"Le 17 octobre 1961, l'Ordre français", un film-documentaire de Jean-Jacques Béryl, faisant un focus sur le déni et la désinformation qui ont marqué les évènements ayant coûté la vie à des centaines d'Algériens dans la capitale française, a été projeté en avant-première jeudi soir à Paris, en présence du réalisateur. D'une durée de 45 minutes, le film contredit le bilan officiel de deux morts et 64 blessés parmi les manifestants, par les témoignages accablants d'acteurs des événements, de journalistes et autres représentants de la société civile française qui, lors de manifestations commémoratives, racontent les "atrocités" de la répression policière de ce mardi pluvieux d'octobre 1961. Le spectateur est vite pris à la gorge par les témoignages décrivant un déferlement de haine raciale, autrement dit une "ratonnade" par la police, qui procède à une rafle systématique de 11.500 Algériens, conduits au Palais des sports de la porte de Versailles, au stade de Coubertin, à la Préfecture de police, au centre de Vincennes, dans les commissariatsà Situant les responsabilités dans un massacre que d'aucuns qualifient de crime d'Etat, le film pointe du doigt Michel Debré, premier Ministre sous la présidence de Charles De Gaule, qui déclarait qu'en "Algérie, nous rétablissons l'ordre, ce que nous entendons par ordre français". Pour le réalisateur, il s'agissait, bien entendu, de "l'ordre colonial au mépris de l'ordre républicain" en Algérie comme à Paris où, le 17 octobre 1961, des Algériens affluant des bidonvilles de banlieue furent massacrés par la police du préfet Maurice Papon, alors qu'ils défilaient pacifiquement pour l'indépendance de leur pays. La caméra de Jean-Jacques Béryl fait, par ailleurs, la part belle à la commémoration, en 2001, du 40e anniversaire des massacres avec comme fait majeur l'apposition par le maire de Paris d'une plaque commémorative au pont Saint-Michel, rendant hommage aux victimes de la répression policière. L'action du maire socialiste, favorablement accueillie tant par les acteurs de la manifestation d'Octobre noir que par leurs descendants, suscite alors des affrontements, pont Saint-Michel, entre manifestants et contre-manifestants : y sont opposés des anciens appelés du contingent, anciens membres du FLN, anciens harkis, Pieds-Noirs, militants d'extrême gauche et d'extrême droite, Français de l'immigration algérienne, qui semblent "rejouer" la guerre d'Algérie des années après. Lors du débat qui a suivi la projection, Mehdi Lallaoui, président de l'association Au nom de la Mémoire, a dit "ne pas comprendre la haine des Algériens qui continuent d'habiter certaine gens en ce 21e siècle". "Du film, l'on est conforté par l'exigence selon laquelle on doit nommer les assassins" à l'origine du crime d'Etat qu'a été le massacre du 17 octobre 1961, a-t-il affirmé, relevant que, dans le débat public depuis au moins quatre ans, des personnalités comme De Gaulle ou Michel Debré étaient "intouchables". Selon l'universitaire et historien Olivier Lecour Grandmaison, le film a le mérite de faire resurgir, au-delà du combat pour la reconnaissance des faits, un aspect de l'histoire sociale et politique française. "Je ne m'imaginais pas à quel point cette histoire demeure d'une extrême violence verbale, symbolique de la part de ceux qui continuent de parler d'une histoire fort belle de la France", a-t-il soutenu. Pour le réalisateur, cette levée de boucliers de la part de "nostalgiques" du grand empire français expliquerait un "complexe de ne pas vouloir regarder la réalité (historique) en face". Il a dit s'étonner, par exemple, qu'un commentateur et polémiste comme Eric Zemmour continue, des années après les événements d'octobre 1961, de faire valoir le bilan sibyllin de deux morts. La projection, intervenant dans le sillage de la commémoration du 52e anniversaire des massacres du 17 octobre 1961 à Paris, a été initiée par Sortir du colonialisme, un collectif créé dans la foulée de la contestation née de la promulgation de la loi du 23 février 2005 glorifiant le "rôle positif" de la colonisation.