Un hommage a été rendu vendredi soir au martyr Ahmed Zabana, qui après sa condamnation à mort, fut le premier martyr depuis le déclenchement de la guerre de libération nationale à monter sur l'échafaud, le 19 juin 1956, dans l'enceinte de la prison de Barbarousse, l'actuel Serkadji. Cet hommage, organisé à l'occasion du 50ème anniversaire de l'indépendance nationale, a donné lieu à une rencontre-débat qui a réuni au Centre culturel algérien CCA) à Paris, historiens, anciens condamnés et moudjahidine, venus témoigner sur ce combattant dont la décapitation, pieds et poings liés se fera sous le regard de l'administration coloniale qui a reconnu son courage. Présent à cette rencontre l'historien Jean-Luc Einaudi a relevé que l'exécution capitale des combattants algériens, condamnés à mort par les tribunaux français ''est un des crimes de l'Etat français qui reste indélébile mais qui est aussi le plus méconnu en France car il reste absolument occulté et quasiment ignoré volontairement à ce jour''. ''Ce crime d'Etat particulier qui consiste à faire condamner à mort des combattants était en violation de toutes les conventions'', a-t-il ajouté, rappelant que ces exécutions capitales ont eu lieu aussi bien en Algérie que sur le territoire français en particulier à Montluc (Toulouse) mais pas seulement. L'historien a rappelé également que le gouvernement français en 1956, était présidé par le socialiste Guy Mollet qui avait constitué un gouvernement dont le ministre de la justice était François Mitterrand ''qui jusqu'à aujourd'hui reste la grande figure d'une certaine gauche française''. ''C'est une responsabilité historique qu'en France, on refuse d'aborder jusqu'à maintenant cette décision de Mitterrand, Garde des Sceaux, dans le cadre de la mise en œuvre des pouvoirs spéciaux, votés par l'Assemblée nationale en 1956 et suivi de décrets d'application et qu'ont eu lieu ces premières exécutions et toutes les autres qui ont suivi'', a affirmé M. Einaudi. ''On sait maintenant que Mitterrand a voté la mort et que s'il avait voulu s'opposer à ces exécutions, il ne serait pas resté dans ce gouvernement, de plus c'est lui qui était un des signataires des pouvoirs spéciaux et des décrets d'application de ces pouvoirs spéciaux'', a rappelé cet historien. M. Einaudi a déploré que le'' silence continue en France à recouvrir ces crimes'', ajoutant que ''nous sommes en 2012, et la République française aura à s'incliner devant la mémoire de ces combattants en particulier Zabana mais aussi tous ceux qui ont été guillotinés alors qu'ils étaient des combattants pour l'indépendance de leur pays''. Il a par ailleurs relevé qu'en France, ''même si des avancées ont eu lieu, beaucoup de vérités restent non dites et on reconnues concernant ces années là et particulièrement concernant ces crimes d'Etat''. ''Je parle de crime d'Etat relatifs à ces exécutions'', a constaté l'historien qui considère qu'il y a ''un énorme travail de vérité et de justice à faire en France pour que soit reconnue la mémoire de ces combattants''. Le président de l'association des anciens condamnés à mort, Mostafa Boudina a affirmé qu'à l'époque où François Mitterrand était ministre de la justice, il y'a eu 45 guillotinés et un seul fusillé, ajoutant qu'à l'époque où De Gaulle, était président, on décompte 32 guillotinés et 32 fusillés. Il a par ailleurs indiqué qu'il y a deux types de témoignages qu'on peut apporter sur le martyr Zabana, son parcours lorsqu'il était combattant et la vie d'enfer qu'il a passée dans la prison Barbarousse (Serkadji). ''Le frère Zabana a été le premier guerrier, le premier combattant qui a instauré et renforcé la guerre dans le monde urbain à Oran'', a-t-il dit, rappelant que la guerre de libération nationale a d'abord commencé dans les Djebels (maquis) et c'est avec l'extension de la Révolution dans les zones urbaines que celle-ci s'est renforcée. ''Ahmed Zabana était devenu le principal responsable nommé par Larbi Ben M'hidi et il avait pour compagnon d'arme Abdelmalek Ramdane. Tous deux ont recruté, formé et entraîné les combattants, après avoir réussi à récolter des cotisations et à acheter des armes'', a témoigné cet ancien condamné à mort. ''La fin héroïque d'Ahmed Zabana nous a servi nous qui sommes arrivés par la suite. Dans nos cellules individuelles de condamnés à morts, quand on souffrait les longues nuits de solitude on se disait, que Dieu nous donne la force de faire comme le frère Zabana ou plus'', dira M. Boudina. ''Il y a eu 218 condamnés à morts guillotinés après le frère Zabana qui est notre héros à nous les anciens condamnés à mort car c'est son exemple de courage que nous avons suivi, c'est la manière avec laquelle il a affronté la guillotine que nous avons suivi'', a souligné Mostafa Boudina, révélant que ce martyr a été gravement blessé lors de son arrestation et que c'est dans un état déplorable qu'il a été conduit à la guillotine pour être exécuté''. Il a indiqué dans ce cadre que son association décompte 2050 rescapés de la guillotine au lendemain de l'indépendance qui ont été amnistiés. Le président de l'Association des anciens condamnés à mort a, par ailleurs confié au public que l'association a acheté aux enchères le cahier de bord du bourreau Fernand Meissonnier qui y a noté de nombreuses confidences. ''J'ai même tenu avec sang-froid la tête d'un guillotiné pendant que le médecin lui prélevait les yeux pour une greffe de cornée sur un personne (sans doute un colon)'', a rapporté ainsi M. Boudina citant une des confidences de ce bourreau à l'origine de nombreuses exécutions de militants algériens. ''Cela vous donne une idée sur les horreurs qui ont été cachées jusqu'à maintenant et concernant l'association, nous avons deux vérités à dire'', a précisé dans ce contexte M. Boudina. ''La première est que ce que nous avons vécu nous-mêmes personne ne peut le raconter à notre place. La deuxième est que ceux qui ont été condamnés à mort avec nous dans le couloir de la mort ont vécu le même enfer'', a-t-il poursuivi. ''Les historiens ne peuvent pas non plus écrire l'histoire sans l'apprendre de ceux qui l'ont vécue et qui ont créé l'événement'', a ajouté l'auteur du livre-témoignage ''Rescapé de la guillotine'' indiquant qu'il prépare un autre ouvrage qui comportera l'histoire des guillotinés et des bourreaux. Le moudjahid Mohammed Benaboura, ami du martyr Zabana a affirmé que celui-ci est "un symbole de la Révolution", ajoutant que ce fut l'homme du 1er novembre 1954, celui qui a été le premier responsable de l'Oranie aux cotés de Larbi Ben M'hidi. ''Il s'est sacrifié sans demander aucune rétribution'', a-t-il dit ajoutant qu'Ahmed Zabana avait un parcours politique très riche et qu'en 1949, il était déjà inscrit dans l'Organisation spéciale (l'OS). ''J'ai eu le privilège de côtoyer pendant 14 ans cet homme courageux, durant notre jeunesse'', dira M. Benaboura qui retraça longuement le parcours militant et politique du martyr.