Une étude de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture vient de confirmer une réalité déjà bien visible : les habitants des pays du pourtour méditerranéen ont abandonné leur régime alimentaire ancestral, à base de légumes frais et de fruits, et mangent actuellement « trop gras, trop salé et trop sucré ». D'après l'économiste de la FAO, Josef Schmidhuber, auteur de l'étude, au cours des 45 dernières années, le régime alimentaire méditerranéen, connu pour maintenir en bonne santé et favoriser la longévité, a été peu à peu délaissé par les populations d'Europe méridionale, d'Afrique du Nord et du Proche-Orient. L'étude souligne que les taux élevés de cas de personnes en surpoids et obèses ne se limitent pas aux pays méditerranéens européens (Grèce, Italie, Espagne, Portugal) et rappelle ce que l'OMS dit depuis deux ans : les économies émergentes sont de plus en plus touchées. Parmi elles, l'Algérie. Un constat corroboré par les derniers chiffres de l'Institut national de santé publique, puisque 21% des plus de 35 ans sont obèses et 56% sont en surpoids. Comment en est-on arrivé là ? Comment notre alimentation est-elle devenue responsable des principaux problèmes de santé publique du pays ? L'éclairage de deux spécialistes. Nous bougeons de moins en moins « Les Algériens ont changé de régime parce qu'ils ont changé de société », explique Hamid Brahimi, médecin acupuncteur et spécialiste en rééducation alimentaire. Habiter en ville suppose un train de vie accéléré, ce qui se répercute sur le mode et le temps de préparation des repas. « On mange davantage de plats qui cuisent vite, comme les fritures par exemple. Par ailleurs, on ne travaille pas toujours près de son domicile. Le repas de midi se prend souvent dans un fast-food où l'alimentation est très grasse, très salée, très sucrée… tout ce qui nuit à la santé, relève-t-il. De plus, la citadinité rime souvent avec l'hypersédentarité. On utilise souvent des transports pour se déplacer, donc on se dépense moins, d'où risque de surpoids. » Comme le précise le professeur Leïla Houti, épidémiologiste à la faculté de médecin de Sidi Bel Abbès, responsable de la partie nutrition et activité physique dans l'étude Tahina : « Il faut retenir que le problème de l'alimentation n'est que l'arbre qui cache la forêt. Derrière, il y a tout le problème du mode de vie et de la qualité de vie. La qualité de vie d'une population conditionne son état de santé et sa force de travail. L'Etat doit prendre conscience de la facture de santé, appelée à prendre des proportions plus grandes au vu des fréquences élevées de l'obésité, de l'hypertension artérielle et du diabète dans la population. S'attaquer à l'alimentation des Algériens, c'est aussi s'attaquer à leur mode de vie et se poser la question : quel Algérien prépare-t-on pour demain ? » Le pétrole finance la mal-bouffe D'après l'étude de la FAO, les exportations massives d'hydrocarbures ont financé les importations de glucides bon marché. La disponibilité des devises obtenues par les exportations de gaz et de pétrole a permis d'acheter toujours plus de produits alimentaires de l'extérieur, au point que les pays pétroliers sont les premiers importateurs d'aliments dans le monde, en termes de quantités. Mais ces importations sont axées sur des aliments disponibles, rapides et pas chers : essentiellement des céréales et des sucres. « On est passé de la malnutrition à une surnutrition de mauvaise qualité, résume l'épidémiologiste. Avant la libéralisation économique, l'Algérie avait fait des choix en matière de santé qu'elle a abandonnés aujourd'hui. » L'absence de politiqueagricole rend les fruits et les légumes chers « La production alimentaire intérieure a été de plus en plus restreinte par la limitation des ressources naturelles, terres et eau, peut-on lire dans le rapport. La Méditerranée a déjà exploité 90% de ses terres agricoles et 65% de ses ressources en eau. » Résultat : les pays produisent peu pour la demande intérieure. Et la rente pétrolière n'a fait qu'aggraver la situation. « En Algérie, aucune politique agricole ne permet de garantir l'accès de la population aux fruits et légumes, trop chers pour les ménages ni même à l'huile d'olive, un des marqueurs les plus importants du régime méditerranéen, note Leïla Houti, alors que notre pays était autrefois un grand producteur ! » Nos revenus ont augmenté Comme à chaque fois que les revenus augmentent, le régime alimentaire s'enrichit en glucides. Les populations des rivages de la Méditerranée ont utilisé leurs revenus plus élevés pour ajouter un grand nombre de calories issues de la viande et des graisses à un régime alimentaire qui était traditionnellement léger en protéines animales. « Nous nous sommes ‘westernisés', ajoute la spécialiste. Pour manger ‘moderne', il faut consommer hamburgers et sodas. Voilà comment nous avons dérapé du régime sain de nos grands-parents à un régime complètement nocif pour la santé. En Europe, les cafétérias diététiques fleurissent. Ici, quand un jeune s'installe à son compte, il monte un fast-food ou une pizzeria. L'Etat ne l'encourage pas à développer une autre activité. C'est ainsi que l'on favorise un mode alimentaire à l'américaine. »