Le projet sur l'amnistie générale évoqué par le président Bouteflika avant que les partis de l'Alliance présidentielle et autres organisations de la société civile qui gravitent dans le giron du Pouvoir ne s'emparent du dossier pour lancer une campagne avant l'heure serait-ce un simple ballon-sonde pour jauger les prédispositions de l'opinion publique par rapport à cette initiative politique particulièrement sensible ? Alors que la campagne bat son plein et que l'on pensait que la cause était entendue, voilà que le président Bouteflika vient d'un revers de la main, au détour d'une phrase qui se veut tout un programme, remettre les compteurs à zéro. « J'attends que les plaies soient cicatrisées et les cœurs apaisés », a lancé le chef de l'Etat. Il n'hésitera pas à l'occasion à puiser dans une sémantique que l'on croyait bannie de son vocabulaire. « C'est le peuple algérien qui va venger les victimes », a-t-il soutenu. Faut-il interpréter cette mise au point de Bouteflika comme une reculade par rapport aux engagements pris sur ce dossier qui ne fait pas le consensus non pas au plan du principe à proprement parler, mais sur la manière de le conduire qui confine à mettre sur un pied d'égalité le bourreau et la victime ? Les réactions plutôt fermes et sans concession des organisations des familles victimes du terrorisme par rapport au projet d'amnistie et aux velléités d'absoudre purement et simplement les terroristes de leurs ignobles forfaits ont-elles pesé dans le recentrage que semble avoir opéré Bouteflika sur cette question qui divise la société ? A bien décoder le message du chef de l'Etat, on en déduit que le projet d'amnistie dans son fondement en tant qu'ultime étape du processus de réconciliation nationale n'est certes pas remis en cause, mais différé dans sa mise en œuvre. Les conditions psychologiques pour la concrétisation d'un tel projet ne semblent pas encore réunies pour franchir le pas : c'est le président Bouteflika lui-même qui fait ce constat en relevant que les plaies sont encore ouvertes et que les esprits ne sont, par conséquent, pas encore préparés pour pardonner. D'autant que certains milieux ont œuvré dans le sillage de ce projet à forcer la main au Pouvoir à l'ombre d'une campagne menée tambour battant pour conférer à la notion d'amnistie une portée générale en dépouillant la justice de ses prérogatives en matière de poursuite des auteurs de crimes. Le moins que l'on puisse dire est que cette sortie de Bouteflika sur ce dossier a certainement surpris tous les acteurs politiques et représentants des organisations de la société civile qui se sont pleinement investis dans cette opération et dont on disait qu'ils étaient en mission commandée pour le compte de Bouteflika. De leur côté, les associations des victimes du terrorisme ne s'attendaient pas à un tel revirement du chef de l'Etat avec le rouleau compresseur qui s'était mis en marche. Ces associations n'ont pas eu le droit à la parole et aux faveurs de l'Entv pour exprimer leurs positions sur ce dossier contrairement aux défenseurs de l'amnistie qui ont élu domicile à la télévision. Il faut dire que dans la gestion de ce dossier, Bouteflika s'est montré très prudent avançant à tâtons, connaissant les enjeux qu'il renferme. Il n' y a eu aucun engagement officiel de sa part si ce n'est d'en référer au peuple algérien par voie référendaire. On a pourtant du mal à croire que la campagne lancée autour de ce projet n'a pas la bénédiction de Bouteflika lorsque l'on voit les largesses et facilités en termes de médiatisation dont bénéficient les organisations qui portent ce projet. Implicitement, Bouteflika semble pourtant se démarquer de la démarche de ces organisations qui poussent à la roue. Certains observateurs voient dans la mise au point faite par Bouteflika devant les syndicalistes sur le dossier de l'amnistie une forme de pression sur les groupes terroristes encore en activité qui refusent de déposer les armes. On avait parlé de tractations secrètes menées avec ces groupes dans le cadre du projet d'amnistie. La fermeté des propos de Bouteflika par rapport à ce dossier laisse-t-elle alors supposer qu'il n' y a plus rien à négocier face à ces groupes radicaux ou bien faut-il y voir derrière une stratégie du Pouvoir visant à faire monter les enchères et à négocier leur reddition en position de force en s'abritant derrière la vox populi ?