Les rares acteurs encore de ce monde de l'offensive du 20 août 1955, lancée dans le Nord-Constantinois par le chef de la wilaya II, sont des octogénaires qui gardent, 55 ans après, des souvenirs intacts malgré le passage des années. Parmi ceux-ci, le Moudjahid Maazouzi Boulaid, de Zighoud-Youcef (Condé-Smendou à l'époque), surnommé "le démocrate" au maquis, rapporte dans un entretien avec l'APS, qu'après avoir rejoint les rangs de la Révolution en avril 1955, il participera avec un groupe de 35 volontaires, à la protection de l'attaque de la ville d'El Milia, en bloquant la route entre les localités de Settara et Boudouka où un véhicule des PTT a été arrêté, le courrier saisi et le conducteur éliminé. Pendant toute la journée du 20 août 1955, aucun renfort n'est passé par cet axe routier, ce qui a permis aux Moudjahidine d'attaquer les intérêts des colons dans la localité d'El Milia où l'offensive avait pris une ampleur importante, à l'instar de Skikda, Ain Abid, El Khroub où la répression a été particulièrement féroce. Un secret bien gardé Si Maazouzi Boulaid rappelle que le chef de son groupe était Saidani Amor, mais il ignore s'il avait pris part à la réunion de Zamane où Zighoud Youcef et ses compagnons ont préparé l'offensive car, souligne-t-il, le secret était gardé et le cloisonnement observé de la façon la plus rigoureuse, pour assurer le succès d'une opération aussi vaste, qui risquait d'être étouffée par l'ennemi, si la moindre information lui parvenait. Le lendemain, 21 août, le même groupe a pris la direction d'El Milia dans l'intention de prêter main forte aux combattants, mais les blindés de l'armée française occupaient déjà la ville. Au cours du repli, les Moudjahidine qui avaient tenté d'incendier un dépôt de liège, ont eu des morts et des blessés dans leurs rangs. Il se souvient du Chahid Zidane Guellil, tué par l'aviation prés de Mechat. Pour sa part, le Moudjahid Gherbi Aissa, né en 1922, a pris part à l'attaque du 20 août 1955, à Zighoud Youcef. "A la veille du 20 août 1955, raconte-t-il, nous avions rencontré Zighoud Youcef à El Kerma". Il était accompagné de cheikh Boulaares et de Bachir Boukadoum. "Les chefs de la Révolution nous avaient ordonné de mobiliser un homme dans chaque famille, ce qui nous avait permis de disposer de plus de 300 Moudjahidine et Moussebels pour attaquer Condé Smendou", rapporte Si Gherbi Aissa qui souligne que des insuffisances en matière d'organisation ont toutefois limité l'impact de cette opération, alors qu'il y a eu 25 Chouhada parmi les combattants. Le moudjahid Brahim Ayachi est l'un des rares Moudjahidine encore en vie à avoir rencontré Zighoud Youcef à Zamane, la veille du 20 août 1955. Natif de la région de Skikda, en 1928, il a été chargé de l'attaque de la mine de Filfila, avec pour mission de s'emparer des explosifs entreposés dans la poudrière et des médicaments de l'infirmerie. Des mineurs sétifiens, "nourris" par le 8 mai 1945 "Il y avait beaucoup de travailleurs qui étaient venus de Sétif s'établir à Filfila avec leurs familles, pour travailler à la mine. Les Sétifiens étaient tous profondément marqués par les massacres du 8 mai 1945. Leurs récits faisaient grande impression sur nous et ils s'ajoutaient aux témoignages des appelés originaires de Skikda qui ont rapporté beaucoup de détails sur la répression", se souvient cet octogénaire. "C'est Khezzouz Tahar qui me met en contact avec Zighoud Youcef. Les premiers ordres reçus de Zighoud Youcef étaient de constituer une cellule, de se procurer des explosifs, des armes et des munitions et d'attendre lorsque nous avons rencontré Zighoud Youcef pour la première fois, à Zamane, c'était pour préparer le 20 août 1955. Zighoud Youcef explique d'emblée, poursuit Si Tahar, qu'il faut "briser le siège qui étrangle les Aurès et Chihani Bachir". Zighoud Youcef "a renforcé mon groupe avec deux éléments de valeur, Amor Talaa, dit Amor Leksentini, et Mohamed Mokrane qui était de Jijel, un repris de justice volontaire et courageux". Le 19 août au soir, ce Moudjahid appelle Bouhadja Youcef pour constituer les groupes en leur affectant cinq fusils. Pour la carrière de marbre, c'est Brahim Ouichaoui et Mohamed Khezzouz qui sont désignés avec 20 moussabels. "Le deuxième groupe confié à Amira Ammar et Mohamed Mokrane devait organiser une embuscade, Route de Skikda, et couper les poteaux du téléphone", rapporte Si Tahar qui ajoute que le troisième groupe était dirigé par Ali Bouhadja avec des moussebiline, "pour attaquer les ateliers du chemin de fer, une opération qui fera trois morts". Carbonisée avec son bébé "Le quatrième groupe est dirigé par Brahim Ayachi, avec 5 fusils et 20 hommes. Cinq hommes sont postés pour une embuscade, les 15 autres se dirigent vers le dépôt de dynamite". Une demi-heure après, Amira Ammar remonte vers la mine, il est tué par les Français qui étaient tous armés et tiraient sur tout ce qui bougeait. Une balle de 8mm l'atteint au cœur, on l'enterre, ensuite ça tourne mal. Des tirs croisés et nourris barrent la route de part et d'autre, impossible de passer. Les familles des travailleurs, les mineurs sétifiens, n'étaient pas informés de l'attaque. Une vingtaine de femmes, qui ont sans doute vécu les événements du 8 mai 1945 à Sétif, sortent spontanément en lançant des youyous pour encourager les moudjahidine. L'une d'elles s'en prend à son mari : "-vas combattre, ne rentre pas à la maison". L'homme me demande ce qu'il doit faire. Va mettre le feu dans la meule de foin, lui dis-je", raconte Si Tahar, passionné par son récit. "Nous avons récupéré 36 caisses de cheddite, 2500 détonateurs, 10 rouleaux de mèches de 100 mètres et tout l'équipement du centre de santé", ajoute-t-il, dissimulant mal sa fierté. Le soir, les soldats arrivent. Dans les gourbis, les femmes sont attaquées au lance-flamme, l'une d'elles est carbonisée avec son bébé. Les fuyards sont tués, on les poursuit jusqu'à Azzaba. Ils vont jusqu'à la Marsa où le caïd Boumrah les avait protégés. Jusqu'au 30 septembre, les renforts affluent en direction de Skikda, l'étau se desserre sur les Aurès. Une flamme ardente et encore plus impétueuse illumine la Révolution, au firmament de la Liberté.