Entre cabaret louche, théâtralité rock et blues de bastringue, Tom Waits a plongé les spectateurs du Grand Rex dans son univers au goût de bourbon et de cigarettes, jeudi soir, lors du premier de ses deux concerts prévus à Paris dans le cadre de sa tournée « Glitter and Doom ». Plus qu'un simple concert, il s'agit presque d'un spectacle théâtral dont l'Américain de 58 ans est le point central. Chapeau melon noir et costume trois-pièces, Waits a tout à la fois l'air d'un monsieur Loyal, du prêcheur fou du film La nuit du chasseur, d'un croque-mort et d'un tenancier d'hôtel borgne. Juché sur une petite estrade d'où s'échappe un nuage de poussière à chaque fois qu'il tape du pied, il gronde, grogne, joue constamment de sa voix, incroyablement grave et rocailleuse et de ses attitudes emphatiques de comédien grand-guignolesque. En retrait, surplombés par une collection de mégaphones, ses cinq musiciens (guitare, contrebasse, claviers, saxophone, harmonica, accordéon...) passent sans ciller du blues au folk, de la rumba au jazz, du cabaret façon Kurt Weill au folklore d'Europe de l'Est. Car l'œuvre de Tom Waits brasse toutes ces influences, saupoudrées de surréalisme macabre. La liste des chansons révèle un équilibre entre les différentes périodes de sa carrière. Parmi elles, on remarque Rain dogs, Falling down (qui figure sur l'album de reprises récemment signé par l'actrice Scarlett Johansson), All the world is green, I'll shoot the moon, Waltzing Matilda, November ou Hang down your head. Parfois, Waits se prête à de drôles de pantomimes. Sur Eyeball kid, il fait mine de s'enlever un œil et de le jeter sur le public comme une balle en caoutchouc, alors que ses musiciens imitent le bruit. Puis, il troque temporairement son chapeau contre un autre, à facettes, qui réfléchit la lumière comme une boule disco. Il entrecoupe certaines chansons d'histoires bizarres où l'on croise des gens qui s'étouffent avec des arêtes, des singes qui fument ou des insectes qui s'entre-dévorent en copulant. Au milieu du concert, il ménage un moment de calme : il quitte son estrade et s'installe au piano pour quelques morceaux, parmi lesquels Innocent when you dream, dont le refrain est repris par la foule comme un chant de marins.