"Ennafka" ou "Ouziâ", une tradition séculaire spécifique es rituels de célébration du Mawlid Ennabaoui dans la région de Mila, consacre les valeurs de solidarité et d'entraide au sein de la société. Pour Mohamed Arezki, chercheur spécialisé dans le patrimoine populaire, cette tradition, également appelée "Essahma" ou en amazigh "Tamechritt", est l'expression même de la solidarité qui a de tout temps caractérisé la société algérienne avant l'avènement de l'islam, religion qui l'a consolidé jusqu'à en confier la mise en £uvre aux imams des mosquées des dechras. Si le plus souvent "Ennafka" a lieu à l'occasion du Mawlid, il n'en demeure pas moins qu'elle peut être organisée pour fêter le retour d'une personne chère. Ahmed Bendjedou, qui a été tout récemment un des garants (dhamnine) d'une "Ouziâ" organisée dans une dechra de la commune de Ferdjioua, son village natal, souligne que cette pratique consiste en l'acquisition, par les plus "aisés" de la communauté, d'un animal (ovin ou bovin) à sacrifier pour le partager, en parts égales, entre les familles de la localité, notamment celles démunies, après l'établissement de la liste des bénéficiaires. En tête de cette liste sont placés les noms de l'imam de la mosquée et de l'enseignant à l'école du village, en signe de reconnaissance de la valeur de leurs actions envers la communauté, précise ce quinquagénaire, fonctionnaire de son état. Après l'achat de l'animal à sacrifier, les membres de la communauté se rassemblent sur la place du village, recouverte de feuilles de frêne ramassées par les enfants, pour le rituel du sacrifice. Les aînés assurent l'immolation de la bête et le partage de sa viande en parts égales sous l'£il vigilant des plus anciens. Les noms de ceux qui participent à l'achat de l'animal "sont sciemment tus" pour ne pas embarrasser ceux qui n'ont pas cotisé, précise Rabi' Laamara qui assure avoir assisté, il y a trois ans de cela, à une Nafka durant laquelle trois moutons avaient été immolés. "Les plus âgés avaient veillé durant toute l'opération à garantir un partage équitable de la viande entre les ménages du village", raconte-t-il. Naïma qui habite la commune de Zerza se souvient, quant à elle, avec nostalgie des scènes d'enfants remplis de joie lorsque les plus âgés les chargeaient de porter à chaque ménage sa part de viande. "Ce fut des moments forts de la solidarité communautaire entre algériens, élan d'entre-aide qui se renouvelle durant les fêtes du Mawlid, de l'Achoura et bien d'autres occasions", assure-t-elle. Celle qui a pour surnom, sur Facebook, "Chams El assil" (soleil couchant) évoque sur sa page personnelle cette pratique sociale qui plonge ses racines dans les temps les plus lointains. Pour elle, la journée de "Ennafka" est semblable à celle de l'Aïd, surtout pour les enfants qui se lèvent ce jour-là tôt, suivent de bout en bout l'opération et trépignent de joie lorsqu'ils sont choisis pour participer au tirage au sort des parts ou pour distribuer la viande aux familles notamment celles ayant perdu leurs chefs. Les femmes s'inquiètent, en cette occasion, du sort de leurs voisines et veillent à offrir de la semoule ou du couscous à celles qui n'en possèdent pas pour que le soir du mawlid les mêmes senteurs délicieuses émanant de la cuisson des traditionnels plats de couscous ou Thrida se dégagent de toutes les maisons du village sans exception. Pour Ahmed Bendjedou, ces réunions communautaires sont parallèlement exploitées pour dissiper les différends et malentendus survenus entre les membres de la dechra afin d'en resserrer les liens et de rétablir la cohésion qui fait la force des villageois. Dans les villages Sbikhia ou Ain Hdjar dans la commune de Ferdjioua, Ennafka n'est plus la même que par le passé mais elle n'en continue pas moins d'y être perpétuée de temps à autre, signe que la société n'a pas perdu ses valeurs morales intrinsèques.(APS)