Khraïcia, ce n'est pas seulement ces terres à perte de vue, mais aussi une histoire. Celle, glorieuse, de la famille El Hedjim qui ont accueilli une réunion des activistes du FLN en juillet 1954. Cette réunion importante à laquelle a pris part une partie du premier noyau du FLN s'est déroulée dans les murs de leur ferme entourée par les grandes propriétés du gros colonat. Toute la famille qui « constituait à elle seule une cellule », comme en a connu l'organisation spéciale OS, a participé à cet effort de l'avant-guerre. Les six enfants du patriarche, Si El Bachir, n'ont ménagé, à cet effet, aucun effort. Il ne reste que Ammi Abdelkader, toujours vigoureux et la poigne toujours aussi dure que lors des premiers jours de l'insurrection. La ferme a servi de refuge et de centre de formation pour les responsables de la guérilla « en devenir ». C'est là, également, plus précisément dans les écuries, que s'activaient les artificiers du FLN. Les bombes qui devaient servir dans les attentats de Boufarik et de la centrale à gaz du Hamma y étaient entreposées. « Même le fil Bickford devant servir à déclencher les bombes à distance a été caché par Si El Bachir. Il se l'était procuré à Bir Mourad Raïs d'où sont originaires les El Hedjim. C'est dire que la révolution, on y pensait chez nous bien avant », soutient Abdelkader qui affirme que le père, Si El Bachir, était de l'étoffe des grands et avait le respect des chefs de la révolution qui ont « fait le choix sur sa ferme », située aux frontières de plusieurs localités mais n'éveillait pour autant pas les soupçons des voisins européens. « J'ai monté la garde pendant les 32 heures qu'a duré la réunion du 20 juillet, mais ce n'est que plus tard que je fut informé de leurs noms », révélé-t-il en indiquant que les jours ayant suivi ce « séminaire » s'égrenaient dans un calme plat. La veille du déclenchement de l'insurrection, le camion « blanc » de la famille fut utilisé pour acheminer l'« arsenal » de guerre du FLN naissant. D'ailleurs, ce n'est pas par hasard que deux membres furent « rattrapés par la justice française ». Si El Bachir et Kaddour, l'un de ses six fils, ont comparu devant le tribunal militaire en avril 1956 pour leur participation dans l'affaire du plastiquage de l'usine à gaz. Reste que tout risquait de « gâcher cette belle histoire ». Et les festivités du 20 août qui se sont déroulées dans cette ferme de Khraïcia furent l'occasion de rappeler que la 2e rocade sud reliant Boudouaou à Zéralda devrait passer à quelques mètres de là. Point pour la famille de s'y opposer. « On ne s'oppose pas au passage de l'autoroute ; seulement, on veut que l'on prenne en compte notre situation. La justice veut que l'on nous indemnise en nature. L'argent on n'en veut pas », insiste Ghalib, petit-fils d'El Bachir dont il tire grande fierté. Le tracé initial fait joindre le tronçon de l'autoroute sur les terres qui font face à la leur. « Mais pour ne pas raser des villas en construction, les pouvoirs publics ont décidé de revoir le tracé. Sans toucher la maison, il va complètement dénaturer la propriété », relève le descendant. Les empiétements sur le haouch, on en a connus depuis toujours ; mais la famille n'a jamais voulu s'en dessaisir, insiste-t-il. La première fois, c'était lorsque l'Apc de Baba Hassen a décidé de faire une route pour desservir des « habitations illicites », se trouvant à la lisière de la propriété. « Après la disparition de l'ancien P/APC, l'actuel n'a pas voulu reconnaître la décision de son prédécesseur de nous indemniser. Décision fut prise alors d'aller en justice pour le contraindre à reconnaître l'empiétement caractérisé sur notre propriété », se désole Abdelkader. L'autre fois, c'était quand l'Organisation des moudjahidine, ONM, a « voulu en faire un centre de repos ». La décision du ministère des Travaux publics de faire passer l'autoroute par la parcelle ne peut qu'être ressentie comme une injure après tant de ressentiment. « Une réunion s'est tenue avec le ministre des Travaux publics, très sympathique par ailleurs, on attend toujours la décision que nous souhaitons la bonne », conclut Abdelkader.