Le départ du président pakistanais, Pervez Musharraf, a créé un vide politique qui inquiète l'Inde au moment où le fragile processus de paix entre les deux puissances nucléaires militaires subit un coup de froid, à cause du terrorisme et du Cachemire. Derrière la neutralité de la diplomatie indienne, qui a qualifié la démission de M. Musharraf « d'affaire intérieure », il ne s'agit « vraiment pas d'une bonne nouvelle pour l'Inde », décrypte un général en retraite de l'armée indienne, Ashok Mehta. New Delhi « s'était habituée à travailler avec Musharraf, lequel était à la fois chef des armées et président, incarnant une autorité unique », explique l'officier. « Mais maintenant, personne ne sait qui est aux commandes », s'alarme-t-il. Pire, avance le diplomate Kanwal Sibal, « personne en Inde ou aux Etats-Unis n'a confiance dans les capacités du gouvernement pakistanais à s'en sortir après avoir poussé le président à quitter le pouvoir ». Certes, M. Musharraf « est parti », proclame en une le Hindustan Times, mais « l'Inde devrait s'inquiéter » car « des groupes terroristes vont viser le Cachemire », prévient le quotidien national. Pourtant, au cours des neuf années de son règne, M. Musharraf était honni à New Delhi, la presse et des diplomates le jugeant « arrogant », « trop sûr de lui », voire « imprévisible ». Surtout, « le renard rusé » pakistanais était soupçonné par le rival indien de double jeu, pointe Uday Bhaskar de l'Institut d'analyses et d'études des questions de défense à New Delhi. D'un côté, M. Musharraf s'affichait en allié des Etats-Unis dans leur « guerre contre le terrorisme », de l'autre, il manipulait des groupes islamistes pakistanais, notamment au Cachemire, qui ont commis des attentats sur le sol indien, dénonce le chercheur. L'Inde garde en travers de la gorge la mini-guerre de Kargil, sur les sommets himalayens du Cachemire, provoquée au printemps 1999 par le général Musharraf, alors chef de l'armée. Celle-ci avait aidé des militants islamistes cachemiris pakistanais à passer au Cachemire indien en franchissant la ligne de contrôle qui coupe le territoire en deux depuis 1949. C'est le long de cette frontière de facto, que les voisins avaient massé des troupes et frôlé la guerre, après un attentat contre le Parlement indien en décembre 2001, mis sur le compte de Cachemiris islamistes soutenus par Islamabad. Le Cachemire reste un terrible abcès de fixation entre l'Inde et le Pakistan. Il a provoqué deux de leurs trois guerres depuis la naissance de ces nations les 14 et 15 août 1947 par la partition bâclée et sanglante de l'Empire britannique des Indes. Alors que le Cachemire indien est à nouveau secoué par des violences depuis juin, sur fond de tensions entre hindous et musulmans, les « meilleurs ennemis du monde », comme les qualifient diplomates et politologues occidentaux, ont repris leurs échanges acrimonieux. Pour le 61e anniversaire de l'indépendance de l'Inde, le Premier ministre, Manmohan Singh, a pressé le Pakistan de lutter contre le « terrorisme », sous peine de « réduire à néant » leur laborieux dialogue de paix. Pour M. Singh, l'attentat suicide contre l'ambassade d'Inde en Afghanistan le 7 juillet dernier (60 morts) a « jeté une ombre sur nos relations ». New Delhi et le président afghan Hamid Karzaï accusent les services de renseignement pakistanais (ISI) d'être derrière cette attaque, ce qu'Islamabad a nié. Pour autant, relève le général Mehta, c'est sous la présidence de Musharraf qu'a été conclu en novembre 2003, un cessez-le-feu le long de la Ligne de contrôle et qu'a repris en janvier 2004, le processus de paix. Consciente de la complexité de ses relations avec le Pakistan, l'Inde avait fini par admettre que M. Musharraf était « l'homme avec lequel elle pouvait traiter », conclut le militaire.