Ce qui se passe à Khenchela devrait faire peur – à juste titre – aux gardiens du temple de la République unique et indivisible. Parce que les puissantes tribus qui composent le tissu sociologique de cette ville ont décidé de faire appliquer leurs « règles » faute de pouvoir compter sur les lois de la République que les démembrements locaux de l'Etat ne savent pas ou ne veulent pas imposer. Les Nemamcha et les Amamra ont décidé unilatéralement de troquer le Code pénal contre une « plateforme des arouch pour la lutte contre les hors-la-loi » Les affaires d'homicide, de viol ou les conflits fonciers et de voisinage se traitent de plus en plus autour d'un couscous que dans les tribunaux civils… Cette plateforme, qui n'est pas sans rappeler celle d'El Kseur en Kabylie, prévoit même un barème de sanctions pécuniaires pouvant aller jusqu'à 500 000 DA dans le cas d'un meurtre avec préméditation. Les contrevenants devront verser ces dédommagements non pas à la justice, mais au comité des sages ! Ces redresseurs de torts des temps modernes qui croient rendre honneur à la tribu détournent dans le même temps leurs concitoyens des lois de la République. Et c'est ce qui fait précisément peur dans un pays où le tribalisme sous-tend toutes les manifestations sociales et politiques et conditionne les comportements des individus. Un phénomène qui dénote l'échec de l'Etat à cimenter et à canaliser les particularismes locaux pour le bien de la collectivité nationale. Qu'est-ce que pourrait bien signifier le retour du refoulé – le droit coutumier – dans une Algérie où les responsables se gargarisent de démocratie, de droits de l'homme et par-dessus tout de l'Etat de droit ? Il serait plus approprié de se demander où est l'Etat à Khenchela, région où les chefs de tribu ont supplanté les juges en s'autoproclamant seule voie de recours pour les citoyens lésés. Le comble, plutôt le hic, est que cette forme de (dés)organisation sociale à Khenchela semble attirer des adeptes dans tout le pays chaoui et même au-delà. De Batna à Ouargla en passant par Tébessa, Oum El Bouaghi et Biskra, des représentants de tribus ont fait le déplacement jusqu'à Khenchela pour se procurer le précieux « document en 15 articles » afin de le faire appliquer chez eux ! Et la « loi » de la tribu poursuit son petit bonhomme de chemin, au nez et à la barbe des autorités. La Ligue algérienne des droits de l'homme a beau attirer l'attention du gouvernement sur cette pratique de non-droit positif, voire sur cette « zone franche » des lois de la République, le spectacle semble plus amuser qu'inquiéter les autorités. Pendant ce temps, les Nemamcha et les Amamra règlent leurs comptes « aux hors-la-loi » à l'ombre de la loi. Est-ce cela, la réforme des structures de l'Etat ?