pure illusion ; ce, outre que Ben Bella fut président de la République et secrétaire général du FLN. Titulaire de quelques portefeuilles ministériels, il recourut également à l'article 59 de la constitution de 1963 qui lui octroyait des pouvoirs exceptionnels. La confusion des pouvoirs eut lieu, d'autant plus que les autres institutions prévues (conseil constitutionnel, conseil supérieur de la magistrature, conseil économique et social) se révélèrent secondaires et de peu de poids. Par ailleurs, l'autogestion fut retenue comme modèle de développement économique ; la charte d'Alger précise que la période de transition au socialisme « implique la construction d'un Etat populaire qui exprime la volonté des masses ». Les textes instituant juridiquement l'autogestion se trouvent être les décrets de mars 1963 qui consacrent une situation de fait dès lors qu'il semblerait que l'autogestion a été dans les grandes fermes -gérées jusqu'alors par les colons- le produit de la spontanéité des travailleurs de la terre. Ainsi, le décret du 18 mars 1963 définit le transfert définitif des biens européens abandonnés au patrimoine algérien. Sauf à dire que ces biens furent placés sous la tutelle administrative de la présidence, l'autogestion ayant été alors limitée aux entreprises d'intérêt local. Suite au coup de force opéré par Boumediene, un conseil de la révolution fut mis en place au nom d'une certaine idée de la légitimité révolutionnaire ; ce faisant, la constitution de 1963 et la charte d'Alger furent mises au boisseau et les institutions existantes furent mises entre parenthèses. C'est ainsi que, avec les discours officiels, la proclamation du 19 juin 1965 demeura jusqu'en 1976 le seul texte de référence dont le credo était « le redressement révolutionnaire ». Celui-ci s'assimila au « socialisme spécifique » qui reposa sur une stratégie développementiste faisant des sociétés nationales la cheville ouvrière du projet de ce conseil. En fait, cette expérience, entamée en 1967, donna naissance à un capitalisme d'Etat périphérique dépendant du système financier international. Cette expérience vit sa cristallisation théorique dans la charte nationale. Ammar Koroghli Algerienetwork