MUSKOKA (Canada) - Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a fait une intervention vendredi sur l'évaluation de la mise en œuvre des engagements du G8 et de l'Afrique, à l'occasion du sommet du G8, qui se tient à Muskoka, au Canada, dont voici le texte intégral: "Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Chefs d'Etat et de Gouvernement, Excellences, Mesdames et Messieurs, Le Partenariat entre le G8 et l'Afrique a maintenant près de dix ans. Sa naissance avait coïncidé avec le lancement du NEPAD et l'élaboration de l'Acte Constitutif de l'Union Africaine. Succédant à l'Organisation de l'Unité Africaine, l'Union Africaine a adapté le champ d'action, les fondements et le mode opératoire aux nouvelles réalités qui se sont fait jour en Afrique et dans le monde. C'est cette manifestation très claire par l'Afrique, à travers le NEPAD et l'Union Africaine, de sa détermination à prendre en charge ses propres problèmes et à surmonter sa marginalisation dans l'économie mondiale et les relations internationales de manière générale qui a donné une base solide à la définition de nouvelles relations de Partenariat avec le G8. Je félicite le Canada d'avoir veillé à donner le maximum de relief et de visibilité au travail d'évaluation de la mise en œuvre de ce partenariat et à notre discussion sur les conclusions de cette étude car, et le Premier Ministre Stephen HARPER le disait fort justement "avec l'engagement vient la responsabilité". Les engagements de l'Afrique sont consignés dans les plateformes de l'Union Africaine et du NEPAD. Il s'agit d'abord pour l'Afrique d'exercer un leadership effectif dans la prise en charge de son destin. Il s'agit aussi de l'engagement par l'Afrique de s'approprier son processus de développement dans toutes ses dimensions et d'abord celle de la paix, de la sécurité et de la bonne gouvernance qui sont des conditions incontournables pour la viabilité de tout processus de développement. Il s'agit en outre de l'accent mis sur des domaines de concentration prioritaire des efforts et des ressources : stabilité macroéconomique, sécurité alimentaire, diversification économique, accès aux marchés, infrastructures, nouvelles technologies de l'information et de la communication, lutte contre les pandémies, développement humain et renforcement des capacités. Et dans l'ensemble de ces domaines, l'intégration régionale et continentale est une préoccupation constante. L'Afrique est aujourd'hui en mesure de présenter un bilan très honorable des résultats qu'elle a obtenus dans les différents domaines prioritaires que je viens de citer. Je voudrais brièvement mettre en exergue quelques exemples parmi les plus significatifs. En matière de paix et sécurité, l'Afrique s'est dotée d'une architecture de paix et sécurité couvrant les aspects prévention et gestion des conflits et des crises et le maintien de la paix. La création de la Force Africaine en Attente progresse de manière satisfaisante. C'est de plus en plus l'Afrique qui exerce le leadership dans la solution des crises sur le continent, les partenaires extra-africains étant seulement appelés à soutenir les efforts qui restent proprement africains. Dans le domaine de la gouvernance, la majorité des gouvernements en Afrique sont issus d'élections pluralistes et transparentes et l'Union africaine rejette fermement l'accès au pouvoir par des voies non constitutionnelles. En outre, le Mécanisme Africain d'Evaluation par les Pairs est un Mécanisme unique au monde pour promouvoir la culture de la bonne gouvernance grâce aux échanges entre Chefs d'Etat et à l'implication la plus large de la société dans le processus d'auto-évaluation et dans la mise en œuvre des plans d'action subséquents. Ce Mécanisme, d'essence volontaire, a vu jusqu'à présent l'adhésion de trente pays dont une douzaine ont déjà fait l'objet d'un processus d'évaluation complet et d'une revue par le Forum des Chefs d'Etat qui est l'instance suprême du Mécanisme. J'ajouterai que l'Afrique a adopté une série de Conventions qui visent à placer l'Afrique au niveau des standards universels en matière de démocratie, d'élections, des droits de l'Homme et de lutte contre la corruption. Il est indéniable que l'ensemble de ces efforts dénotent le sérieux de l'Afrique à faire face aux défis de la paix et de la sécurité, et de la bonne gouvernance. Dans le domaine économique, les experts qualifient de plus en plus l'Afrique comme un nouvel espace pour l'investissement et la croissance de l'économie mondiale. Ceci est dû non seulement aux importantes ressources naturelles dont dispose le continent, mais de plus en plus aux progrès réalisés en matière de gestion économique. C'est grâce à des années d'efforts et d'assainissement des politiques monétaires, budgétaires et financières que le cadre macroéconomique a atteint une bonne stabilité dans nombre de pays africains. C'est, d'ailleurs, cette stabilité qui a permis aux pays africains d'échapper à la vague de récession que la crise de 2008-2009 a propagée à travers le monde. Longtemps négligé, le secteur agricole a retrouvé une croissance modérée, qui devrait s'accélérer à la faveur du programme intégré de développement agricole élaboré en coopération entre le NEPAD, l'Union Africaine et la FAO. Nous avons déjà évoqué au cours de notre débat sur le précédent point de notre ordre du jour les progrès réalisés par l'Afrique dans certains domaines importants pour la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement: progrès en matière de généralisation