Soixante et un ans après les premiers essais nucléaires français en Algérie, les sites où ont été perpétrés ces crimes coloniaux ne sont toujours pas décontaminés, alors que la radioactivité ambiante y demeure toujours élevée du fait de la persistance des séquelles des radiations. A l'époque, les forces coloniales françaises avaient voulu faire croire que ces essais s'effectuaient dans des zones inhabitées et désertiques, à Reggane (Adrar) et In Ecker (Tamanrasset). Or, ces régions abritaient quelque 20 000 âmes. Ces essais ont dévoilé les procédés barbares du colonialisme français en Algérie. Le 13 février 1960, la France faisait exploser sa première bombe atomique, opération baptisée "Gerboise bleue", dans le ciel de Reggane, au Sahara, causant un désastre écologique et humain qui continue de générer des maladies dont des cancers radio-induits. Le premier essai effectué à Reggane, avec une puissance variant entre 60 000 et 70 000 tonnes de TNT explosif, équivaut à une bombe cinq fois plus puissante que celle lancée sur Hiroshima, selon des experts. Non seulement les sites où les essais ont été effectués n'ont pas été totalement décontaminés, mais les effets des radiations demeurent toujours dévastateurs et tragiques, sachant que les déchets métalliques hautement radioactifs, comme les bidons, les fûts et autres objets laissés par le colonisateur ont été utilisés par les populations, notamment les nomades, ce qui constitue un réel danger pour ces habitants. Les forces coloniales avaient également recruté des autochtones pour procéder au nettoyage des sites atomiques sans leur fournir des équipements de protection adaptée. Aujourd'hui, les populations des régions touchées par ces essais nucléaires en subissent les séquelles dans la mesure où des cas de cancer ou de malformation sont diagnostiqués chaque année, particulièrement chez les nouveau-nés. Outre l'apparition au fil des années de nouvelles maladies liées notamment au cancer, la leucémie, la cécité et les malformations congénitales, provoquées par la radioactivité, il est également relevé les stress et troubles psychologiques chroniques qui pèsent lourdement sur la vie quotidienne des populations de la région. Lire aissi : Essais nucléaires en Algérie: "la France doit assumer ses responsabilités historiques" Pis encore, il n'y a eu aucune reconnaissance de la part de la France coloniale, ni pour les victimes nucléaires, ni pour l'environnement, alors que l'Algérie est en droit d`exiger une indemnisation officielle pour ces essais nucléaires, au regard du coût de la décontamination de l`environnement. En ce sens, l'oncologiste Pr. Kamel Bouzid du Centre Pierre et Marie-Curie d'Alger avait déjà révélé que les essais nucléaires français ont provoqué pour certains des fuites radioactives ayant atteint la Tanzanie (Afrique de l'Est) et la Côte-d'Ivoire (Afrique de l'Ouest), provoquant la mort de plusieurs habitants de ces régions ainsi que de soldats français. "Les effets radioactifs engendrés continuent et continueront encore de causer des cancers, des handicaps et la stérilité", a affirmé Pr Bouzid, exigeant que "la France nettoie ces sites comme l'avait fait la Russie à Tchernobyl en 1986 et le Japon à Fukushima en 2011". En outre et selon des spécialistes, les tirs et leurs conséquences ont provoqué des nuages radioactifs, des sables vitrifiés, alors que les forces coloniales n'ont pas remis aux autorités algériennes les lieux d'enfouissement du matériel utilisés lors de ces essais. A cet effet, plusieurs associations de la société civile n'ont jamais cessé d'exiger et ce, depuis plusieurs années, "l'impérative nécessité" de prendre en charge les victimes de ces essais nucléaires ainsi que la décontamination des sites des déchets radioactifs. Dans ce sillage, l'Association du "13 février 1960" que préside Hamel Omar, porte-parole des victimes, ne revendique pas uniquement l'indemnisation financière, mais plutôt la restitution des archives sanitaires des victimes des essais dans cette région avant 1962, ainsi que les archives techniques de ces essais, ce qui permettra de suivre l'évolution des radiations nucléaires meurtrières, de délimiter les résidus et de faciliter le travail des experts et spécialistes en matière de décontamination. Cette association revendique aussi la reconnaissance par la France des crimes nucléaires commis en Algérie, notamment "l'ouverture des archives des essais nucléaires sur les sites algériens ainsi que les archives relatives aux lieux d'enfouissement des déchets". La loi Morin exclut les victimes algériennes du droit à l'indemnisation La France qui refuse de reconnaitre ses crimes nucléaires, a, en plus, privé les victimes algériennes de bénéficier de toute forme d'indemnisation dans le cadre de la loi française du 5 janvier 2010, relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dite "Loi Morin". Selon plusieurs experts et associations algériens et français, ce décret "n'a, à aucun moment, fait référence aux Algériens qui sont tout simplement exclus de la loi dite Morin". Ces mêmes experts et associations avaient plaidé pour que certains critères de la loi Morin soient revus, comme cela a été le cas en Polynésie, pour permettre enfin aux populations victimes en Algérie de déposer un dossier d'indemnisation. A la lumière des amendements apportés à cette loi en 2013, l'Association des vétérans des essais nucléaires (Aven) avait demandé à mettre en place les modalités de son application. Lire aussi : Les essais nucléaires français en Algérie, "une concrétisation littérale" de la politique de la terre brûlée Trente-deux (32) dossiers algériens de reconnaissance et d'indemnisation des victimes des essais nucléaires français dans le Sahara ont été rejetés en décembre 2012 par la commission ad-hoc mise sur pied à la faveur de la loi Morin, car jugés incompatibles avec cette dernière. Ils ont été refusés au motif que "les pathologies déclarées ne rentrent pas dans le cadre de la loi". En ce sens, l'Aven a noté que si l'ensemble de la Polynésie rentre dans la zone des essais nucléaires, rien n'a été prévu pour la modification de la zone Sahara, ce qui explique l'absence quasi-totale d'Algériens indemnisés dans le cadre de cette loi.