Depuis que le président Bouteflika avait lancé l'idée de l'amnistie générale comme ultime étape du processus dit de « réconciliation nationale » entamé sous son premier mandat, les partis politiques et les organisations du mouvement associatif qui « gravitent » dans le giron présidentiel ont investi le terrain pour, nous dit-on, expliquer la portée de ce projet politique. Les meetings organisés à un rythme soutenu par ces différents relais sont tellement bien mis en évidence dans les journaux télévisés de l'ENTV qu'il est difficile de ne pas voir là une partition bien réglée dont la musique et les paroles sont conçues dans l'antichambre du pouvoir. Et pourtant à bien lire et relire les propos du président de la République sur l'amnistie, force est de constater que le projet en question demeure encore à l'état néonatal. Le président Bouteflika a lancé dans le débat public une idée, un projet politique dont il n'a pas caché qu'il lui tenait particulièrement à cœur en explicitant la démarche qui le sous-tend puisqu'il s'est engagé à organiser un référendum populaire sur la question mais sans rien révéler de son contenu. Ce serait faire un faux procès à Bouteflika que de penser qu'il n'a pas une idée précise de ce qu'il compte faire, autrement dit qu'il fait dans l'improvisation dans la gestion de ce dossier. On pourrait en revanche légitimement lui reprocher d'entretenir (délibérément ?) le flou sur les personnes, individus ou groupes, que cible son projet d'amnistie. L'amnistie concerne-t-elle les terroristes repentis ayant déjà fait l'objet d'une condamnation par la justice ainsi que les terroristes les plus irréductibles qui sont encore en activité et que l'on espère arriver à convaincre à déposer les armes à travers une telle mesure après avoir échoué à les faire revenir à de meilleurs sentiments à travers l'arsenal législatif mis en place jusqu'ici ? Le champ d'application du projet d'amnistie du président de la République est-il plus vaste que ne le suggèrent les propos très mesurés tenus par Bouteflika sur le sujet, propos qui ont laissé la porte ouverte à toutes les spéculations au point où certains n'ont pas hésité à user de raccourcis en laissant croire que les prisons vont être tout bonnement vidées de leurs occupants sans considération de la nature du délit. Nul ne le sait. Seul le président de la République qui a la paternité du projet doit savoir, du moins on l'espère, de quoi il retourne. Pour le moment tel que le débat est engagé, l'opération prend toutes les allures d'un ballon-sonde destiné à jauger la réaction de la population par rapport à ce dossier controversé qui a ses partisans mais aussi ses adversaires les plus résolus. Ces derniers ne se comptent pas uniquement parmi les familles des victimes du terrorisme mais aussi dans les rangs de toutes les forces de progrès qui se sont dressées contre la barbarie et l'instauration d'un Etat théocratique. Tel que le dossier est en train d'être ficelé, c'est-à-dire en imprimant au débat une linéarité qui ne laisse aucune place aux voix discordantes de s'exprimer comme l'aurait voulu tout débat libre, respectueux de la pluralité des opinions qui traversent une société libre et libérée, les objectifs d'une telle initiative n'apparaissent que plus clairs. A force de persuasion sur les vertus de la réconciliation qui sont assurément des valeurs largement partagées lorsqu'elles ne sont pas fondées sur la réparation d'une « injustice » ou ce qui est supposé comme telle par un autre déni de justice autrement plus dévastateur, on tente de convaincre l'opinion qu'il n'y a pas d'autre salut pour l'Algérie que de passer l'éponge sur cette page sombre de l'histoire du pays que l'on cherche carrément à déchirer. Comme si tout ce que le peuple algérien avait vécu durant toutes ces années de larmes et de sang n'était qu'un mauvais cauchemar qu'il fallait vite oublier. Le plus regrettable dans la gestion politique de ce dossier dans sa phase actuelle de maturation, c'est que l'on cherche à vendre à l'opinion beaucoup plus un emballage dont on a bien soigné la présentation en vantant les mérites et les vertus civilisationnelles de la réconciliation et ses retombées positives sur la normalisation du pays sans que l'on sache ce qui se cache à l'intérieur. La démarche s'apparente à proprement parler à de la publicité mensongère ou fictive. Et comme toute publicité qui s'exerce dans une situation de monopole, le projet d'amnistie se donne l'apparence d'une vérité absolue devant laquelle tout un chacun devra s'y plier. Faut-il alors s'étonner de voir toutes ces voix clientélistes monter subitement au créneau à longueur de meeting pour appeler les citoyens à adhérer massivement au projet d'amnistie lancé par le président de la République tout en ignorant tout des tenants et des aboutissants de cette initiative en dehors de ses considérations générales et génériques autour desquelles on tente de mobiliser la population ? Autant dire que dans ce projet très sensible de par les enjeux qu'il sous-tend pour la préservation de la cohésion sociale déjà bien fragile - les blessures et les meurtrissures de ces années de terrorisme sanglant sont encore très fraîches - on évolue à tâtons, sans boussole. On connaît la finalité proclamée du projet d'amnistie mais pas le prix que la société est appelée à payer ou qu'on veut lui imposer même en empruntant le chemin du droit supposé inattaquable : la voie référendum. Car que vaut le résultat d'un référendum lorsque, pendant des mois, l'opinion est soumise à un discours ambiant dominant allant dans le sens du discours officiel présenté comme l'unique voix de salut pour l'Algérie en vue de réconcilier les Algériens entre eux.