La générale de la pièce de théâtre "El'Laz" (l'as) a été présentée samedi à Alger, avec le souci de mettre à la lumière du jour une partie de l'histoire de la révolution algérienne, où le devoir de prendre les armes contre l'ennemi s'est mêlé à l'idéologie et à l'égo de chacun. Présenté au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi (TNA), la pièce répercute le conflit avec soi, propre à quelques héros de la guerre de libération nationale, unis pour le même idéal, pourtant parfois divergents quant aux formes à donner à la stratégie du combat libérateur. Adaptée par Mohamed Bourahla du roman éponyme (1976) de l'écrivain algérien Tahar Ouettar (1936-2010), "El'Laz", tragédie expressionniste savamment conçue par Yahia Benamar, est rendue tel un arrêt sur image sur le désir inné de vouloir mettre en conformité son idéologie et ses convictions personnelles avec l'idéal révolutionnaire qui appelait uniquement à libérer le territoire. Dans une idée de génie d'où le spectacle puise sa force, Yahia Banamar a mis en scène six stèles représentant des héros de guerre quittant leurs socles après avoir laissé leurs armes en suspens, pour se retrouver à nouveau dans une double temporalité liant le passé au présent pour livrer une part douloureuse de la réalité de l'histoire à la jeunesse d'aujourd'hui. Répondant de toute évidence à l'appel de la patrie, les six monuments, dans leurs accoutrements de guerriers aux couleurs argentées -car élevés par la nation au rang de la solennité-, s'échangent des vérités embarrassantes, chacun accusant l'autre de s'être enfermé dans son égo en voulant à tout pris organiser la stratégie du combat et entretenir l'élan de la révolution au nom de convictions idéologiques ou d'intentions de s'octroyer la position de leader. El'Laz, personnage campé par le jeune Samy Zelmati, musicien par ailleurs distribué pour la première fois, a rendu le rôle d'un jeune d'aujourd'hui, tourmenté par le sort tragique qu'a connu son père, ancien combattant, victime d'un complot où il s'est retrouvé accusé à tort de haute trahison. Dans des échanges intenses au rythme ascendant, les stèles animées par la seule volonté d'El Laz, s'inculpent mutuellement sans pour autant pouvoir établir de complicité avérée avec l'ennemi, laissant ainsi le doute s'installer, ce qui a accentué la douleur du jeune, confronté à des vérités qui n'avaient pas lieu d'être entre des frères de combat. Les comédiens Hakim Benkhaled, Ali Djebara, Djallal Draoui, Laïd Benamara, Hocine Moustiri, Samy Zelmati et Tarek Atrous, permettant par moments à leurs personnages respectifs de justifier, dans des monologues, leurs attitudes sectaires, relevant de "la nature humaine", ont brillamment porté le texte occupant tous les espaces de la scène. Le spectacle renvoyant au "Hamartia" (à l'époque du théâtre de l'Antiquité, erreur de jugement causant le malheur du héros tragique),a entretenu de manière récurrente le vieil adage populaire "Ma yebqa fel'oued ghir h'djarou" (ne restera de la rivière que ses rochers) pour dire qu'il n'y a que la vérité qui compte. Egalement £uvre de Yahia Banamar, la scénographie faite d'un plancher tout en rouge et d'un socle de stèle multifonctionnel pareillement teinté, a bien répercuté la teneur du propos et la densité du texte rendu en Arabe classique, avec quelques interventions dans le parler populaire. La musique et les ambiances sonores signées par Farouk Houhamdi, ont dessiné les atmosphères de méditation souhaitées par le metteur en scène, tenant le public relativement nombreux en haleine devant la pertinence d'un tel sujet porté pour la première fois sur les planches. Les six stèles, unanimes à dire à l'issue du spectacle que rien de toutes les vérités rétablies ne touche à la sacralité de la révolution armée, rejoignent leurs socle, comme lors de la scène d'exposition, reprenant leurs armes respectives restées en suspens durant toute la représentation. La pièce de théâtre "El'Laz" qui attend d'autres dates de programmation à travers le territoire national, est produite par le Théâtre régional de Souk Ahras sous l'égide du ministère de la Culture.