La transcription française durant la période coloniale a causé une importante déstructuration des noms patronymiques en Algérie, ont affirmé mercredi des participants au colloque national consacré au thème "Toponymie et Anthroponymie en Algérie : politiques et pratiques. 50 ans après l'indépendance". "Les noms de personnes, notamment patronymiques, ont connu une déstructuration importante liée à la transcription française durant la période coloniale", a précisé Mme Ouerdia Yermeche, membre du comité scientifique et d'organisation de cette rencontre organisée par le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC). Ces dysfonctionnements, a-t-elle rappelé, remontent surtout à l'instauration de l'état civil en 1882 qui a donné à l'administration coloniale la latitude d'attribuer des noms aux personnes qui se refusaient à se choisir un nom patronymique. Les noms attribués aux Algériens par les officiers d'état civil français n'étaient pas toujours conformes à la culture et à la religion musulmane, donnant lieu à des noms tabous, injurieux, insultants ou à des déformations très éloignées des formes originaires, a-t-elle encore observé. L'intervenante a également relevé que ces dysfonctionnements sont visibles encore aujourd'hui, provoquant énormément de soucis aux personnes concernées, "surtout depuis l'instauration des passeports biométriques dont la délivrance exige le document d'état civil S12". "C'est au moment du retrait du S12 que l'on s'aperçoit en fait que beaucoup de noms ne s'écrivent pas de la même manière au sein d'une même famille", a-t-elle expliqué, ajoutant "qu'entre le père, le grand-père et les enfants, souvent ce sont des écritures différentes et on ne peut pas reproduire la filiation avant que ces personnes ne soient obligées de passer par la justice pour corriger ces différentes orthographes". Mme Yermeche a toutefois insisté sur le fait que l'onomastique (étude des noms propres) est une science relativement jeune et qu'en Algérie cette discipline suscite de plus en plus d'intérêt au niveau institutionnel et académique. Dans ce contexte, cette enseignante à l'Ecole normale supérieure de Bouzaréah (Alger) et membre de l'Unité de recherche sur les systèmes de dénomination en Algérie (RASYD/CRASC) a fait savoir que son équipe vient de concrétiser une action pilote portant sur l'état des lieux des odonymes (noms de lieux : rue, place, édifice) de la ville d'Oran. "Ce projet a été initié en partenariat avec les services de la wilaya d'Oran qui aspirent justement à combler les carences signalées en matière de dénomination", a-t-elle précisé en révélant que ses investigations ont fait ressortir "qu'environ deux tiers des lieux, voies de circulations, places et squares ne sont pas encore nommés". Le rapport sanctionnant ces travaux contient également des propositions de dénominations, a fait valoir Mme Yermeche qui escompte à travers cette action un effet "boule de neige" pour inciter d'autres villes du pays à réfléchir autour de cette question et les pouvoirs publics de prendre conscience de l'importance du nom et de l'importance de nommer. "Nommer c'est s'approprier, donc il faut absolument que les lieux sur lesquels habitent les gens soient nommés pour qu'ils soient identifiés et qu'on puisse se repérer dans un espace donné", a souligné Mme Yermeche. Le chercheur Brahim Atoui (CRASC/RASYD) a mis l'accent, quant à lui, sur la nécessité pour toute ville "d'honorer en priorité les grands personnages qui ont marqué son histoire et celle de son pays, en donnant leur nom à des lieux, édifices et artères de circulation". Il a en outre estimé qu'une ville doit être aussi "ouverte sur son monde, son univers national et international et aux grands de ce monde qui ont, par leurs travaux ou actions, apporté une contribution importante au développement et au bien-être de l'humanité". Plusieurs communications sont au menu de cette rencontre dont les travaux se poursuivront jeudi en sessions et ateliers thématiques intitulés "Onomastique : histoire, culture, recherche", "Onomastique, usages, réglementation, normalisation", "Les prénoms : usages, contexte, contraintes", "Toponymie : terrains, usages, représentations". Ce colloque marqué par une participation pluridisciplinaire (linguistes, sociologues, géographes, historiens...) est organisé par le CRASC en partenariat avec l'Université d'Alger 2 (Bouzaréah), et ce, dans le cadre de la célébration du 50ème anniversaire de l'indépendance nationale. La mise à niveau des institutions nationales utilisatrices de la toponymie et la création d'une société savante dénommée "Société algérienne d'onomastique" constituent les principaux objectifs ciblés à travers cette manifestation scientifique.