Le gouvernement français semble faire marche-arrière sur sa décision de constitutionaliser la déchéance de la nationalité française pour les binationaux nés en France, impliqués dans des actes de terrorisme, à la veille de l'examen de ce dispositif par le Conseil des ministres. Le Premier ministre, Manuel Valls, avait souligné, vendredi dernier à Angoulême, le caractère "symbolique" de la déchéance de nationalité des binationaux, avouant que la question n'était pas encore tranchée définitivement. "Il faut qu'une mesure soit efficace. Nous allons l'examiner, laissez-nous encore quelques jours pour trancher cette question", avait-il affirmé. Lui, qui avait fait part, en privé, de ses réserves face à cette mesure, très décriée à gauche, annoncée par le président François Hollande, au lendemain des attentats du 13 novembre, avait indiqué que "ce n'est pas une arme pour lutter contre le terrorisme." D'après le quotidien Libération, qui se réfèrent à "plusieurs sources à l'Elysée, le gouvernement devrait retirer la question de la déchéance de nationalité des binationaux nés français de son projet de réforme constitutionnelle, une idée empruntée à la droite. Cette proposition, vieille revendication de l'extrême droite, est devenue une "matière à risque, redoute-t-on dans l'entourage du chef de l'Etat, ajoute Libération qui précise que François Hollande, à l'écoute des critiques de nombreux socialistes, qui ne comptent pas acter la création de "deux catégories de Français", a aussi été convaincu par le sociologue Patrick Weil qu'il a rencontré il y a quelques jours et qui a, à son tour, invoqué le risque d'une rupture d'égalité. Pour le sociologue, qui est directeur de recherche au CNRS, étendre la déchéance de nationalité dans la Constitution est "inutile". "L'important est que cette disposition existe, qu'elle peut être adaptée facilement à la lutte contre le terrorisme sans déroger à notre tradition juridique et sans modifier la Constitution, ce qui serait inacceptable", a-t-il estimé dans un entretien à la presse. Un autre proche de François Hollande, l'avocat Jean-Pierre Mignard, a suggéré, à la place de la déchéance, la peine "d'indignité nationale" à titre de sanction "symbolique". "La loi existe déjà pour déchoir de leur nationalité des binationaux. Maintenant on exclut les personnes qui sont nées françaises et sur ce point, en effet, je crois qu'il faut y réfléchir à deux fois avant d'aller jusque-là (...) La question c'est : est-ce qu'on va trop loin ou est-ce qu'on prend des mesures dans l'urgence, qui peuvent se révéler inefficaces et plus dangereuses que le mal qu'elles prétendent régler ?», s'est interrogé mardi l'avocat sur les ondes de France Inter. Par ailleurs, explique Libération, la déchéance de nationalité, déjà possible pour les binationaux naturalisés français, serait étendue aux binationaux, Français de naissance. Mais elle ne frapperait pas les «seuls» Français puisque divers textes internationaux interdisent de produire des apatrides. D'où le risque de stigmatiser les quelques 4 millions de binationaux. Dans la classe politique, notamment à gauche, dès l'annonce faite par François Hollande, les écologistes et les frondeurs ont vivement protesté. «Ce serait la première fois depuis Vichy qu'on fait cela», avait déploré Pascal Cherki, député PS de Paris. Il avait dénoncé une "vieille idée du Front national selon laquelle un binational n'est pas vraiment français". Deux autres députés l'ont qualifié de mesure "inutile, "d'imbécile et de scandaleuse". Le Conseil d'Etat a émis, la semaine passée rappelle-t-on, un avis "favorable" à l'inscription de cette mesure dans la Constitution, jugeant cependant que l'extension de la déchéance de nationalité aurait une "portée pratique limitée". Expliquant son "inefficacité", des observateurs de la scène politique française ont souligné, dans le cas des attentats terroristes du 13 novembre, très peu de terroristes auraient pu être frappés par une déchéance de nationalité. "Seuls Ismaïl Mostefaï et Bilal Hadfi étaient des binationaux nés en France. Foued Mohamed-Aggad et Samy Amimour, respectivement nés à Strasbourg (Bas-Rhin) et Drancy (Seine-Saint-Denis), étaient français et n'ont jamais fait la démarche de réclamer la nationalité de leurs parents. Les frères Abdeslam, résidents belges d'origine marocaine, sont uniquement détenteurs d'un passeport français". Sur le plan juridique, relève-t-on, une personne n'ayant que la nationalité française ne peut donc en être déchue, en vertu de l'article 15 de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui stipule que "tout individu a droit à une nationalité" et "nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité". D'autant, soutient-on par ailleurs, l'article 25 du Code civil français prévoit la déchéance de nationalité pour les binationaux ayant acquis la nationalité française. En application à ce dispositif, il y a eu 22 déchéances de nationalité depuis 1989, dont huit entre 2000 et 2014 pour terrorisme. La dernière a été prononcée en mai 2014, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur.