Par Ahmed Cheniki Il n�est nullement imaginable qu�une lutte de lib�ration ne s�accompagne pas d�une sorte d�encadrement artistique et litt�raire. Des artistes et des �crivains s��taient engag�s dans une sorte d��criture de t�moignage et de combat. Le d�clenchement de la lutte de lib�ration nationale a provoqu� la disparition de la troupe th��trale arabe (d�pendant de l�op�ra d�Alger) en 1954-1955. La section th��tre du service de l�Education populaire, structure institutionnelle fran�aise, a continu� � fonctionner jusqu�� l�ind�pendance de l�Alg�rie. D�ailleurs, son animateur, Henri Cordereau, est rest�, quelque temps apr�s 1962, organisant des stages d�art dramatique. De nombreux hommes de th��tre alg�riens avaient appris les rudiments du m�tier dans cette institution qui dispensait, entre autres t�ches, des cours d�art dramatique aux amateurs. Une association des amis du th��tre arabe fut constitu�e fin 1954. C��tait Henri Cordereau qui la dirigeait. Son objectif �tait simple : soutenir mat�riellement les troupes existantes et organiser des stages et des s�minaires de formation. Le moment n��tait pas opportun. Durant ce temps-l�, de nombreux com�diens se pr�paraient d�j� pour le maquis ou la direction du FLN � Tunis. Les groupes commen�aient � dispara�tre les uns apr�s les autres, les com�diens se dispersaient. Il �tait impossible dans des moments aussi cruciaux o� le destin de la patrie �tait en jeu de faire du th��tre. D�j�, avant le d�clenchement de la lutte arm�e, la censure ne laissait rien passer. Comment les autorit�s coloniales pouvaient tol�rer que les Alg�riens fassent encore du th��tre ? Toute parole devenait subversive. Et en plus de cela, les troupes arabes avaient d�cid� d�opter pour le silence parce qu�elles ne pouvaient admettre que l�administration leur fournisse des subventions, geste qui aurait �t� interpr�t� par la population comme un acte de collaboration. Des com�diens ont ainsi d�cid� de prendre leurs valises et de s�installer en France o� ils ont form� des troupes dans les milieux alg�riens. De 1955 � 1957, le th��tre devenait un v�ritable art de combat. Des hommes de th��tre engag�s dans le mouvement nationaliste n�arr�taient pas d��voquer la question alg�rienne � Saint-Denis, Barb�s, Clignancourt, Marseille et dans d�autres villes fran�aises. L�Alg�rie �tait au c�ur de l�entreprise dramatique. Mohamed Boudia et Mohamed Zinet (qui a appris le th��tre en Allemagne, au Berliner ensemble en 1959 et au Kammerspiele de Munich en 1961) qui ma�trisaient relativement bien les techniques de la sc�ne s�illustraient par un extraordinaire dynamisme. Zinet est rompu � l��criture th��trale et au militantisme, lui qui a cr�� sa propre troupe en 1947 et interpr�t� le r�le de Lakhdar, succ�dant � Antoine Vitez, dans Le cadavre encercl� de Kateb Yacine, mis en sc�ne par Jean-Marie Serreau. Incapables de rester sur place, Boudia et Zinet tentaient de faire tout � la fois, de participer aux actions de la F�d�ration de France du FLN, d�expliquer inlassablement les objectifs et les positions du mouvement nationaliste. Ils animaient des rencontres avec des �migr�s et formaient de jeunes com�diens. Mais quelque temps apr�s, l�administration fran�aise, au courant des faits et gestes de ces militants doubl�s d�artistes, a pris la d�cision de dissoudre ces troupes, trop engag�es � ses yeux. Ce qui n��tait d�ailleurs pas faux. Les animateurs de ce mouvement th��tral qui voulaient ainsi expliquer en usant de l�art de la sc�ne les n�cessit�s du combat se retrouvaient en prison. Mais cela n�a pas emp�ch� un homme comme Mohamed Boudia de poursuivre sa mission dans les ge�les. Il a jou� quelques pi�ces pour les prisonniers. Ce qui �tait un acte extraordinaire de courage et d�engagement. Il �tait donc clair que tout travail th��tral �tait impossible en France. Les services de police veillaient au grain et toute parole patriotique �tait impitoyablement chass�e. Le FLN qui avait compris l�importance du fait artistique dans la lutte de lib�ration a fait appel � tous les artistes alg�riens pour rejoindre la lutte de Lib�ration. De nombreux com�diens, cin�astes, chanteurs, musiciens et sportifs n�h�sit�rent pas � franchir le pas et � se retrouver de l�autre c�t� de la barri�re. Ils devenaient les porte-voix du Front de lib�ration nationale. En 1958, au mois de f�vrier, a �t� officiellement cr��e la troupe artistique du FLN. Mustapha Kateb assurait la direction de cet ensemble qui avait pour mission de faire conna�tre le combat du peuple alg�rien et de diffuser le discours du Front. De nombreux com�diens qui animaient la sc�ne alg�roise dans les ann�es quarante s��taient retrouv�s � Tunis. Il y avait Ahmed Wahbi, Allilou, Taha el Amiri, Boualem Ra�s, Mustapha Kateb� La troupe du FLN accordait un int�r�t certain aux techniques th��trales et apportait � l�art de la sc�ne une sensibilit� et une admirable originalit�. Il fallait d�crire la trag�die du pays avec des mots, des images et des gestes simples. Une v�ritable esth�tique se combat. Les th�mes se renouvelaient. L��criture th��trale subissait, sous la pression des �v�nements, une v�ritable transformation. Ainsi, une rupture radicale avec la pratique th��trale des ann�es quarante allait avoir lieu. Le politique se frayait un chemin s�rieux dans la repr�sentation artistique. Le signe se muait en un espace de violence. Les pi�ces produites durant la p�riode 1958-62 articulaient leur organisation autour d�un personnage collectif auquel quelques individus, acteurs r�currents et incontournables, donnaient vie et contenance. Le personnage fonctionnait comme un catalyseur d�une prise de conscience � assumer. C�est le �peuple� qu�on voulait �convoquer� sur sc�ne. Trois pi�ces furent mont�es pendant cette p�riode. Elles traitaient de la lutte des Alg�riens pour leur ind�pendance. L�objectif de la troupe �tait donc clair : faire conna�tre le combat des Alg�riens. Le th��tre devenait en quelque sorte un porte-parole attitr� de la r�volution. Les sujets abord�s ne pouvaient qu�exprimer ce besoin de lib�ration et d��mancipation. Les n�cessit�s historiques imposaient la mise en �uvre d�un discours th��tral nouveau marqu� par les sollicitudes et les r�alit�s du combat. L��criture dramatique ob�issait � un sch�ma particulier correspondant � des n�cessit�s historiques et sociologiques particuli�res. Les tourn�es dans l�ex-URSS, en Chine populaire et en Yougoslavie ainsi que dans les pays arabes participaient du projet politico-culturel du FLN. Les com�diens portaient le costume de l�Alg�rie combattante. Leurs pi�ces �taient l�expression d�une r�alit� v�cue, un t�moignage vivant d�un peuple en lutte. Dans Vers la lumi�re, Les Enfants de La Casbah, El Khalidoun (Les Eternels), le ton est agressif, le verbe est violent, les gestes sont souvent tr�s furtifs et rapides, le rythme saccad�. Cette violence marquait �galement la litt�rature. Frantz Fanon l�explique ainsi : �Enfin, dans une troisi�me p�riode dite de combat, le colonis�, apr�s avoir tent� de se perdre avec le peuple, va au contraire secouer le peuple. Au lieu de privil�gier la l�thargie du peuple, il se transforme en r�veilleur du peuple. Litt�rature de combat, litt�rature r�volutionnaire, litt�rature nationale. Au cours de cette phase, un grand nombre d�hommes et de femmes qui, auparavant, n�auraient jamais song� � faire �uvre litt�raire, maintenant qu�ils se trouvent plac�s dans des situations exceptionnelles, en prison, au maquis ou � la veille de leur ex�cution ressentent la n�cessit� de dire leur nation, de composer la phrase qui exprime le peuple, de se faire le porte-parole d�une nouvelle r�alit� en actes.� Style heurt�, mots lac�r�s, violence verbale, r�cit simple, personnages bien mis en �vidence, telles sont les caract�ristiques essentielles de ce th��tre de combat qui voulait exprimer sans rancune ni haine les souffrances et les douleurs du peuple alg�rien. D�ailleurs, les auteurs int�graient souvent dans leurs pi�ces un personnage fran�ais, sympathique, pacifiste, ouvert aux souffrances et aux douleurs de la soci�t� colonis�e. Ils �vitaient ainsi d�imposer � leurs personnages un discours trop manich�en. Cette attitude se retrouve �galement dans la litt�rature de combat et dans les pi�ces de Boudia et de Bouzaher. Montserrat d�Emmanuel Robl�s fut reprise par l��quipe artistique. Elle re�ut un accueil enthousiaste. Les repr�sentations �taient donn�es dans les camps, les h�pitaux et les maquis des fronti�res. La direction du FLN cherchait, � travers cette exp�rience th��trale, � compl�ter la formation politique et id�ologique des militants et des combattants. Les conditions de l��poque d�terminaient �videmment le choix de l�espace et mettaient en �uvre une esth�tique d�urgence ob�issant � des n�cessit�s historiques particuli�res. Le lieu ouvert imposait aux com�diens et aux concepteurs du spectacle une certaine mani�re de jouer o� l�improvisation n��tait pas absente. Dans ce type de th��tre, outre la clart� du mouvement narratif et du processus discursif, la performance de l�acteur est fondamentale. La parole devenait souveraine et engendrait un feed-back perp�tuel avec un public, certes d�j� convaincu, mais souvent marqu� par les p�rip�ties dramatiques travers�es par des personnages qui interpellaient directement sa sensibilit�. Dans les salles closes, surtout � l��tranger, le jeu se refermait et �pousait rapidement les contours du th��tre conventionnel. Les d�placements �taient plus mesur�s, marqu�s par les pesanteurs sc�nographiques, les multiples calculs g�om�triques, les instances discursives et les lieux de la r�ception. Le lieu d�terminait donc le fonctionnement de la repr�sentation. Le discours th��tral �tait surtout dirig� vers l�ext�rieur. Dans la pi�ce, Vers la lumi�re, les personnages sont bien dessin�s, l�espace est clairement d�fini, c�est-�- dire ob�issant � une logique r�aliste, m�me si, par endroits, il est fait appel � des symboles, � des all�gories et � des r�f�rents historiques tir�s de l�histoire universelle. Ainsi, le combat des Alg�riens est partie int�grante des luttes de tous les peuples opprim�s. Ce discours ob�it � une certaine logique id�ologique qui met en avant la similarit� des luttes anticoloniales, leur interd�pendance et leur solidarit�. Le r�cit est simple : de jeunes soldats arr�tent un Alg�rien qui, en prison, se met � r�ver, � revivre son enfance, � revisiter tous les lieux et � se rem�morer une enfance et une vie ouverte � une nouvelle naissance et � un nouveau monde et, tout d�un coup, du c�l�bre tableau de Pablo Picasso, Guernica, sort l�embl�me du Maghreb. La cl�ture de la pi�ce est significative du discours th��tral et des intentions de l�auteur. Le texte se termine par ces mots dits par le jeune d�tenu : �Personne ne danse plus aujourd�hui. Nous sommes plong�s dans le combat. L�ennemi ext�rieur a voulu nous voler nos chants et nos rires, qu�il continue � couvrir avec des rafales et des bombes. L�imp�rialisme veut transformer l�Alg�rie en un grand Guernica. C�est un d�fi � toute l�humanit�. L�humanit� pourra-t-elle relever ce d�fi ? Nous, Alg�riens, nous avons d�j� r�pondu � cette question.� VERS LA LUMI�RE La chute du texte, Vers la lumi�re, r�sume le projet id�ologique et justifie les intentions de l�auteur. La cl�ture d�une pi�ce est le lieu fondamental de l�explication de son parcours et de sa construction dramaturgique. La fin donne � voir les m�canismes du fonctionnement du discours th��tral et peut servir, si elle n�est pas ferm�e, comme un espace d�ouverture et d�articulation � un autre monde. Elle est consid�r�e comme la conclusion d�un pacte narratif et l�espace id�al de cristallisation des formations discursives. Ainsi, l�association avec Guernica explique le d�sir de dire et de montrer la similarit� des luttes dans le monde, id�e qui fait penser � la notion de responsabilit� et d�engagement chez Jean-Paul Sartre. Nous avons aussi affaire � un rapprochement sur le plan esth�tique et � un discours qui fait de l�art pictural un des �l�ments fondateurs de la repr�sentation th��trale. Cette plong�e ontologique restitue � la peinture une sorte de l�gitimit� dans la revendication d�une certaine paternit� de l�acte dramatique et d�un voisinage esth�tique. La peinture devient un �l�ment de reconnaissance d�un �v�nement fondamental et d�une mise en �uvre du discours id�ologique de l�auteur. Guernica est le symbole d�une douleur, d�une trag�die et de solidarit�s en mouvement. Le choix du tableau de Picasso n�est pas fortuit, il contribue � la mise en branle du sens et des r�seaux th�matiques. La signification globale du texte est travaill�e par cette peinture qui participe efficacement au d�ploiement du sens. Analogie des formes. Analogie des qu�tes. Le tableau de Picasso consacre, en quelque sorte, une relation de causalit� mettant en accusation l�imp�rialisme colonial et ses �piph�nom�nes dans tous les malheurs de l�humanit�. Cette probl�matique est au fond de toute la logique dramatique kat�bienne marqu�e essentiellement par des contingences esth�tiques et id�ologiques plus appuy�es et plus pr�cises. Les Enfants de La Casbahde Abdelhalim Rais raconte le combat nationaliste en milieu urbain tout en mettant en relief les difficult�s et les dures r�alit�s de la clandestinit�. L�histoire se d�roule dans une maison de La Casbah, un quartier populaire d�Alger : des fr�res engag�s dans la lutte ne se reconnaissent pas, ne sont pas au courant de leurs activit�s r�elles. Soup�onneux, ils cultivent tellement le secret qu�ils provoquent d�interminables conflits familiaux. La suspicion marque le territoire. Ils �vitent de se regarder dans les yeux, l�un suspectant l�autre de collaboration avec l�ennemi. Un d�clic : les soldats arr�tent un membre de la famille. Ainsi, les choses deviennent claires. Ils savent d�sormais qu�il est inutile de chercher � dissimuler des �vidences. Il n�y a plus de secret. Ils finissent par s�enlacer et s�embrasser. Ali, le jeune fr�re, prend sa mitraillette, sort dans la rue et se fait tuer alors qu�il voulait venger son fr�re et ses camarades de combat. Le lieu est clos. Tout se passe dans une maison, univers o� se cristallisent tous les conflits et se d�roulent tous les �v�nements du r�cit. C�est � partir de cette maison que les personnages observent le monde et donnent leur avis sur l�ext�rieur. Mais cet espace clos est paradoxalement ouvert aux rumeurs et aux bruits du dehors. C�est une sorte de microcosme de la trag�die qui frappe le pays. La maison est l�expression des r�alit�s, des souffrances et des contradictions de l��poque. Le r�cit ne peut �tre s�rieusement lu que si on le situait dans son contexte r�f�rentiel. Le hors-texte participe � la mise en branle des diff�rents �l�ments du r�cit et de la production des formations discursives. Le signe n�est op�ratoire que s�il est mis en relation avec l�extra-texte (la lutte de lib�ration nationale) qui contribue � la d�termination du sens et du discours th��tral. Les �chos ext�rieurs parviennent des entr�es et des sorties des personnages. Cet espace clos qu�est