En plus de leurs ferventes prières, en ce jour de fête, les mères de famille s'attachent, dès le coucher du soleil, à allumer une bougie à chaque coin de la maison et à consacrer une autre pour chacun des membres de la famille. Selon Mme Hadda B., de la région d'Ichemoul, les femmes, par ces gestes, «s'attellent à combattre durant cette nuit l'obscurité pour montrer que la naissance du prophète a apporté avec elle la lumière et la piété pour tout l'univers». Les grands-mères saisissent, elles, l'occasion pour couper les cheveux de leurs petits-fils qui bouclent leur première année pendant cette fête et donnent pour la circonstance un festin avec, en plat principal, la «chekhchoukha» pour la dégustation de laquelle on invite les proches et les voisins. Des bonbons, des dattes et la tamina sont distribués aux enfants auxquels il est permis exceptionnellement de veiller tard, la nuit du Mawlid. Dans la région d'Arris, une tradition encore vivace veut que les belles-filles de chaque famille se réunissent dans la grande demeure parentale pour préparer collectivement un «dîner spécial» où trône la traditionnelle «berboucha» (couscous). La garaâ ou ilane en tamazight (tirage au sort) accompagnant la Nafka est une autre pratique sociale, jadis très courante dans les campagnes aurésiennes, mais encore conservée par quelques familles chaouies. Elle consiste, pour un groupe de familles voisines, à immoler un mouton dont la viande est coupée en parts égales distribuées aux participants qui font, chacun, un vœu en recevant leur part. La quintessence de cette action communautaire est «l'amour du bien pour tous», selon Hadj Salah Bouderhem qui affirme que les vœux se «réalisaient tôt ou tard à la seule condition d'avoir un cœur pur». Par ailleurs, beaucoup de familles des Aurès attendent impatiemment cette occasion pour organiser les cérémonies de circoncision de leurs garçons «pour faire de cette fête une grande cérémonie, dominée par l'invocation d'Allah et la prière pour son Prophète», affirme Hadja El-Atra Yesser (85 ans). Des sorties en plein air, dans les cours et aux alentours des maisons, sont également organisées en début de soirée et offrent aux enfants des moments de récréation et de jeu. Elles laissent place ensuite à des veillées familiales durant lesquelles sont évoquées les vertus et qualités du prophète de l'Islam et sont racontés avec une gestuelle propre à cette région les contes épiques populaires et les traditionnelles devinettes ou m'hanjiyat. Pour Yacine F., étudiant universitaire originaire de la localité de Bouzina, la fête du Mawlid demeure marquée par son rituel socialement ancré et des traditions gravées à tout jamais dans la mémoire profonde de l'enfan. Il en est ainsi du délicat conseil chuchoté par les grands-mères dans les oreilles des enfants pour les amener à ne pas trop jouer avec le feu : celui dont la bougie s'éteindra la première, mourra le premier.