Homonyme de l'autre cité prospère havre de paix de la jet set algéroise Sidi Fredj de Souk Ahras est classée parmi les cinq communes les plus pauvres d'Algérie. Ses 7500 habitants se débattent depuis des décennies dans de sérieux problèmes liés au manque d'eau potable, à l'enclavement de ses 18 mechtas, au chômage endémique concernant plus de 60% de la population et à une foultitude de contraintes vécues au su des rédacteurs des bulletins annuels de bonne santé. On y a échafaudé plusieurs projets de relance dont les résultats sont encore médiocres et les actions d'aide à la population, annoncées par les représentants de l'Union européenne (UE), se conjuguent toujours au futur. A Koudiat El Aâssa, El M'daouer, Djeguagua et El Madjene, des dizaines de familles vivent dans la précarité et l'isolement. Le chef-lieu de la commune, les bourgs de Fidh Ezzeder et Krouma s'accommodent, quant à eux, des pannes intempestives d'alimentation en eau potable, les citoyens sont contraints de s'approvisionner depuis les sources lointaines à raison de 1 000 DA le baril, transporté par un tracteur loué pour la circonstance. Une fontaine romaine qui assurait naguère 60% des besoins de la commune a subi l'irréversible avancée du béton, qui l'a transformée en vestige sans vie. « Hormis la réfection de la route qui mène vers El Ouenza via Sidi Fredj, rien n'a changé depuis des décennies », ne cesse de marteler l'un des passagers qui nous accompagne depuis Merahna, à bord d'une Peugeot 404 conduite par un « clandestin ». Arrivés à destination sous un soleil de plomb, nous nous dirigeons vers un commerce où se trouvent attablés des hommes d'âges différents. Tout près, des jeunes sont allongés sur un talus, à la mexicaine ; un vendeur de pastèques au calibre douteux invite les quelques passants à acheter, quatre fruits pour 50 DA. Après les présentations et les quelques propos d'usage, à notre question de savoir s'il y a un « trabendo » de combustible dans la région, l'aîné du groupe répond d'emblée : « Nous vivons tous de ce commerce qui nous permet juste de subsister dans une commune où les débouchés sont inexistants, sur une terre où toute culture est impossible à cause de l'aridité du sol et de la rareté des sources. » Nous apprendrons, plus tard, que le baril de 200 litres de mazout est cédé, de l'autre côté de la frontière, 1000 dinars tunisiens. Nos voisins revendent ce carburant à leurs compatriotes 6 à 7 fois le prix d'achat. Les deux parties préfèrent parfois le troc à l'opération vente-achat : on échange du mazout contre du sucre, du café, des pâtes, voire de l'eau en période de pénurie. Zelassi Youcef, un « compressé » de l'ex-souk el fellah converti à l'agriculture depuis 17 ans, nous invite à constater, de visu, les dégâts causés par l'absence de système d'irrigation fiable. Plus de 500 arbres fruitiers, rien que pour le périmètre indiqué, sont menacés. S. Amara est notre deuxième interlocuteur ; la trentaine dépassée – il en fait moins à cause de son corps frêle et de son ardeur juvénile – il nous lance à son tour : « Des dizaines de jeunes ont quitté Sidi Fredj à cause du chômage et de la misère. Ils sont pasteurs à Merahna, à Sakiet Sidi Youcef, à Souk Ahras et dans les zones rurales de Annaba. Croyez-vous qu'ils auraient quitté leurs parents et amis s'ils avaient le choix ? Le chômage est à 95% dans cette commune et les quelques entreprises privées du bâtiment, que l'on dit pourvoyeuses d'emploi, proposent un travail de forçat pour 300 DA/jour, payés à doses homéopathiques, sinon réduits de moitié. » Notre troisième interlocuteur dira, à propos de la classe politique, des députés en particulier : « Ils vous promettent monts et merveilles lors des campagnes électorales et puis, on déchante dès l'annonce des résultats du scrutin. Ni logement, ni emploi, ni eau, ni transport…Cinq ans et rebelote. On renoue alors avec les bains de foule, les discours grandiloquents, les couffins et les gadgets pour les enfants. » Un nom et un non-lieu... Les habitants de Sidi Fredj se plaignent également de l'absence de moyens de transport, du manque de structures de jeunesse et du déplacement vers la lointaine commune de Taoura pour s'acquitter des redevances d'électricité ; la prise en charge médicale se limite au passage, tous les huit jours, d'un médecin de Souk Ahras,. Nous avons été surpris, avant d'être reçus par Bekhouche Nacer, le président d'APC de Sidi Fredj, par l'état de délabrement dans lequel se trouve son siège : portail branlant, plantes ornementales déracinées et bordures défoncées donnent l'image d'une bâtisse abandonnée. Plutôt réservé et peu prolixe au début, le maire deviendra loquace en abordant l'épineuse question de l'AEP : « Le problème est totalement résolu dans 13 mechtas ; les hameaux enclavés tels que Fedj Edhib, Krouma et Fidh Ezzeder connaîtront incessamment le même sort. Nous mobilisons quotidiennement deux tracteurs et un camion-citerne d'une capacité 6500 litres pour alimenter les zones où cette denrée vitale se fait rare. Ouled Abbès, une mechta qui faisait autrefois partie des points noirs, est actuellement alimentée en eau potable, sans ruptures, depuis El Ouenza dans la wilaya de Tébessa. » S'agissant des projets de la commune dans le domaine, M. Bekhouche annoncera la désignation d'un expert appelé à la rescousse pour la réhabilitation de la fontaine romaine et la réalisation, l'année prochaine, dans le cadre du programme des Hauts-Plateaux, de six bassins d'irrigation avec leur équipement, au profit des fellahs. Une enveloppe de 35 millions de dinars, allouée à l'APC dans le cadre du plan communal de développement (PCD) est destinée à la réalisation de six routes pour le désenclavement de certaines régions, à celle d'un parc communal et à l'aménagement du siège de l'APC. Pour le renforcement de l'activité pastorale, il est prévu l'octroi de 42 ovins à des familles défavorisées. M. Bekhouche fustigera, dans la foulée, le programme d'aide annoncé dans le cadre de l'UE, qu'il qualifie d'ailleurs de « leurre et d'activités douteuses ». Les promesses d'attribution de deux bus et d'un hôpital ambulant sont restées au stade du discours propagandiste. Par ailleurs, il ne tarira pas d'éloges sur les services de la DTP et ceux de l'hydraulique pour des projets que les citoyens, dehors, n'arrivent à situer ni dans l'espace ni dans le temps. Nous quittons Sidi Fredj avec la ferme conviction que ses habitants sont plus vulnérables qu'on le disait...