le domicile familial reconstitue tous les �l�ments caract�risant les activit�s du dehors. Le dedans convoque continuellement le dehors qui articule et d�sarticule les diff�rentes p�rip�ties dramatiques. Le dehors ou le hors-cadre oriente le discours th��tral qui semble d�r�gl� par les nombreux conflits int�rieurs, domestiques. L�arriv�e des militaires ouvre les portes de l�ailleurs. Le dedans et le dehors s�interpellent, s�interp�n�trent, s�entrem�lent et se confondent. Les personnages sont, en quelque sorte, marqu�s par leur appartenance politique. Les Eternels (El Khalidoun) du m�me auteur d�place les actions dans le maquis. L�espace choisi pr�suppose et pr�figure la violence. Ainsi, les oppositions sont plus affirm�es et moins nuanc�es que dans le premier texte de Rais, Vers la lumi�re. Le contexte de la montagne, agressif et refuge id�al des combattants, indique tout simplement un conflit o� les bellig�rants sont clairement d�finis et install�s dans une situation de confrontation. Le champ lexical est souvent limit� � des mots renvoyant � la guerre et � la r�volution. Dans Les Enfants de La Casbah, la violence traverse la repr�sentation et met en branle les diff�rents �l�ments du r�cit. Les contingences spatiales d�terminent l�orientation des formations discursives et imposent parfois un parcours narratif pr�cis. Le discours contraint limite le propos des personnages et engendre une sorte de parole �dirig�e�, marqu�e par des consid�rations id�ologiques pr�alables. La phrase-cl�, seule la mitraillette est susceptible de lib�rer la patrie, marque l�univers di�g�tique, investit le fonctionnement des personnages et met en �uvre les lieux de l��nonciation et la position du regard. L�auteur prend explicitement position et devient acteur majeur dans le r�cit. Ses interventions, prises en charge par diff�rents personnages, sont claires. Dans cet univers caract�ris� par la violence et des oppositions �videntes, les rumeurs de la ville ne sont pas absentes. La Casbah, espace exclusif de la pi�ce Les Enfants de La Casbah, revient sans cesse dans le r�cit. Cette r�f�rence explicite et r�p�t�e � ce lieu s�explique par le contexte historique (1958-59) et les origines alg�roises de l�auteur. La bataille d�Alger s�est d�roul�e essentiellement dans ce quartier populaire de la capitale. Les personnages musulmans, parfois agressifs mais g�n�reux, appr�hendent douloureusement l�arriv�e de soldats fran�ais, de vrais monstres. Nous sommes en pr�sence de deux espaces antagoniques et antith�tiques : celui des colonis�s et celui des colonisateurs. Les colonis�s, soup�onneux, parfois � la limite de la parano�a, vivent les m�mes mis�res et les m�mes souffrances et s�engagent dans le m�me combat tandis que les colonisateurs, m�chants et antipathiques, repr�sentent les forces r�pressives qui n�arr�tent pas d�user de violence et de brutalit�. Deux blocs se font face. Cette dualit� au niveau spatial est d�termin�e par le contingences esth�tiques et les partis pris id�ologiques et politiques de l�auteur. C��tait avant tout un th��tre de combat et de propagande qui ne s�embarrasse pas de clich�s et de st�r�otypes caract�risant le discours des personnages. Les choix id�ologiques pr�alables orientent s�rieusement le discours th��tral et imposent un fonctionnement pr�cis des personnages ob�issant � ce discours qui leur fournit leur force et leur substance. Les animateurs reproduisaient donc un discours pr��tabli qui constituait la toile de fond de toute la repr�sentation. La mise en sc�ne, m�me si le spectacle comportait d�int�ressantes trouvailles, restait embryonnaire et peu fouill�e. Certes, quelques com�diens composant le groupe ma�trisaient les techniques de la sc�ne, mais leur objectif �tait d�expliquer la cause des