Les moudjahidine réunis dans la nuit du 31 octobre 1954 à Dechrat Ouled Moussa autour de Mostefa Benboulaïd, pour recevoir les premières armes de la Révolution, considèrent que ce petit hameau reste le lieu de mémoire phare de cette date charnière dans l'Histoire de la Nation algérienne, un repère qui fut à la fois un aboutissement et un commencement. Amar Benchaïba, dit Ali, rescapé de l'explosion qui tua Benboulaïd le 23 mars 1956, acteur et témoin des préparatifs du déclenchement de la Révolution, soutient que le choix de faire de Dechrat Ouled Moussa le point de ralliement pour la distribution des premières armes, fut décidé en dernière minute. "En réalité, ce ne fut pas Benboulaïd qui avait opté pour Dechrat Ouled Moussa", explique Benchaïba, précisant qu'il y eut d'abord une réunion à Legrine, dans la maison de Abdallah Benmessaouda, entre Chemora et Boulefraïs (Nord-est de Batna), le 20 octobre 1954. Ali Benchaiba se souvient qu'il fut alors convenu que l'ultime rassemblement des combattants devait avoir lieu dans le domicile d'un militant, sous la houlette de Tahar Nouichi, responsable de la zone de Bouarif. Benboulaid était présent à Legrine, avec Chihani Bachir, Adjel Adjoul, Mostefa Boucetta et d'autres. Rendez-vous fut d'abord pris dans les environs de Tighaza, du Arch des Ouled Lahdadda, au nord ouest du mont Ichemoul, un lieu sûr, situé en pleine montagne. Mais le propriétaire des lieux a jugé, avant le départ de Benboulaïd qui devait se rendre à Alger, qu'il ne pouvait pas mettre sa maison à la disposition des moudjahidine, ajoute Benchaiba qui indique en avoir été informé par Tahar Nouichi. Le point de ralliement connu quelques jours avant l'heure H ... "C'est alors que nous avons opté pour la maison des Benchaiba, à Dechrat Ouled Moussa, bien que nous eussions encore la latitude de choisir la maison de Baazi Ali Ben Lakhdar qui fut toutefois jugée "trop exigüe et trop exposée", explique le même interlocuteur. La nouvelle adresse du point de ralliement ne fut communiquée que 4 ou 5 jours avant l'heure H. Ali Benchaiba et les siens, son cousin Belkacem Ben Mohamed Cherif, Benchaiba Ali Ben Boubia et Baazi Ali Ben Lakhdar en avaient informé Adjal Adjoul qui se trouvait alors à T'kout. Agé aujourd'hui de 92 ans, Benchaiba se souvient que Benboulaïd se montra pleinement satisfait, quoique, dit-il, "s'il avait été là au moment de la prise de cette décision, il n'aurait peut-être pas été d'accord. Si bien qu'avant le jour J et l'heure H, les allées et venues étaient rigoureusement contrôlées par Benboulaïd lui-même, quand bien-même, la maison, située sur un site idéal comportait-elle une vingtaine de pièces secrètes". Pour sa part, Mohamed Bayouche Ben Amor, se remémorant ces faits vieux de 60 ans, affirme que la rencontre avait eu lieu le 30 octobre 1954, dans la nuit. Il y avait trois groupes, le premier venu de Kimel, le deuxième de Djebel Hara et le troisième du col de Tafrent des Ouled Aicha. "Ce dernier groupe nous a guidés jusqu'au domicile de Baazi Ali Ben Lakhdar où les armes étaient cachées avant d'être transportées jusqu'à Dechrat Ouled Moussa", se souvient-il. Bientôt minuit, l'heure du grand rendez-vous avec la Révolution La journée du 31 octobre fut consacrée au nettoyage des armes, cela avait duré toute la journée, jusqu'à l'arrivée de Benboulaïd, accompagné de Adjel Adjoul, Mostefa Boucetta et Azoui Meddour. "Il est bientôt minuit, l'heure du grand rendez-vous avec la glorieuse Révolution !". Le moudjahid Soualah Mohamed, alias Zeroual, précise que seuls les hefs de groupe étaient au courant de la date et de l'heure du déclenchement de la guerre de libération. Les hommes de troupe qui ignoraient tout du calendrier, n'en furent informés par Benboulaid lui-même que lors du rassemblement des 13 groupes prêts pour la distribution des armes. "Je jure devant Dieu que je ne reculerai pas jusqu'à la libération de l'Algérie ou la mort". C'était "le serment que nous avions fait devant Benboulaïd en nous tenant par la main, juste avant de nous diriger, à minuit, vers les objectifs de la première attaque", se souvient Bayouche avant d'ajouter que ce serment était répété comme une litanie, derrière Benboulaïd qui nous dira plus tard que ce rituel a été observé de façon identique par chacun des groupes. Le chef de l'Aurès voulait concentrer le feu sur les positions ennemies, à Batna en particulier. Il fallait agir en plusieurs points simultanément, affirment tous les témoins rencontrés par l'APS. Benchaiba précise que sept (7) groupes ont été désignés pour attaquer ces positions. Chaque moudjahid a rejoint son groupe pour se diriger vers l'objectif qui lui a été désigné. Certains se sont déplacés à pied, quelques uns sont arrivés en retard, mais cette nuit a été secouée par les salves de coups de feu annonciatrices de la Révolution. Le combat, parsemé de lourds sacrifices, de sang et de larmes, était engagé il ne s'arrêtera que sept ans et demi plus tard, quand l'Algérie aura arraché son indépendance.