Pourquoi l'Algérie est-elle confrontée à une succession de souffrances et pourquoi a-t-elle vécu tous ces drames, durant la décennie noire ? Pourquoi a-t-elle connu le terrorisme et la violence, l'instabilité politique “chronique” et les grandes turbulences dans le fonctionnement de l'Etat et de ses institutions ? Comment expliquer le blocage de la machine économique et ses conséquences sociales, la “paralysie”, voire “la médiocrité” de la vie culturelle et intellectuelle ? Ces questions et d'autres encore, plus nombreuses, sont posées par le sociologue et chercheur Nacer Djabi, dans son nouveau livre Algérie : l'Etat et les élites (*), paru aux éditions Chihab. Auteur de plusieurs ouvrages sur les mouvements sociaux, les élections politiques, le syndicalisme et la sociologie des grèves, le terrorisme et la citoyenneté, ce dernier s'est lancé, cette fois, dans une étude consacrée essentiellement aux élites et couches moyennes, vues sous l'angle de leur “division” et du “sectarisme” de l'Etat comme “produit logique” des clivages entre les élites. Le livre de Djabi est une tentative de réponse à une série de questions qui se posent à une société en pleine mutation. C'est avant tout un ensemble de recherches qui osent approcher l'histoire de la transition “d'une société légendaire à une société réaliste”, celle “d'un Etat central à une société diversifiée et divisée”. Une transition où les questions de la langue et la sociologie des chefs du gouvernement, désignés sous le vocable d'“hommes de la transition en panne”, ainsi que celles des partis politiques, de la crise d'alternance politique et des mouvements sociaux, en relation avec la crise de l'Etat national, la fracture de la société, l'histoire du père “raté” et de la génération des fils “débrouillards”, sont déterminantes. Pour l'auteur, l'étude de la naissance des couches moyennes, de leurs divisions linguistiques, du sectarisme et de ses effets actuels sur l'Etat et la société, renvoie forcément à l'histoire coloniale, mais aussi à la gestion de l'après-indépendance. Djabi est catégorique quant à la particularité des élites algériennes. Selon Djabi, les élites se distinguent dans les autres pays par leur diversité et leur présence/intervention dans différents domaines de la vie (scientifique, économique, politique, etc.). Mais, cette division, laisse-t-il entendre, s'assimile plus à une répartition des rôles/tâches et n'est nullement reconnaissable sur la base linguistique et des valeurs. Ce qui n'est pas le cas en Algérie. Pour ce qui est des “élites religieuses radicales”, l'auteur note qu'elles se distinguent par “la pauvreté intellectuelle”, une “faiblesse” dans la qualification et la connaissance de la religion. L'originalité et l'importance de cette étude sociologique résident dans le fait que celle-ci s'intéresse notamment à la crise de l'Etat-nation et à l'évolution des couches moyennes. Elle ouvre de nouvelles pistes de recherche dont les contours ne sont pas assez clairs chez les sociologues arabes et maghrébins. La nouvelle voie qu'il dégage en matière de recherche sociologique entre dans le vif des réalités et tranche donc avec “les interprétations globales et abstraites” ayant marqué les expériences passées. Au-delà de certaines réponses auxquelles le chercheur est parvenu, son travail de recherche montre une volonté de sortir des sentiers déjà connus et visités et d'ouvrir des portes nouvelles pour la réflexion. Nacer Djabi, qui s'est déjà exprimé sur les mutations dans le monde du travail et le syndicalisme, la radicalité du discours islamiste, la situation des jeunes et le problème des harragas, les élections pluralistes, les réformes, et sur bien des thèmes d'actualité, confirme qu'il reste à l'écoute de sa société. Une fois de plus. Hafida Ameyar