Alg�riens et de donner le plus grand nombre de repr�sentations possible. Les conditions de pr�paration et de production des pi�ces ne permettaient pas aux com�diens de mettre en �uvre un travail rigoureux sur le plan sc�nographique et technique. Le th��tre ob�issait, � l�instar d�autres modes de repr�sentation, aux urgences et aux contingences du moment illustr�es par le discours anticolonial. L�action th��trale du Front de lib�ration nationale (FLN) �tait essentiellement politique et correspondait, aux niveaux esth�tique et artistique, � une conjoncture qui mettait en branle une pratique th��trale caract�ris�e par les n�cessit�s du combat et de l�urgence. L�ind�pendance acquise, les com�diens composant cette troupe allaient constituer l�ossature centrale du nouveau Th��tre national alg�rien (ex-Op�ra d�Alger), institution structur�e et organis�e gr�ce � Mohamed Boudia et � Mustapha Kateb. Les pi�ces des ann�es 1958-1962 ont �t� certes reprises, mais n�ont pas eu assez d�impact sur la production th��trale de l�ind�pendance. Elles �taient marqu�es par la conjoncture et les contingences du combat. Cette situation s�expliquerait donc par la nature des pi�ces r�alis�es durant la guerre de Lib�ration, consid�r�es comme de simples t�moignages et des �uvres de combat, travers�es par les traits du t�moignage. Cette p�riode n�a pas engendr� l��mergence, contrairement � ce qu�on pouvait attendre, d�un th��tre-document. La formation artistique du principal animateur de la troupe du FLN, Mustapha Kateb et ses compagnons, a emp�ch� le passage � ce type d��criture. Au m�me moment, dans les prisons, d�anciens hommes de th��tre montaient des pi�ces dans le but d�expliquer l�importance et la n�cessit� de la lutte de Lib�ration nationale et de divertir les prisonniers. L�entreprise �tait p�rilleuse et pas du tout ais�e. Mohamed Boudia faisait du th��tre � la prison de Fresnes. Etienne Bolo, son compagnon de cellule et n�anmoins ami, �voque cette exp�rience : �Il m�a imm�diatement expliqu� ses projets : organiser dans la d�tention un groupe th��tral qui permettrait � tous les �fr�res� de sortir de leur l�thargie carc�rale et de s�exprimer culturellement. Il m�a bombard� de questions et m�a demand� quelles pi�ces et quels auteurs � Shakespeare, Moli�re, Brecht � conviendrait le mieux � cette entreprise. Il ne s�parait jamais le combat politique du combat culturel et il menait l�un et l�autre dans l�esprit de l�universalisme �progressiste �. (�) Et chose peu courante dans une prison, il atteint le but qu�il s��tait fix�, et il a mont�, mis en sc�ne et jou� dans la chapelle de la prison transform�e en th��tre sa pi�ce L�Olivier et la com�die de Moli�re Le Malade imaginaire qu�il avait traduite en arabe dialectal. � Ce th��tre de l�instant permettait au discours du FLN d��tre diffus�, expliqu� par des �l�ments qui faisaient partie de la composante nationaliste. Ce n��tait pas un th��tre didactique de conception brechtienne. Il n��tait pas question de h�ros tragiques mais de personnages mi-�piques mi tragiques. Ce type de th��tre qui ne r�nova pas sur le plan technique osa aborder des th�mes explicitement politiques. L�essentiel �tait le message � transmettre, le contenu. Tout concourait � expliquer et � faire comprendre mais sans jamais pr�tendre donner des le�ons. Mais apr�s l�ind�pendance, les choses allaient changer. Malgr� les appels incessants pour la r�alisation de pi�ces traitant de la lutte de lib�ration nationale, le nombre de textes mis en sc�ne par les hommes de th��tre alg�riens est extr�mement r�duit, si on exclut cette multitude de pi�ces faites sur commande ou, comme � l�occasion du cinquantenaire, tout le monde s��tait converti au sujet de la guerre de Lib�ration. La mode est d�sormais sonnante et tr�buchante. Ce