La violence ayant caractérisé les récentes protestations de jeunes en Algérie est le produit d'une conjoncture marquée par "la violence terroriste" et "l'exclusion sociale", relèvent des universitaires et chercheurs algériens. C'est dans ce sens que l'universitaire et sociologue, Nacer Djabi, a précisé à l'APS que "la violence manifestée par les jeunes, lors des dernières protestations, est une violence expressive et n'est pas perçue comme un instrument pour le changement". "Toute banalisation de cette violence risque d'être contre-productive, dans le sens où le jeune se l'approprie pour aspirer au changement", a-t-il toutefois averti, ajoutant que dans ce cas de figure, "il s'agira d'une autre dérive coûteuse". "Les jeunes qui ont manifesté leur mal-vivre, à travers le saccage des édifices publics, voulaient plus attirer l'attention que faire mal", a-t-il expliqué à ce propos. Constatant que les récentes protestations avaient touché l'ensemble du territoire national, Nacer Djabi a plaidé pour "un changement pacifique" qui prend en charge les aspirations socioéconomiques des jeunes et leur "soif de s'exprimer librement". Il a noté, à ce sujet, que "l'Algérie connaît une conjoncture financière favorable, à même d'opérer des changements en direction de la jeunesse", estimant que "tout retard, dans cette perspective, peut engendrer des changements violents à coûts très élevés"."L'émeute étant devenue, ces derniers temps, un moyen de gestion", a-t-il relevé, estimant qu'il est "impératif" que les différents acteurs de la vie politique et sociale du pays (partis politiques, y compris ceux de l'opposition, syndicats et associations) s'impliquent dans "un processus de socialisation d'une jeunesse délaissée et laissée à son compte". De son côté, l'universitaire Tayebi Mohamed, enseignant à l'Institut de sociologie d'Oran, a expliqué le recours des jeunes à la violence pour s'exprimer par "la fermeture des espaces publics et l'absence de canaux qui gèrent la tension sociale". Déplorant l'absence d'études "sérieuses" sur les phénomènes sociaux, au point qu'il s'est interrogé sur l'utilité des centres de recherches universitaires, Dr. Tayebi a souligné toutefois qu"'il faut relativiser les analyses hâtives des spécialistes". C'est ainsi qu'il a reconnu que ses interprétations sur les récentes émeutes "ne peuvent dépasser le stade de l'hypothèse". Il a indiqué, à cet effet, que "cette violence pourrait être le fait d'une jeunesse qui frappe à la porte de l'histoire sociale, pour marquer sa présence et arracher une place dans la société". "Ces portes étant souvent fermées, ils recourent à la violence pour les forcer", a-t-il expliqué. Le docteur Tayebi a estimé, dans le même contexte, que "les flux médiatiques venant de l'Occident, sont porteurs d'un ensemble de normes, comme la liberté et les droits de l'homme", relevant que "par conséquence, l'imaginaire des jeunes algériens se trouve en porte-à-faux avec le vécu algérien". Le chercheur au niveau du Centre de recherche en économie appliquée et développement (CREAD), Mohamed Saib Musette, a affirmé, pour sa part, qu'il ne faut pas partir avec l'idée que toute la jeunesse algérienne "est versée dans la violence". Pour lui, il y a une seule catégorie de jeunes qui se sont exprimés à travers ces émeutes violentes, expliquant que le recours à cette violence "est le seul moyen que maîtrise cette frange de la jeunesse algérienne". "La violence éclate quand il n'y a pas de normes", a-t-il encore expliqué, précisant qu'en Algérie, "la jeunesse fait face au phénomène de désacralisation des normes". "Exclus de tous les avantages sociaux, forcément cette frange de la jeunesse recourent à la violence pour s'exprimer", a-t-il encore souligné. Le chercheur Saib Musette, qui a déjà réalisé une étude sur le phénomène des harraga, a relevé, par ailleurs, que "les espaces de loisirs existant ne sont pas optimisés", citant, à ce sujet, l'exemple des centres des jeunes qui ferment à 18h00 et qui fonctionnent aux horaires de l'administration. "Ce qui désole encore, a-t-il dit, que les jeunes fonctionnent comme des employés et ils ne vivent pas leur juvénilité". De son côté, le Dr Hadj Meliani de l'université de Mostaganem, connu par ses recherches sur le phénomène de la chanson "Raï", a estimé que "cette violence peut être la conséquence de la violence vécue durant les années 1990". "Il ne faut pas, cependant, verser dans des conclusions hâtives" afin, a-t-il expliqué, de ne pas établir de "faux" diagnostic. Pour sa part, le Dr Bahloul Mohamed, économiste et directeur de l'Institut de développement des ressources humaines (IDRH), pense que la violence constatée dans les émeutes des jeunes en Algérie "est l'expression de l'échec d'un modèle économique de développement". "Le modèle social est vraiment en panne", a-t-il ajouté, soulignant que "les réformes économiques devaient ressusciter l'espoir et ouvrir de nouvelles perspectives pour les jeunes mais ce qui s'est produit est bien le contraire, à savoir la désintégration et l'exclusion". "Le chômeur en Algérie est jeune, diplômé et urbain", a-t-il noté, estimant qu"'il s'agit d'un mélange détonant". Le Dr Bahloul a expliqué, dans ce cadre, que "la matrice de la violence, constatée dans les récentes émeutes, est à rechercher dans les disfonctionnements du système économique et au-delà dans le mode de gouvernance.