de l'éducation pour tous les garçons et les filles d'âge scolaire, progrès de la couverture vaccinale et stabilisation de la prévalence du VIH/Sida. En tout état de cause, les pays africains ont mobilisé des moyens importants pour faire face aux défis de la santé et de l'éducation. S'agissant de l'intégration régionale et continentale, d'importantes Institutions ont vu le jour : le Parlement Panafricain, la Banque Africaine d'Investissement, l'Université Panafricaine. En outre, de nombreux projets d'infrastructures à vocation d'intégration ont été identifiés dont certains en cours de réalisation, voire en voie d'achèvement comme c'est le cas pour la route transsaharienne Alger-Lagos. En outre, les Communautés économiques régionales se renforcent et certaines, comme la SADC et la CEDEAO, sont extrêmement dynamiques. Je n'ai fait que survoler très rapidement quelques-uns des acquis que l'Afrique a réalisés avec sa dynamique propre ainsi qu'avec l'appui de ses partenaires, dont ceux du G8. Ce qui est clair, c'est que l'Afrique aurait pu progresser encore plus vite dans certains domaines si elle avait reçu tout l'appui qu'elle attendait et qui lui avait été promis. Si l'on prend l'exemple du G8, l'analyse des données qui nous ont été fournies montre que certains de ses membres ont atteint, voire dépassé leurs engagements et méritent nos éloges. Nous souhaitons que les autres partenaires puissent également honorer rapidement leurs engagements. De plus, s'il est relativement facile de mesurer en termes de pourcentage du PIB la performance d'un pays en matière d'aide publique au développement, l'exercice se révèle plus ardu quand il s'agit d'évaluer les apports aux initiatives spéciales lancées par plusieurs Sommets du G8. Comment déterminer s'il s'agit véritablement de ressources additionnelles ou d'une simple réaffectation d'une portion des ressources de l'Aide Publique déjà budgétisée ? Toutefois, indépendamment de ces interrogations, certaines conclusions sont très claires : - La première a trait au volume de l'Aide Publique au Développement de l'Afrique. Le Sommet de Gleneagles (2005) avait promis d'augmenter l'Aide Publique au Développement destinée à l'Afrique de 25 milliards de dollars par an à l'horizon 2010. Selon l'OCDE, cette augmentation n'atteindra cette année que 7,6 milliards de dollars, soit 17,4 milliards de moins que le niveau décidé par le G8 à Gleneagles. - La deuxième conclusion a trait à l'insuffisante adaptation de l'orientation de l'aide aux priorités du NEPAD et des pays bénéficiaires. C'est ainsi par exemple que l'agriculture est le parent pauvre de l'aide. Ses infrastructures ont été négligées au motif que le secteur privé était le mieux indiqué pour y investir. - La troisième remarque est l'impact négligeable que l'assistance a eu sur le développement des capacités nationales des pays bénéficiaires. La conception de l'aide est otage des procédures et normes des pays donateurs, elle contourne les systèmes nationaux et contribue donc très peu au transfert de savoir-faire et au renforcement des Institutions des pays récipiendaires. Nous estimons aujourd'hui que l'Aide Publique au Développement, pour être efficace et atteindre effectivement les objectifs qui lui sont assignés, a besoin d'être repensée de manière à l'adapter aux priorités du NEPAD qui s'inscrit dans le cadre du développement du continent. D'autres questions fondamentales abordées par le Partenariat n'ont pas connu d'avancée notable : - En matière de financement du développement, beaucoup d'espoirs étaient fondés sur l'expansion des exportations africaines et l'accès aux marchés des pays développés. Ces ressources étaient censées remplacer progressivement l'Aide Publique au Développement. Or, les négociations du cycle de Doha des négociations commerciales multilatérales sont toujours dans l'impasse. - Les investissements directs étrangers des pays du G8 n'ont pas atteint le rythme escompté. Surtout, ils ont très peu contribué à la création de valeur ajoutée au profit des pays d'accueil en transformant sur place les ressources naturelles et les matières premières. Monsieur le Président, Pour rompre avec sa marginalisation dans la conduite des affaires du monde, l'Afrique ambitionne légitimement de s'impliquer activement dans la gouvernance mondiale. Le Partenariat G8/Afrique garde évidemment toute sa pertinence sur les questions liées au développement, la paix et la sécurité. La tenue successivement cette année des Sommets du G8 et du G20 est une opportunité pour réaffirmer notre appel à un élargissement du G20 qui prenne en compte les ambitions légitimes de l'Afrique. L'Afrique s'estime, à cet effet, en droit d'être représentée de manière juste et équitable au G20 à travers certains de ses membres afin qu'elle soit partie intégrante de ce Forum qui a désormais la charge de la gouvernance mondiale et de participer pleinement à tous les processus de concertation, de négociation et de prise de décision. L'évaluation de notre Partenariat doit être un processus structuré qui permette un suivi régulier des résultats, des lacunes ou des retards. Je suis persuadé que nous pouvons revitaliser et donner encore plus d'efficacité à ce Partenariat. Il nous faudra pour cela prêter l'attention nécessaire non seulement aux montants de l'aide fournie, mais aussi à la création des conditions de base d'un développement soutenu de l'Afrique, conformément à sa volonté de baser le Partenariat sur l'égalité et les avantages mutuels. Je vous remercie de votre attention".