qui est anormal, d�autant plus qu�il existe des auteurs pouvant monter ce type de pi�ces historiques, en dehors des tentatives d�risoires et absurdes de ces ��pop�es �, mal document�es et sans public. En dehors de cette logorrh�e r�cente, sur une dizaine de pi�ces traitant de cette question, quatre sont des reprises : Les enfants de La Casbah, le Serment et les Eternels de Abdelhalim Rais et Le Cadavre encercl� de Kateb Yacine, mont� � deux reprises par le TNA en 1968 et en 2000. Ces quatre pi�ces, n�es d�une forte conviction et participant d�un projet id�ologique et esth�tique clair et coh�rent, arrivent � donner une image positive de la lutte de lib�ration nationale alg�rienne, souvent sch�matis�e par des ��pop�es�, certes encourag�es par les pouvoirs publics, qui d�naturent la port�e de la lutte r�volutionnaire nationale pour l�ind�pendance. D'autres textes furent mont�s � des fins de c�l�bration d�anniversaires : 5 juillet, 1er Novembre. Ce fut le cas notamment de Soumoud (R�sistance), montage po�tique jou� et Errafd (Le Refus)1. Toutes ces pi�ces, sauf Hassan Terro, insistaient en quelque sorte sur l'historicit� des faits . Les Enfants de La Casbah, El- Khalidoun (Les Eternels) et Le Serment de abdelhalim Rais, d�j� jou�es entre 1958 et 1962, ont pour cadre de repr�sentation la ville. Le regard est manich�en. Nous avons affaire � deux espaces antith�tiques : les bons et les m�chants. Cette dichotomie spatiale correspond, cela va de soi, au discours politique et id�ologique de l'auteur. Si Abdelhalim Ra�s propose un univers manich�en, Mammeri, Assia Djebar et Walid Carn montrent surtout le caract�re meurtrier et injuste de la guerre. Le ton n'est pas le m�me. Mammeri d�nonce surtout le caract�re absurde de cette guerre. La pr�sentation de ses personnages sugg�re la pr�sence d'un faisceau d'humanit� dans les deux camps. Assia Djebar et Walid Carn pr�sentent la violence coloniale tout en montrant �galement les absurdit�s des atrocit�s militaires fran�aises. La pi�ce Rouge l'Aube se termine ainsi : �Comme toi, je ne peux rien voir, ni le bourreau ni le martyr. Seulement le ciel et la pourpre de l�aube. Une aube rouge au-dessus du sang de mon fr�re.� Ould Abderrahmane Kaki propose un montage d'�v�nements qui caract�ris�rent la pr�sence coloniale en Alg�rie. C'est ce qu'on appelle le th��tre-document. La pi�ce la plus populaire demeure sans doute Hassan Terro de Rouiched qui, comme Les enfants de La Casbah,traite du th�me de la r�sistance dans la capitale, Alger. Hassan, un personnage, mina�f mi-s�rieux, peu engag� au d�part, se retrouve pris dans l�engrenage de la lutte de lib�ration, bien malgr� lui. Il finira par la force des choses Hassan Terro (le terroriste). C'est un peu l�itin�raire de la m�re dans les Fusils de la m�re Carrar de Berlolt Brecht. Ce qui retient l'attention dans cette pi�ce, c'est le caract�re comique et la personnalit� probl�matique du personnage. C�est le rire qui structure le r�cit. Paradoxalement, la peur, vraie ou simul�e, articule le discours du personnage central, trop prisonnier de concours de circonstances, de quiproquos et de jeux de mots. Le comique des situations et du verbe donne � cette pi�ce une tonalit� exceptionnelle : Hassan Terro est l�unique pi�ce qui traite de l�Histoire en faisant appel au genre comique. Son succ�s populaire, au th��tre comme au cin�ma, indique clairement que l'importance dans le traitement de l'histoire r�side dans le syst�me de repr�sentation. D�j�, par le pass�, les pi�ces qui respectaient trop la chronologie des faits tout en respectant la �v�rit� historique avaient subi de s�rieux �checs. Seul Allalou, en recourant � la parodie et � la satire, pouvait s�duire le grand public. A la lecture des chiffres sur la fr�quentation