J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt tout ce qui a été dit ces derniers temps sur le sida, et je peux en déduire que la question de la prévention contre le sida semble, dans son traitement illustré, parfaitement le mode d'action et de représentation que mettent en œuvre dans notre société les différents acteurs sociaux, chaque fois qu'il s'agit de résoudre un problème. Il est fondamental de rappeler l'importance de la prévention et la lutte contre le sida, cette maladie des temps modernes, en adoptant une communication dans sa finalité de transmettre ou de recevoir une information claire, précise et objective. Communiquer, c'est avant tout être à l'écoute de l'autre. C'est le respecter. La communication est le moyen le plus privilégié d'y arriver. Les mots sont investis d'un pouvoir énorme, ils sont parfois, plus puissants que les actes. Les logiques de la prévention du sida ont beaucoup de mal à prendre parce que les structures, qui sont chargées d'en parler, parlent un langage entièrement médicalisé, entièrement froid et lorsqu'on interroge les jeunes pour savoir s'ils se protègent, ils répondent d'une manière générale, non. Donc, ils ne se protègent pas ou très peu. Par méconnaissance, ou par refus d'un discours officiel, médicalisé, trop froid. Il y aurait un autre débat, faire là-dessus : comment aborder la prévention du sida d'une manière beaucoup plus humaine, affective, tendre, plus proche des gens ? Il faudrait présenter le préservatif comme un instrument de contraception et pas seulement par rapport au sida. On pourrait présenter aussi le port du préservatif comme un geste de protection de l'autre, lié au climat affectif de l'acte sexuel, au respect de l'autre. Pour une prévention efficace, il est nécessaire de faire un bon travail sur le terrain et de financer les structures associatives, locales, pertinentes sur le terrain pour faire un boulot là où il faut. Ce serait infiniment plus efficace que des paroles dispensées sporadiquement, une fois l'an. Le sida et la drogue font des ravages énormes chez les jeunes, sur toute l'année. A mon avis, en parlant du sida, il faudrait bannir la peur. Il faut inverser complètement la tendance, le message à transmettre. Ne peut-on pas traduire ces messages en termes d'affectivité, de rapport à l'autre, de protection de l'autre ? Tant qu'on parlera du sida en termes de crainte et de peur, la prévention du sida ne marchera pas. Car même avec un préservatif, le sida fait peur. Beaucoup de jeunes que je rencontre ont vraiment la frousse, au sens le plus fort du terme, ou bien ils sont tellement irresponsables qu'ils s'en foutent « on crèvera de toutes les façons » disent-ils. Il faudrait des messages un peu plus positifs, personnels, affectifs, touchant un peu plus les gens dans ce qu'ils ont de plus intime. Des messages qui diraient : « Ce n'est pas tellement ta vie qui est en cause, c'est celle de l'autre. » Une des conditions de la liberté sexuelle, c'est de n'avoir pas peur. On joue trop sur la peur, et il faut arrêter cela, parce qu'on joue ainsi sur les sentiments irrationnels donc incontrôlables. On peut jouer sur la peur, si on s'adresse à un public de jeunes adultes qui ont déjà eu des rapports sexuels fréquents et se disent tout à coup : « Il faudrait freiner un peu », mais avec des jeunes qui entrent dans la vie sexuelle, qui n'ont pas d'expérience, jouer sur la peur conduit à un blocage total et peut créer des problèmes sexuels graves, voire dramatiques, jouons sur d'autres ressorts : celui du plaisir partagé par exemple. Dans la prévention du sida, il ne faut pas placer les jeunes sous la menace. Ne disons pas aux jeunes de ne pas avoir de rapports. C'est vrai que notre religion nous interdit une sexualité en dehors du mariage, mais comme dit l'adage bien de chez nous : « Ne cachons pas le soleil avec le tamis ». Cette sexualité existe dans notre société, qu'on le veuille ou pas, alors disons-leur de prendre des précautions en ayant des rapports. Le geste de se protéger pendant les rapports intimes peut s'accomplir dans une relation affective, il peut devenir un jeu amoureux. En effet, pour un adolescent, une relation amoureuse, c'est d'abord un jeu. C'est normal, c'est du plaisir et du jeu. Il faudrait que le préservatif fasse partie du jeu. Qu'on ne l'utilise pas dans la panique, en pensant : « Si je ne m'en sert pas, je suis mort ». D'un point de vue psychanalytique, c'est fou de dire à des adolescents et même aux jeunes adultes que l'amour signifie la mort, c'est dramatique, c'est fou de penser : « je peux mourir à mon premier rapport sexuel » Je reste convaincue que seul un travail quotidien de prévention et d'information peut avoir un rôle positif, et encore, ce n'est pas parce qu'on a l'information qu'on utilise le préservatif ! La maladie du sida pose un problème grave à notre pays. Un problème essentiel, qu'il ne faut essayer de fuir ni dans le mépris ni dans l'outrance.