Riadh Ben Aïssa, ancien haut dirigeant de SNC-Lavalin, a été arrêté et emprisonné en Suisse, où les autorités le soupçonnent de blanchiment d'argent et de corruption dans des affaires conclues en Afrique du Nord. Au coeur de cet immense scandale: le bureau de SNC-Lavalin à Tunis, dont le siège social semble avoir littéralement perdu le contrôle. Et le géant du génie québécois n'est pas sorti de l'auberge: La Presse a appris qu'en Tunisie, la commission d'enquête sur la corruption de l'ancien régime se penche sur l'attribution douteuse d'un contrat de 320 millions de dollars à la firme montréalaise. L'ancien grand patron de SNC-Lavalin en Afrique du Nord, Riadh Ben Aïssa, est emprisonné depuis deux semaines en Suisse. L'ancien vice-président directeur de la firme d'ingénierie montréalaise est soupçonné de blanchiment d'argent, d'escroquerie et de corruption d'agents publics à l'étranger par les autorités helvétiques, qui enquêtent depuis un an sur cette affaire. Le ministère public de la Confédération suisse a confirmé hier l'arrestation de M. Ben Aïssa, détenu à Berne depuis la mi-avril. L'enquête est liée à des «affaires conclues» en Afrique du Nord, a précisé Jeannette Balmer, porte-parole du Ministère, à la chaîne publique RTS. La perquisition de la GRC au siège social de SNC-Lavalin de Montréal, le 13 avril, a été faite à la demande des autorités suisses. Un enquêteur de ce pays était d'ailleurs présent lors de la perquisition. M. Ben Aïssa a été limogé le 9 février, après 27 ans de service au sein de l'entreprise. L'ancien vice-président avait tissé des liens étroits avec le clan de Mouammar Kadhafi, ce qui lui avait permis de décrocher des contrats valant des milliards de dollars en Libye. SNC-Lavalin a longtemps profité des contacts de M. Ben Aïssa, mais elle reproche désormais à ce Canadien d'origine tunisienne d'avoir enfreint le code d'éthique de l'entreprise en versant 56 millions de dollars à des «agents intermédiaires» dans le but d'obtenir deux contrats. La société n'a pas identifié les projets en question, mais a révélé qu'une part importante des paiements douteux de [22,5 millions] avait été effectuée par le bureau de SNC-Lavalin à Tunis. Vraisemblablement, l'argent a aussi transité par des comptes bancaires en Suisse - d'où l'enquête déclenchée en mai 2011. SNC-Lavalin a reçu confirmation de l'arrestation de son ancien haut dirigeant, mais affirme ne détenir aucun autre détail. «Si des crimes ont été commis par M. Ben Aïssa ou par n'importe quel autre ancien employé, la Société soutient qu'ils devraient être tenus responsables», a déclaré la porte-parole, Leslie Quinton, dans un communiqué. Faire le ménage Pendant plusieurs années, Riadh Ben Aïssa a géré les affaires de SNC-Lavalin en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Or, la firme montréalaise a «perdu le contrôle» dans cette région, selon des employés interrogés par La Presse en Tunisie. Ces ingénieurs parlent de népotisme, de corruption généralisée et de chantiers gérés avec incompétence en Tunisie et en Libye. Au coeur de ce dérapage: le bureau de SNC-Lavalin à Tunis, où était basé Riadh Ben Aïssa. Et par où sont passés les mystérieux paiements, que l'on soupçonne d'être des pots-de-vin. «Même à notre niveau, on sent la corruption. On n'a pas le droit de communiquer directement avec les fournisseurs. Le bureau de Tunis nous impose des intermédiaires qui n'ont pas les compétences techniques pour nous conseiller», raconte un ingénieur tunisien. Reprendre en main Le siège social tente maintenant de reprendre les choses en main. Le 26 avril, il a annoncé que le directeur général de la firme en Tunisie, Hugues Crener, avait quitté l'entreprise «pour relever de nouveaux défis», selon un courriel aux employés tunisiens, dont La Presse a obtenu copie. M. Crener a été montré du doigt par des employés comme étant l'une des sources du problème à Tunis, tout comme Anis Mahmoud, qui a dirigé le chantier de l'aéroport de Benghazi, en Libye, puis celui de la centrale thermique de Sousse, en Tunisie. «Anis Mahmoud n'avait pas les compétences pour piloter un projet d'aéroport, dit un ingénieur qui a travaillé sur ce chantier. Ce n'est pas une lumière. Mais malgré tout ce qu'on peut lui reprocher, il n'était qu'un pion. Le pion de Riadh Ben Aïssa.» Il y a quelques semaines, SNC-Lavalin a remplacé M. Mahmoud par un ingénieur canadien à la tête du chantier de la centrale de Sousse, confirme Hédi Gharbi, directeur du projet à la Société tunisienne de l'électricité et du gaz (STEG). Le chantier de Sousse accuse un important retard, admet-il. «Nous avons eu plusieurs réunions avec le nouveau chef de projet venu du Canada pour tenter de résoudre les problèmes.» *** Qui est Riadh Ben Aïssa? Riadh Ben Aïssa a occupé le poste de vice-président directeur, responsable de la division Construction de SNC-Lavalin, jusqu'à son départ le 9 février 2012. Canadien d'origine tunisienne, il est titulaire d'un MBA de l'Université d'Ottawa et a entamé sa carrière chez Lavalin en 1985, avant la fusion avec SNC. Il est devenu l'homme de la firme au Moyen-Orient. Très proche de Saadi Kadhafi, fils du défunt dictateur libyen, il a contribué à l'obtention des gros contrats en Lybie, notamment ceux de la grande rivière artificielle et de l'aéroport de Benghazi. Il aurait approuvé des paiements de 56 millions de dollars dont SNC-Lavalin a perdu la trace, et qui auraient pu servir au versement de pots-de-vin. - Avec la collaboration de David Santerre Isabelle Hachey, La Presse