des th��tres, on peut avancer, sans grand risque de nous tromper, que les go�ts du public n'ont pas fondamentalement chang�. Hassan Terro qui reprend les techniques du conte (circularit� du r�cit, r�p�titions, personnage de Hassan-ersatz du conteur, etc. ) est tr�s proche sur le plan du traitement de l'histoire des pi�ces de Allalou ou de Ksentini, Aboulhassan El Moughafel ou Antar Lehchaichi. Le h�ros est un homme du peuple, sans grandes qualit�s physiques ou intellectuelles. Il est simple, parfois na�f, comme d'ailleurs les personnages de Ksentini, de Allalou ou de Bachetarzi. Rouiched assumait totalement cet h�ritage, d'autant plus qu'il �tait l��l�ve de Bachetarzi. Cette pi�ce, contrairement aux autres textes traitant de la m�me question, a connu une r�ussite populaire extraordinaire : en 12 repr�sentations, plus de 6 037 personnes, soit une moyenne de 503 spectateurs par spectacle. Les autres pi�ces, empruntant une structure classique ou trop marqu�e par leur caract�re �propagandiste�, n'attir�rent pas grand monde. Les trois pi�ces de A. Ra�s, fonctionnant avec des personnages st�r�otyp�s et proposant une qu�te g�n�reuse (l'ind�pendance), construites sur un mode dramatique traditionnel, furent peu suivies par les spectateurs qui, souvent, pr�f�raient les pi�ces comiques � des textes o� historicit� est marqu�e. Ce qui est d�ailleurs le cas des repr�sentations � th�mes historiques produites vers les ann�es1910-1920. Nous avons l�impression, � la lumi�re de ces informations, que les go�ts du public sont presque identiques. D'ailleurs le cas des repr�sentations � th�mes historiques produites vers les ann�es 1920 le prouve. On pourrait prendre la libert� d'extrapoler en soutenant que la tradition du conteur investit de mani�re brutale l'imaginaire du spectateur. Ce qui le rend r�fractaire � toute repr�sentation lin�aire, marqu�e par la tyrannie de l'expression didactique. Une pi�ce comme Les Enfants de La Casbaha �t� �visit�e� par 1352 spectateurs en 8 repr�sentations (une moyenne de 169 personnes par spectacle). Le Foehn de Mouloud Mammeri n�a pu rassembler plus de 2 718 spectateurs en 8 reprises (une moyenne de 194 par repr�sentation). Rouge l'aube, pi�ce jou�e en fran�ais, pr�sent�e durant sept fois, a r�alis� un score tr�s moyen : une moyenne de 279 spectateurs par spectacle. Certains textes comme Soumoud (R�sistance) ou Errafd (Le refus), mont�s respectivement en 1979 et en 1982, n�ont pas d�pass� pas la centaine de spectateurs. Le th�me de la guerre de Lib�ration n�a pas suscit�, outre-mesure, l'enthousiasme des hommes de th��tre, malgr� la pr�sence au sein du TNA des animateurs de la troupe du FLN. Cette situation paradoxale s'expliquerait �galement par un ph�nom�ne essentiel : la censure. Se transformant en un lieu de l�gitimation du pouvoir, l'Histoire, otage du r�gime, fut tout simplement abandonn�e par des auteurs qui avaient une autre lecture du mouvement historique national. La guerre des wilayas (grandes r�gions mises en place par l�ALN pour les besoins de l�organisation de la lutte nationale), les dissensions internes et les d�saccords entre les acteurs du mouvement national ne facilit�rent pas les choses. Le traitement de l'Histoire posait �galement probl�me. Fallait-il mettre en sc�ne ce qu'on appelle commun�ment �l'�pop�e du peuple� en recourant � une multitude de personnages ou opter pour des destin�es individuelles ? Rouiched choisit la deuxi�me voie en proposant l'itin�raire d'un r�sistant malgr� lui, na�f mais fonci�rement engag�, Hassan Terro. C'est � partir de ce personnage, sorte de sergent Shweik, que tout s�articule et que le lecteur- spectateur d�couvre l'atrocit� des faits. Rouge l'aube de Assia Djebar et de Walid Carn insistait sur le caract�re collectif de la lutte.