L'Algérie commémore ce vendredi les massacres du 8 mai 1945, des crimes contre l'humanité qui demeurent à jamais une tache indélébile dans l'histoire de la France coloniale, forgeant chez les Algériens la conscience et la conviction que seule la lutte armée pouvait leur permettre de se libérer du joug colonial, arracher leur indépendance et leur dignité et sortir du statut avilissant d'"indigènes". La commémoration du 75ème anniversaire de ces massacres --imprescriptibles au regard du droit international-- intervient alors que la question de la reconnaissance de ces crimes par la France, hormis quelques déclarations isolées, reste pendante et entière. Le 8 mai 1945, et alors que les Français célébraient la victoire des alliés sur l'Allemagne nazie marquant la fin de la seconde guerre mondiale, des dizaines de milliers d'Algériens sont sortis dans les rues de Sétif, Guelma, Kherrata et dans d'autres villes pour revendiquer pacifiquement l'indépendance de l'Algérie, ainsi que l'avait promis la France s'ils la soutenaient dans son combat contre le nazisme. La réponse du gouvernement français d'alors fut sanglante, d'une brutalité inouïe : 45.000 Algériens furent massacrés. Durant plusieurs semaines, les forces coloniales et leurs milices pratiquèrent des tueries de masse, n'épargnant ni enfants, ni femmes, ni personnes âgées.Des personnes désarmées abattues à bout portant, d'autres transportées dans des camions pour être précipitées dans des ravins, ou emmenées en dehors des villes et exécutées, avant que leurs corps ne soient brûlés, puis ensevelis dans des fosses communes. Des fours à chaux étaient également utilisés par l'armée française pour se débarrasser des cadavres des victimes. Aux termes de l'article 212-1 du code pénal français, sont considérés comme des crimes contre l'humanité : "la déportation (...) ou la pratique massive et systématique d'exécutions sommaires, d'enlèvements de personnes suivis de leur disparition, la torture ou d'actes inhumains inspirés par des motifs politiques (...) organisés en vertu d'un plan concerté à l'encontre d'une population civile". Cette qualification n'a pas été employée par les officiels français, alors qu'elle est "parfaitement adéquate" aux pratiques de l'armée française pendant la guerre d'Algérie et aux crimes commis antérieurement à partir du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata, relèvent des historiens français. Dans une contribution publiée mercredi sur son blog, l'universitaire Olivier Le Cour Grandmaison, a regretté "le silence de la France" sur les massacres du 8 mai 1945, soulignant que les "descendants de ces victimes attendent toujours la reconnaissance de ces crimes" par la France. Il a relevé, à cet égard, que "ni François Hollande (ex-président de la République française), ni Emmanuel Macron (actuel Président) ne se sont engagés dans cette voie (ndlr: reconnaissance)", rappelant à cet effet que Macron avait déclaré, au cours d'un voyage en Algérie en tant que candidat à l'élection présidentielle (février 2017) que "la colonisation était un crime contre l'humanité". Comme ses prédécesseurs, une fois installé à l'Elysée, M. Macron "s'est bien gardé de réitérer ses dires", a commenté Le Cour Grandmaison.Rappelant la reconnaissance par Macron de la mort en 1957 du militant algérien Maurice Audin "sous la torture du fait du système institué alors en Algérie par la France", ce spécialiste de l'histoire coloniale a regretté que "cet acte majeur n'a été suivi d'aucun autre", estimant qu'il s'agit d'une "classique tactique" consistant à "céder sur un point pour mieux préserver l'essentiel". Il a rappelé, dans le même contexte, les paroles de l'ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de Verdière, en 2005, à Sétif, qui avait qualifié les massacres du 8 mai 1945 de "tragédie inexcusable", puis de son successeur, Bernard Bajolet, à Guelma, 3 ans plus tard, évoquant "la très lourde responsabilité des autorités françaises de l'époque dans ce déchaînement de folie meurtrière" qui avait fait des milliers de victimes innocentes. "Depuis, aucune déclaration des plus hautes autorités de l'Etat français n'est venue confirmer ces propos", a observé Le Cour Grandmaison.Dans une tribune publiée en 2019, sur "l'aventure coloniale de la France", les intellectuels François Gèze, Gilles Manceron, Fabrice Riceputi et Alain Ruscio avaient estimé qu'il restait pour les plus hautes autorités de l'Etat français "bien des choses" à dire pour reconnaître les massacres du 8 mai 1945 en Algérie. Ils ont considéré que si le Président Emmanuel Macron ne décidait pas de s'engager "résolument" dans la voie d'une reconnaissance "pleine et entière" de ce que furent les "errements et les crimes" de la République française dans ses colonies, il "s'expose au risque de rester dans l'histoire comme celui qui aura simplement cherché à instrumentaliser, à des fins électorales, la +question coloniale+".