Photo : Sahel Par Samir Azzoug à l'image de la maison des Frères Bahnous à Ifri Ouzellaguen qui accueillit le Congrès de la Soummam, le 20 août 1956, et de la villa d'Elias Derriche à Clos Salembier qui hébergea le groupe des 22 en juin 1954, la ferme El Hedjim de Khraïcia est un haut lieu historique de la guerre d'indépendance nationale. L'histoire de la ferme renvoie à celle de la famille El Hedjim. Révolutionnaires engagés de la première heure, ils étaient six frères et leur père à avoir opté pour une Algérie libre et indépendante avec la lutte armée comme moyen d'y parvenir. Originaire de Bir Mourad Raïs, la famille a dû s'installer à la ferme de Khraïcia dès les années 1950. Le plus actif de la fratrie, Kaddour était un militant proche de Zoubir Bouadjadj, l'adjoint de Didouche Mourad. «Nous étions l'une des rares familles algériennes à posséder un camion et un autre véhicule. Donc, Kaddour et moi assurions le transport des révolutionnaires», raconte Abdelkader El Hedjim, le dernier survivant des frères révolutionnaires. «A l'époque, poursuit notre interlocuteur, la capitale était sous la surveillance du colonisateur. La ferme se trouvant dans un endroit un peu isolé, elle a accueilli, à plusieurs reprises, des réunion secrètes organisées par les révolutionnaires et constituait une cache idéale pour eux.» Revenant sur la date du 1er novembre, aami Abdelkader explique que les préparatifs se faisaient bien avant ce jour fatidique. Dès le début des années 1950, les têtes pensantes de la révolution activaient pour mobiliser les troupes, sensibiliser les gens et cherchaient à se procurer des armes. «Dès le départ, les conspirateurs contre la France coloniale cherchaient à confectionner des bombes. Je me rappelle que, bien avant la réunion tenue ici, mon frère Kaddour prospectait dans tout l'Algérois pour trouver un moyen d'allumage pour les bombes. Au niveau d'une usine à Bir Mourad Raïs, il trouve le matériel idéal. Le cordon Bigford, une mèche résistante à l'humidité, utilisée pour dynamiter la roche. Se présentant devant les gardiens de l'usine, Kaddour sympathise avec eux et leur raconte qu'il a besoin du cordon pour creuser des trous dans un sol rocailleux afin de planter des arbres. Il en revient avec une caisse entière de cordon Bigford qu'il cacha pour le moment voulu.» Par ailleurs, pour confectionner la poudre explosive, les frères El Hedjim et d'autres activistes sous l'ordre des responsables ont dû brûler de la vigne et tamiser la cendre des heures durant. «On nous avait demandé de produire plus de 100 kg de cendre de vigne. C'était pratiquement impossible.» Ces événements se sont déroulés bien avant la réunion du 20 juillet. La voie de la révolution armée était donc bien tracée. «Après la réunion des 22, la rencontre du 20 juillet 1954, ici dans cette ferme, a été d'une grande importance pour le déclenchement de la révolution», témoigne Kaci Abdellah Abderrahmane, une des mémoires vivantes de l'événement. Mustapha Zergaoui, un autre membre des quatorze, explique qu'avant la réunion les activistes cherchaient auprès des populations à réunir le maximum d'armes. «On avait deux cachettes (makhzènes), l'une dans ma maison à la Casbah et l'autre chez Ali Yahiaoui à Kouba. Avec Kaddour El Hedjim, nous avons transporté les armes ici [à la ferme de Khraïcia]», se souvient-il. «Ceux qui étaient présents à la réunion du 20 juillet étaient tous pour la lutte armée. Avec le peu d'armes dont on disposait, les autres qui voyaient dans notre entreprise une folie n'avaient pas tort. C'en était une», reconnaît Kaci Abdellah Abderrahmane avant de reprendre : «J'ai entendu Didouche Mourad dire : On allume la mèche. Si le peuple suit, l'indépendance est acquise. S'il ne suit pas, certains d'entre nous mourront, d'autres pourriront en prison. Mais nous serions au rendez-vous avec nos ancêtres.» Sur cet épisode historique, aami Abdelkader explique : «La présence de 14 responsables du FLN avait pour but d'unir les révolutions. Car des mouvements d'insurrection existaient déjà sur tout le territoire national. Sous la présidence de Ben Boulaïd, la réunion a regroupé des responsables des différentes régions du pays. Leur optique était d'unifier l'action et d'uniformiser et de synchroniser les attaques en ciblant des endroits névralgiques.» Durant 3 à 4 jours, Didouche Mourad, Ben M'Hidi, Ben Boulaïd, Bouadjadj Zoubir, Rabah Bitat, Boussouf, Athmane Belouizdad, les frères Kaci Abdellah Abderrahmane et Mokhtar, Souidani Boudjemaa, Ben Alla, Kuini Nacer, Mustapha Zergaoui et un inconnu représentant de la Kabylie se sont concertés, ont coordonné leurs actions et se sont partagé le peu d'armes disponibles. «Ils sont restés très longtemps sans dormir. Nous, les frères El Hedjim, en véritable cellule de protection, nous avons passé plus de quarante heures sans fermer l'œil. On prenait café sur café», témoigne AEK. «Le dernier jour, mon frère a raccompagné une partie du groupe à la gare de Birtouta pour prendre la direction de l'Ouest et moi, j'ai pris l'autre groupe direction El Biar, la Casbah et Belcourt», poursuit-il. En plus de la tenue de cette réunion importante, la ferme El Hedjim servait de point d'ancrage pour coordonner et mettre en relation les moudjahidine du grand Alger avec le Sahel et la Mitidja. D'un autre côté, elle a servi de camp d'entraînement, de réparation des armes et de fabrication de bombes qui ont été utilisées dans les attaques du 1er novembre dans la région. Sur le déroulement de la réunion, Abdelkader El Hedjim se souvient que la plus grande discrétion, et même le secret complet, devait entourer l'événement. «Pour être sûrs que cela ne s'ébruite pas, nous avons dû laisser les belles-sœurs chez leurs parents. La seule femme présente sur les lieux était ma mère. Elle se chargeait de préparer les repas et le café pour ceux qu'elle croyait des fellahs venus passer quelques jours dans la ferme. Après le déroulement de la réunion, c'était le calme plat. Rien, aucun bruit. Quelques semaines plus tard [les 29, 30 et 31 octobre], nous avons reçu un groupe de moudjahidine qui sont venus s'entraîner ici. Le commando a été divisé en deux groupes, l'un commandé par Ouamrane et l'autre par Rabah Bitat et Bouadjadj Zoubir, ils sont partis le 31 octobre.» Ces derniers ont exécuté les attentats du 1er novembre dans la région, dont la bombe d'El Hamma qui a été confectionnée dans la ferme. Aujourd'hui, la ferme d'El Hedjim se trouve à cheval entre les communes de Baba H'cen et de Khraïcia. Une superficie de 5 hectares qui rappelle aux hommes le passé glorieux de la famille révolutionnaire. Bachir le père, Abdelker, Mohamed (chahid), Mustapha Kamel, Kaddour, M'hamed et Yahia sont les noms des membres de la famille El Hedjim qui ont grandement contribué au déclanchement de la guerre de révolution. Ils ont tous subi les affres de l'armée coloniale, failli être exécutés, certains ont été emprisonnés. Aujourd'hui Abdelkader, l'unique survivant, déplore que la ferme, qui a été un refuge et un camp d'entraînement pour les moudjahidine de la première heure, soit menacée par le passage de l'autoroute.